Le couvercle de l’EPR est autorisé pour sept ans, malgré ses défauts de sûreté

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NucléaireL’Autorité de sûreté nucléaire a rendu son avis concernant la cuve et le couvercle de l’EPR de Flamanville. Si elle permet la mise en service du réacteur avec ces pièces maîtresses à l’acier défectueux, elle impose à EDF le remplacement du couvercle avant 2024 et des contrôles réguliers sur le fond de cuve.
C’est la fin du suspense pour la cuve de l’EPR de Flamanville et son couvercle, dont l’acier présente une anomalie de concentration de carbone qui le fragilise. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a rendu son avis mercredi 28 juin. Verdict, EDF pourra bien mettre l’EPR en route en dépit des défauts de ces pièces maîtresses, mais avec des précautions particulières : contrôles réguliers du fond de cuve et remplacement du couvercle avant 2024.
Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, a expliqué cette position à l’occasion d’une conférence de presse tenue mercredi après-midi au siège de l’Autorité, à Montrouge (Hauts-de-Seine). « Pour que le fond de cuve et le couvercle puissent fonctionner de manière pérenne, c’est-à-dire soixante ans conformément à la durée de vie programmée pour l’EPR, il faudra des contrôles réguliers ». Pour le fond de cuve, qui est lisse et accessible, des protocoles de contrôle existent déjà. Les contrôles devront être réalisés à l’occasion de chaque visite décennale, ce qui n’est pas le cas pour le parc en activité. Le couvercle pose un problème plus complexe : il est traversé de multiples tubulures et, nouveauté apparue avec l’EPR, il supporte toute l’instrumentation nécessaire à la surveillance du bon déroulement de la réaction nucléaire (les appareils étaient situés au niveau du fond de cuve pour les réacteurs des précédentes générations). Résultat, seul 1 % de la surface du couvercle est accessible pour des contrôles, ce qui est nettement insuffisant. « Aucune méthode de test n’existe pour cette partie de la cuve et la faisabilité technique de ces contrôles n’est pas acquise à ce jour », précise Pierre-Franck Chevet. C’est cette incertitude technique qui a poussé l’ASN à réclamer le remplacement du couvercle de la cuve, « qui, sans contrôles réguliers, ne saurait être utilisé plus de quelques années ». Pourquoi en 2024 ? « Parce que ces sept années sont plus ou moins le délai nécessaire pour le forgeage d’une nouvelle pièce », a indiqué le président de l’ASN.

EDF a d’ailleurs indiqué qu’il avait passé commande pour un nouveau couvercle auprès du forgeron japonais JSW. Une opération de remplacement de calotte n’aurait rien d’inédit : après la découverte de problèmes de corrosion dans les années 1990, la quasi-totalité des couvercles de tout le parc nucléaire français a déjà été remplacée. L’exploitant espère néanmoins échapper à un processus long – il faut entre quatre et neuf mois pour remplacer un couvercle, et ce délai peut s’allonger en cas de problème – et coûteux - « une fourchette de cent millions d’euros », a évalué Laurent Thieffry, directeur du projet Flamanville 3 à EDF, lors d’une conférence de presse téléphonique mercredi soir. L’électricien entend lancer un appel d’offres international pour développer coûte que coûte une méthode de contrôle du couvercle dans un délai de deux ans. L’objectif avoué de ce projet est d’amener l’ASN à changer d’avis et à renoncer au remplacement du couvercle. « Si l’ASN changeait d’avis, on n’ira pas au bout des coûts de remplacement parce qu’une bonne partie de ces coûts découlent de la mise en place sur site », calcule déjà M. Thieffry.
« La concentration trop importante de carbone accroît le risque de propagation rapide de fissures »

Cette prise de position a été rendue publique au lendemain de deux journées de réunion du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (GPESPN), lundi 26 et mardi 27 juin, au siège de l’ASN. A l’issue de cette réunion, les trente-et-un spécialistes en hydraulique, thermique, etc. ont déclaré dans un avis la cuve et le couvercle aptes au service, sous réserve de tests supplémentaires. Pour aboutir à cette décision, ils ont épluché une à une les milliers de pages du rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) consacré à la résistance de l’acier de la cuve. Dans ce document étaient livrés les résultats de tous les tests réalisés par EDF depuis 2015 pour prouver la bonne tenue des pièces malgré leur trop forte concentration de carbone. « En 2014, nous avons découvert que la concentration de carbone de l’acier dans la cuve était supérieure à celle attendue, jusqu’à 0,30 % au lieu de 0,22, rappelle Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN. Cette concentration trop importante de carbone diminue la ténacité de l’acier et accroît le risque de propagation rapide de fissures. Or, la cuve participe au confinement de la matière radioactive dans le cœur du réacteur. L’intégrité de cette pièce est tellement essentielle que sa rupture n’est même pas étudiée dans les scénarios de sûreté, tellement elle serait impensable. »
Pourquoi, dans ces conditions, avoir accepté une pièce au matériau défectueux ? « Pour la propagation d’une fissure, il faut trois conditions, souligne M. Niel. Le manque de ténacité de l’acier en est une. Mais il faut aussi un défaut dans la pièce et des changements thermiques ou mécaniques qui fragilisent le métal. » C’est pourquoi, outre 1.700 essais mécaniques et 1.500 essais chimiques menés sur des pièces sacrificielles pour évaluer au mieux les caractéristiques de l’acier défectueux, EDF a relu tous les dossiers de fabrication et passé la cuve à la sonde pour en vérifier l’absence de défaut. Il a aussi réalisé des calculs pour anticiper le comportement du métal quelles que soient les conditions thermiques et de pression auquel il pourrait être soumis, en situation habituelle, incidentelle ou accidentelle. Les résultats à tous ces tests ont amené le gendarme du nucléaire à livrer l’avis suivant : « Les caractéristiques mécaniques du fond et du couvercle de la cuve sont suffisantes au regard des sollicitations auxquelles ces pièces sont soumises, y compris en cas d’accident » mais « l’anomalie de la composition chimique de l’acier conduit à une diminution des marges vis-à-vis du risque de rupture brutale ». « Là où il y avait des marges de trois, elles se situent à un peu plus de un », précise Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN.
Cette déclaration d’aptitude au service n’a pas été du goût de tout le monde. Yves Marignac, directeur de l’agence indépendante sur le nucléaire et l’énergie Wise Paris, et Jean-Claude Autret, président de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro), sont tous deux membres du GPESPN. Fait rarissime dans ce groupe où l’avis final est généralement unanime, ils ont cosigné un avis minoritaire. « Nous insistons sur le fait que nous avons perdu des marges, que dans ces conditions la défense en profondeur est altérée et que les contrôles en service n’y remédient pas, alerte Yves Marignac. Nous avons donc demandé à ce que priorité soit donnée au remplacement de la cuve et du couvercle de l’EPR avant sa mise en service. » Pour lui, le message envoyé à EDF est terrible : « On est dans un processus où on récompense le fait que le fabricant et l’exploitant ont complètement sous-estimé le problème au départ et qu’ils ont traité cette situation par le fait accompli ! »
« Les intérêts économiques de court terme passent avant la protection des populations ! »

D’autres se sont insurgés de cette décision de l’ASN. « C’est complètement irresponsable, dénonce Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace. Cela signifie que pendant six ans [étant donné qu’EDF prévoit la mise en service de l’EPR fin 2018, NDLR] l’EPR fonctionnerait avec un couvercle défectueux et non contrôlé. L’ASN s’est couchée devant la pression des industriels EDF et AREVA et a fait prévaloir leurs intérêts économiques. Elle a donc failli à ses devoirs. Face à ces circonstances très préoccupantes, le ministre en charge de la sûreté nucléaire, Nicolas Hulot, doit remettre de l’ordre dans la gouvernance de la sureté nucléaire. » « Puisqu’il faut sept ans pour fabriquer un nouveau couvercle de cuve, l’ASN accepte donc de laisser l’actuel en place malgré ses défauts : avec une telle position, elle fait passer les intérêts économiques à court terme des industriels avant la protection des populations ! », renchérit le réseau Sortir du nucléaire dans un communiqué.
Sur ce dernier point, Pierre-Franck Chevet a tenté de relativiser les pressions exercées par EDF et Areva, pour qui le feu vert accordé à l’EPR de Flamanville était un enjeu vital – l’aboutissement du projet Flamanville 3, mais aussi la recapitalisation d’Areva et l’export de l’EPR en dépendaient. « Il y a eu des tensions constantes avec l’ensemble des acteurs, a reconnu le président de l’ASN. Il arrive effectivement qu’il y ait eu des pressions, mais c’est notre travail. » Il a surtout insisté sur la complexité technique du dossier : « Je n’ai pas le souvenir qu’un problème nous ait demandé autant de travaux par le passé. On est au top du top : sur une échelle de dix, je dirais neuf ! »
Prochaine étape, la rédaction de l’avis de l’ASN. « Comme toute grande décision de l’ASN, elle fera l’objet d’une consultation du public de la semaine prochaine jusqu’à septembre 2017, annonce Pierre-Franck Chevet. Nous rendrons notre avis final en octobre 2017. »