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Sivens

Le gendarme mis en cause dans la mort de Rémi Fraisse a été convoqué par les juges

Le gendarme mis en cause dans la mort de Rémi Fraisse, en octobre 2014, sur la ZAD du Testet, a été entendu vendredi 18 mars par les juges d’instruction. Le voile d’ombre sur cet homicide commence à se lever.

-  Toulouse, correspondance

Il a soigneusement évité tout contact avec les journalistes rassemblés ce vendredi matin, 18 mars, dans le hall du tribunal de grande instance de Toulouse. Le maréchal des logis J, lanceur de la grenade offensive qui a coûté la vie à Rémi Fraisse le 26 octobre 2014, s’est rendu à l’audition où il était convoqué par Anissa Oumohand et Élodie Billot, les juges d’instruction en charge du dossier.

En lieu et place du gendarme mobile, son avocat Me Jean Tamalet, affable et souriant, reçoit la presse et assure être confiant. Sous une nuée de micros, il répète inlassablement que le drame de la nuit du 25 au 26 octobre était un « accident » et que son client a respecté la loi et les ordres. Il avance une comparaison hasardeuse : « C’est comme si vous conduisiez votre voiture en respectant les règles de conduite : d’un seul coup une personne jaillit sur la route et vous le percutez, vous le tuez, et bien c’est un accident. Là, c’est exactement la même chose », assure-t-il avant de monter dans le bureau des juges.

Trois heures plus tard, à la fin de l’audition, le gendarme J. répond toujours aux abonnés absents et c’est de nouveau son avocat, toujours souriant, qui annonce que son client n’a pas été mis en examen mais « placé sous statut de témoin assisté » avant de préciser : « Il va pouvoir avoir accès au dossier. Surtout, cela signifie qu’il ne peut pas être renvoyé devant le tribunal, c’est un signal fort. La suite logique est qu’il bénéficie d’un non-lieu. » L’avocat estime que « l’instruction pourrait s’achever dans six mois ».

Me Jean Tamalet, l’avocat du gendarme mobile convoqué par les juges

Une enquête loin d’être terminée

Pourtant, rien n’est moins sûr. Jusqu’ici les auditions avaient été réalisées par des gendarmes, dans le cadre d’une commission rogatoire. Des auditions qui ont paru insuffisantes aux juges. Elles ont demandé d’entendre elles-mêmes le maréchal des logis J. De plus, l’information judiciaire ouverte le 29 octobre 2014 pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » est désormais requalifiée en « homicide involontaire ». Il s’agit là d’une avancée pour Claire Dujardin, l’un des conseils de la famille de Rémi Fraisse : « C’est mieux qu’une mise en examen pour une qualification qui ne tient pas la route. » L’avocate toulousaine est satisfaite de la décision des juges « Ce statut de témoin assisté peut-être modifié à tout moment. Mais surtout, il signifie que le gendarme n’est pas considéré comme l’auteur direct du lancer et qu’il y en a peut-être d’autres », explique-t-elle.

L’enquête, par ailleurs, se poursuit. Le gendarme mobile n’était pas le premier à se rendre dans le bureau des deux juges toulousaines. Mi-février, elles ont auditionné six opposants au barrage de Sivens, présents sur les lieux la nuit du drame. Ces témoins directs ou indirects du décès de Rémi Fraisse ont pu relater, avec une écoute attentive et patiente, leur version des faits, qui contredit celle des gendarmes.

C’est le cas de Nath (prénom modifié) que Reporterre a pu rencontrer. Le jeune homme, encore vivement touché par ce qu’il a vu cette nuit-là, se trouvait au plus près des forces de l’ordre et à quelques mètres seulement de l’endroit où Rémi Fraisse a été atteint par la grenade mortelle : « J’ai le souvenir d’avoir vu passer Rémi juste à côté de moi, s’approchant des gendarmes les bras levés comme pour leur dire d’arrêter. J’ai entendu plusieurs explosions. Quand je me suis retourné, j’ai vu une ombre par terre. Quelqu’un a essayé de le tirer de là, avant de se prendre un tir de flashball. Puis les flics sont arrivés et l’ont traîné sur plusieurs mètres », raconte-t-il avec beaucoup d’émotion.

Selon ce témoignage, Rémi Fraisse, horrifié par la violence déployée par les forces de l’ordre cette nuit-là se serait avancé vers eux pacifiquement, pour leur demander de calmer le jeu. Un récit qui diffère totalement de la version présentée par les gendarmes.

Lesquels décrivent, notamment dans l’enquête administrative de l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) une horde de « manifestants radicaux équipés de protections (…) et qui emploient des projectiles de toutes sortes ».

Comme Christian, autre témoin rencontré plusieurs fois par Reporterre, Nath est formel : « J’ai vu des flics ou des gendarmes, je ne sais pas, derrière une souche, à l’extérieur de la zone de vie, qui nous lançaient des grenades ou des balles de flashball. » Ce témoignage, porté devant la justice, met de nouveau en doute la version officielle, qui veut que les gendarmes étaient durant cette nuit tragique en position défensive, retranchés à l’intérieur de la « zone de vie », une position qu’ils avaient pour mission de tenir.

Le plan de la « zone de vie » et des lieux où a été tué Rémi Fraisse, selon le rapport de l’IGGN

« Ne pas s’arrêter à la désignation d’un lampiste »

Autant de contradictions et de zones d’ombre qui restent en suspens, et que la poursuite de l’instruction pourrait éclaircir en venant poser la question des responsabilités de la hiérarchie et du pouvoir politique. Une question clef pour ceux qui ont mené la bataille juridique contre le projet de barrage, le collectif Testet : « Qui a pris la décision de maintenir les gendarmes cette nuit-là alors qu’il n’y avait rien à protéger ? Qui a autorisé l’usage des grenades offensives alors que les gendarmes n’étaient pas gravement menacés ? » s’interroge le collectif dans un communiqué diffusé vendredi en réaction à l’audition du gendarme mobile. « Le collectif Testet espère que l’enquête judiciaire ne va pas s’arrêter à la désignation d’un lampiste qui paierait pour les irresponsables politiques qui étaient à la manœuvre. Il est temps que les juges s’intéressent enfin à toute la chaîne de commandement qui a abouti à l’envoi de la grenade qui a tué le jeune militant écologiste, y compris les consignes données par des membres du gouvernement. »

Un sentiment partagé par Me Dujardin : « On a ouvert une porte, c’est le vrai départ de l’instruction qui peut définir les responsabilités de chacun. »

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