Le gouvernement lance la fusion des organismes de sûreté nucléaire

Bientôt la fin de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ? Mercredi 8 février, le ministère de la Transition écologique a annoncé que les différentes compétences de l’IRSN rejoindraient l’Autorité de sûreté nucléaire pour ce qui concerne la sûreté, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour ce qui est de la recherche, et le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSND).
Objectifs affichés : « renforcer l’indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire », « consolider, renforcer les compétences et fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN » et « augmenter les synergies en matière de recherche et développement dans le domaine nucléaire ».
Cette annonce intervient alors que le président de la République, Emmanuel Macron, souhaite la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires et de petits réacteurs modulaires (SMR). Pour ce faire, le gouvernement a déjà présenté un projet de loi d’accélération du nucléaire, en cours d’examen au Parlement. Il a par ailleurs mis sur pied un conseil de politique nucléaire, réuni pour la première fois vendredi 3 février et chargé de piloter ces constructions et tous les autres grands chantiers qui attendent la filière — gestion des déchets radioactifs, prolongement des réacteurs existants, etc.
Consolider le dispositif de contrôle
Le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, le directeur général de l’IRSN, Jean-Christophe Niel, et l’administrateur général du CEA, François Jacq, devront proposer d’ici fin février à la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, des premières mesures et une méthode de travail pour aboutir à ce regroupement. Ensuite, les dirigeants plancheront sur une feuille de route plus détaillée en vue du loi de finance 2024.
L’annonce a été saluée par l’ASN. « La réunion des compétences d’expertise technique de l’IRSN avec celles de l’ASN est une décision très positive qui va renforcer l’efficacité du contrôle indépendant de la sûreté et de la radioprotection, a écrit le gendarme du nucléaire à Reporterre. Elle permettra de consolider le dispositif français de contrôle et de fluidifier le processus de décision de l’ASN, tout en conservant, en interne, une phase d’expertise réalisée par les services, puis une phase de décision du ressort du collège des commissaires. Elle mettra l’ASN au même niveau d’expertise et de compétences techniques intégrées que ses principaux homologues du monde occidental. »
Une mutualisation des expertises critiquée
De fait, cette décision répond à un souhait émis par Bernard Doroszczuk, rappelle Actu-Environnement. En janvier 2020, le président de l’ASN avait dit vouloir prendre la main sur l’ensemble de l’expertise nucléaire, avec une mutualisation des moyens financiers des deux organismes au sein d’un « programme budgétaire » spécial inscrit dans la loi de finances et géré directement par le président de l’ASN.
En revanche, pour le consultant sur le nucléaire et la transition énergétique au sein du groupe négaWatt, Yves Marignac, cette réorganisation est une très mauvaise nouvelle pour la sûreté nucléaire française. « L’IRSN joue historiquement un rôle essentiel. La séparation de l’expertise et du contrôle en matière de sûreté entre deux organismes, respectivement dotés d’un statut d’établissement public (l’IRSN) et d’autorité indépendante (l’ASN), qui préexistait même à leur autonomisation sous cette forme, a montré son caractère vertueux pour les exigences de sûreté, souligne-t-il sur LinkedIn.
Pourtant, le gouvernement annonce un démantèlement de l’IRSN : l’expertise de sûreté rejoindra l’ASN, la recherche le CEA et l’expertise de défense le DNSD. L’intention est clairement, dans la continuité du projet de loi d’accélération du nucléaire qui assume de chercher à “sécuriser juridiquement” la mise en œuvre du nouveau nucléaire ou de prolongation, de lever l’obstacle d’exigences de sûreté trop élevées pour être atteintes par l’industrie. »
Contactés mercredi 8 février, l’IRSN et le CEA n’avaient pas répondu à Reporterre.