Le label « Zéro résidu de pesticides » : du mieux, mais pas bio

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Présent au Salon de l’agriculture, le collectif Nouveaux Champs a lancé récemment son label, le Zéro résidu de pesticides. L’objectif de ce dispositif est séduisant, mais les moyens pour y parvenir posent question.
79 % des personnes interrogées pensent que ce qu’ils mangent peut nuire à leur santé, selon un premier sondage. 93 % d’entre elles estiment, selon un second sondage, que la présence de pesticides dans leurs aliments est dangereuse. C’est de ces chiffres sans appel et d’un constat plus général de méfiance des consommateurs envers l’industrie agroalimentaire qu’est né le label Zéro résidu de pesticides, ou ZRP. Lancé en avril 2017 par l’organisation de producteurs Les paysans de Rougeline, il est aujourd’hui porté par le collectif Nouveaux champs, dont la naissance a été officialisée à Berlin, le 7 février dernier.
La structure compte aujourd’hui 21 entreprises, côté exploitants comme distributeurs. Les Fermes Larrere, exploitées par trois frères agriculteurs landais, font partie des membres fondateurs du label. « On a commencé à faire du bio en 2000, sur nos nouvelles fermes, raconte Patrick Larrere, mais même sur les plus anciennes — en agriculture conventionnelle —, on a cherché à avoir des pratiques durables (rotation des cultures, prairies avec des animaux pour fertiliser les sols, etc.). Le problème est qu’on n’avait rien pour valoriser ces produits-là. C’était paradoxal : on prenait un engagement environnemental et social mais on n’avait aucune reconnaissance derrière. C’est pour ça que j’ai contacté Rougeline. »

C’est cette volonté de faire converger intérêt des producteurs et des consommateurs qui a conduit à l’élaboration du label Zéro résidu de pesticide. Car, si elle a été lancée l’année dernière, l’idée ne date pas d’hier, comme l’explique Gilles Bertrandias, directeur général des Paysans de Rougeline : « Le ZRP est l’aboutissement de vingt ans de travail sur la question sanitaire dans la filière fruits et légumes, notamment sur les fraises et les tomates pour ce qui est de Rougeline. Nous voulions tout simplement offrir des garanties aux consommateurs. » L’objectif est en fait de proposer une troisième voie, entre agriculture conventionnelle et biologique. « L’offre bio, c’est quoi ? 5 ou 6 % pour le moment, estime Gilles Bertrandias. Elle va peut-être doubler dans les années qui viennent, mais ça ne fera toujours que 10 ou 12 %. Si l’on veut que les consommateurs puissent mieux se nourrir, il faut aussi améliorer le reste de l’offre c’est-à-dire le marché du conventionnel. » Faire concurrence au bio ? Pas du tout, répondent les membres de Nouveaux Champs. Plutôt être complémentaire en matière de quantité de produits disponibles et de prix plus accessibles.
Auxiliaires biologiques et des méthodes alternatives
Pour obtenir le label Zéro résidu de pesticides, un producteur de fruits et/ou de légumes doit passer par trois étapes. D’abord, respecter un cahier des charges techniques avec des méthodes élaborées par les fondateurs du ZRP en collaboration avec des laboratoires indépendants. Il s’agit de réduire l’épandage de pesticides grâce à des auxiliaires biologiques (par exemple, des insectes qui mangent les ravageurs de champs) et des méthodes alternatives, par exemple un désherbage mécanique (à la main ou grâce à des machines) plutôt qu’avec des produits chimiques. Deux listes sont également soumises à l’exploitant : une liste « rouge » de substances à utiliser le moins possible, et une liste « noire », à bannir totalement. Un institut extérieur, Iris Contrôle, réalise ensuite un audit pour vérifier que l’exploitant a bien respecté le cahier des charges. Enfin, les produits du champ sont analysés par un laboratoire accrédité, le Cofrac (Comité français d’accréditation). Ces analyses doivent montrer qu’il y a au maximum 0,01 milligramme de pesticides par kilogramme de fruits et légumes, c’est-à-dire la plus petite valeur quantifiable par les scientifiques en l’état actuel des connaissances. En dessous, il est impossible de mesurer avec certitude.
Ensuite seulement, le comité d’attribution du label rend sa décision. Si un agriculteur ne peut pas faire autrement et risque de perdre l’une de ses parcelles, il lui est possible d’utiliser un produit de la liste noire. Cette parcelle sera alors retirée du label pour un an et réintégrée quand les analyses montreront qu’il n’y a plus de traces de la substance « noire ».
Une optimisation technique qui se concentre sur les produits vendus
Pourtant, le label ne convainc pas l’association Générations futures, qui milite contre l’utilisation des pesticides. « On est sur la réserve parce que la lecture de leur site laisse plus de questions que de réponses », déclare François Veillerette, son directeur. Effectivement, ni le cahier des charges ni les listes des substances « rouges » et « noires » ne sont disponibles en ligne. Quand Reporterre a demandé à les consulter, il nous a été répondu qu’il fallait nous rendre au siège de Nouveaux Champs, à Marmande, dans le Lot-et-Garonne. Et non, il est impossible d’envoyer ces deux documents par courriel. Un refus que Frédéric Chatagnon, consultant en création de valeur pour le collectif, explique par la complexité des données à communiquer, différentes selon les espèces cultivées, puis par la crainte de se faire voler une méthodologie développée pendant un an. Ce n’en est pas moins un manque de transparence étonnant pour un label qui vise à rassurer les consommateurs. « Notre promesse, c’est le zéro résidu, pas le zéro utilisation, explique Frédéric Chatagnon. On s’engage sur le résultat, pas sur les moyens. » À la différence du bio, qui se fonde sur les moyens utilisés.

Et c’est là que réside le premier problème. L’épandage de pesticides est réduit, mais il existe quand même. L’objectif est seulement qu’il n’y ait plus de traces au moment de la récolte. Il peut donc être fait sous certaines conditions : en petite quantité et très en amont. Les substances de la liste rouge sont celles qui disparaissent le plus rapidement des fruits et légumes, tandis que les noires sont celles qui subsistent. Quant à des objectifs chiffrés de réduction de l’utilisation, impossible de les donner, répond Frédéric Chatagnon : « Certaines espèces ont besoin de descendre à 5 %, d’autres plus, d’autres moins. Cela dépend aussi des années. Par exemple, on a eu un mois de juillet très humide, les abricots sont donc plus sensibles aux champignons et il faut utiliser plus de substances de la liste rouge, voire de la liste noire en sortant la parcelle du label. » Il ne s’agit donc pas d’un changement de fond ni de méthodes, mais plutôt d’une optimisation technique qui se concentre sur les produits vendus. Le label Zéro résidu de pesticide ne s’occupe pas de l’environnement, en l’occurrence de l’impact de ces produits chimiques sur les sols des cultures ou sur les insectes, les pollinisateurs en tête.
Les fruits et légumes produits ne présentent pas « zéro résidu de pesticides » mais jusqu’à 0,01 milligramme
Deuxième problème : le label enjolive la réalité. Les fruits et légumes produits ne présentent pas « zéro résidu de pesticides » mais jusqu’à 0,01 milligramme (ou 10 microgrammes par kilo). « C’est écrit sur leur communiqué de presse mais ce qu’on voit en gros, c’est le zéro, note François Veillerette. Cela me choque parce que les consommateurs ne vont pas comprendre cette information. On ne parle que des résidus quantifiés, et pas détectés, qui sont potentiellement bien plus importants. En dessous de 10 microgrammes, on ne sait rien. Et les laboratoires indépendants avec lesquels ils travaillent n’ont aucun intérêt à optimiser leurs limites de quantification, ils veulent juste satisfaire leur client. »

Il s’agit certes de doses infimes, incapables de causer par exemple un empoisonnement. En revanche, de nombreux pesticides utilisés dans l’agriculture sont des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire, selon la définition proposée par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), « une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien [qui produit les hormones] et, de ce fait, induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de populations ». Or, les effets ne dépendent pas de la quantité à laquelle on est exposé, une très petite dose suffit par exemple pour perturber le développement d’un fœtus. C’est le cas de l’atrazine, substance active d’un herbicide utilisé sur le maïs jusqu’en 2001. Une étude publiée en 2011 par l’Inserm (Institut national de la santé et la recherche médicale) montre ainsi qu’une exposition dans l’eau de boisson d’un dixième de microgramme par litre suffit pour limiter le diamètre de la boîte crânienne des nouveau-nés.
Pas de miracle avec le Zéro résidu, donc. L’agriculture, comme l’enfer, semble pavée de bonnes intentions.