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OGM

Le nouveau conseil des biotechnologies risque d’être pro-OGM, redoutent les associations écologistes

Instance discrète mais décisive pour l’autorisation des plantes transgéniques, le Haut Conseil des biotechnologies, en sommeil depuis sept mois, va être renouvelé. Les tractations se poursuivent en coulisses. Elles pourraient redonner une forte place aux partisans des OGM, craignent les écologistes. Ils demandent une composition équilibrée.


C’est une instance centrale pour l’évaluation des OGM (organismes génétiquement modifiés) en France. Toute demande d’essai, de culture, d’utilisation ou de commercialisation d’OGM passe par le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB).

Créé en 2008 par le ministre de l’environnement de l’époque Jean-Louis Borloo, le HCB a organisé et renouvelé le débat sur les biotechnologies en France. D’un côté, son comité scientifique rassemble une multitude de disciplines : spécialistes en génétique, en biologie, en toxicologie, en santé humaine et animale ou encore en agronomie. De l’autre, le comité économique, éthique et social a permis une représentation large des tendances dans la société : associations environnementales et de consommateurs, élus, syndicats agricoles, mais aussi l’industrie pharmaceutique ou les entreprises des biotechnologies.

Le HCB est arrivé au terme de son mandat de cinq ans le 30 avril dernier. Depuis sept mois, le gouvernement consulte donc activement afin de trouver les membres du prochain conseil. Le décret avec la liste des nouveaux participants devrait enfin être publié avant la fin de l’année, après signature par les ministres de l’environnement, de l’agriculture, de la santé, de la consommation et de la recherche.

Sauf que les tractations manquent de clarté pour certains participants, qui s’inquiètent : le prochain Haut Conseil des Biotechnologies va-t-il pencher en faveur des pro-OGM ?

C’est la crainte exprimée dans une lettre aux ministres de l’environnement et de l’agriculture, signée par Les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, la Fédération nationale de l’agriculture biologique, France Nature Environnement, Greenpeace France et l’Union nationale de l’apiculture française.

« Imprégné de la cause des entreprises de biotechnologies »

Car le comité scientifique, celui dont les avis ont le plus d’incidences (c’est lui qui se prononce sur les demandes de culture ou d’essai d’OGM par exemple), serait à nouveau présidé par Jean-Christophe Pagès, un spécialiste de biologie moléculaire. Or son « précédent mandat a montré combien il était imprégné de la cause des entreprises de biotechnologies », rappellent les associations.

Chaque avis que donne le HCB est accompagné d’un résumé. Jean-Christophe Pagès y aurait « systématiquement minimisé ou gommé » les critiques vis-à-vis des OGM, regrettent les signataires de la lettre.

Des accusations « extrêmement fausses, voire diffamatoires » dit à Reporterre Christine Noiville, future présidente du nouveau Haut Conseil. Quant à Jean-Christophe Pagès, il affirme ne s’être « jamais ressenti comme pro ou anti-OGM. C’est une question biaisée, notre travail ne peut pas se placer dans cet aspect du débat. Nous devons réaliser une évaluation des risques dans la transparence, dans la rigueur, avec le débat contradictoire qui est naturel dans la démarche scientifique », poursuit-il.

Les associations environnementales demandent, elles, la nomination « d’une personne qui apporte d’avantage de garanties d’impartialité. »

Ont-ils été écoutés au ministère de l’Ecologie ? « L’alerte a fait l’objet d’un travail d’analyse pour donner toutes ses chances au comité scientifique », rassure un conseiller à l’Hôtel de Roquelaure (où siège le ministère). Le décret est sur le bureau de la ministre Ségolène Royal, reste à savoir si elle le signera en l’état, ou si le nom du président du comité scientifique sera modifié.

« Chantage » de la FNSEA

Mais ce n’est pas la seule inquiétude exprimée par les associations dans leur lettre aux ministres. Cinq organisations en faveur des OGM avaient démissionné du précédent Haut Conseil des Biotechnologies : la FNSEA, l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires), la CFDT, les Jeunes Agriculteurs et le Groupement interprofessionnel des semences et des plans.

Elles dénonçaient « ceux qui, par dogmatisme, refusent – même au stade de la recherche et de l’expérimentation – le principe même de la coexistence » avec les OGM.

Mais elles ont accepté de revenir siéger pour ce nouveau mandat du Haut Conseil. « Face à l’importance du sujet des biotechnologies végétales, on veut bien faire le pari qu’il y a au sein du HCB la possibilité de discuter de ces sujets », explique à Reporterre Anne-Claire Vial, future représentante de la FNSEA au sein du Haut Conseil.

Les associations environnementales saluent ce retour qui redonne de la crédibilité au HCB. Mais pour Guy Kastler, représentant de la Confédération paysanne, c’est clair : « La FNSEA a fait du chantage. La mission de la présidente Christine Noiville était de les faire revenir à tout prix. »

- Audition de Christine Noiville à l’Assemblée en septembre 2014 -

Le syndicat agricole, ainsi que les autres démissionnaires, aurait même obtenu certaines modifications dans le fonctionnement du Haut Conseil.

C’est ce que soupçonnent les associations environnementales dans leur lettre aux ministres : « Nous regrettons tout d’abord que les organisations démissionnaires aient été informées des futurs principes de fonctionnement du HCB, sans que nos organisations ne l’aient été. Selon nos informations, elles auraient par ailleurs bénéficié de marges de négociation privilégiées sur le fonctionnement du HCB, et si cela était avéré, le principe de ce marchandage occulte serait inacceptable. »

La FNSEA aurait notamment demandé la tête de Frédéric Jacquemart, ancien vice-président du Comité économique, éthique et social et représentant de France Nature Environnement au HCB : « Elle a fait savoir qu’elle ne supportait pas qu’un anti-OGM soit à ce poste », soutient Guy Kastler. « Frédéric Jacquemart a été fortement critiqué par les cinq organisations démissionnaires. Il n’était pas en odeur de sainteté à la fin du mandat du HCB », complète Christian Hosy de France Nature Environnement.

Autre modification, chacun des deux comités (scientifique d’un côté et économique, éthique et social de l’autre) aura désormais deux vice-présidents, au lieu d’un seul auparavant… Ce qui pourrait modifier la donne au bureau du HCB.

Il comportera désormais les deux présidents des deux comités ainsi que les quatre vices-présidents… Mais « sur six personnes dans le bureau, une seule porterait nos revendications », craint Patrick de Kochko des Amis de la Terre.

Car le comité scientifique est globalement « favorable aux OGM », explique le paysan. Son président et ses deux vices-présidents refléteraient donc cette tendance. Quant au comité économique, éthique et social, son président sera a priori neutre, un vice-président sera en faveur des OGM, et l’autre vice-président sera le seul membre du bureau opposé à leur développement.

Faux, selon la future présidente Christine Noiville qui invite à attendre l’élection des vices-présidents (les présidents sont nommés par les ministres).

Sur la FNSEA, elle reconnaît avoir mis « toute son énergie » pour obtenir son retour. Avant d’ajouter : « Si la FNSEA revient, c’est peut-être aussi parce que Stéphane Le Foll a ouvert une porte dans le débat politique. Il a dit que les nouvelles biotechnologies pouvaient être intéressantes, la FNSEA s’est peut-être dit qu’il y avait un enjeu à revenir au HCB. »

C’est ce que confirme la représentante du syndicat agricole Anne-Claire Vial, qui estime que le ministre de l’agriculture « a montré qu’il veut sortir du débat pour ou contre qui empêche toute discussion sereine sur le sujet. »

Enfin, après des mois de discussions et d’attente, la liste des nouveaux membres devrait paraître d’ici quelques jours. « A l’heure actuelle, on est inquiet, confie le défenseur des semences paysannes Guy Kastler. On a peur que le gouvernement nomme un HCB qui ne représente pas la position de la société civile. Mais c’est au moment de la publication du décret que l’on fera les comptes. »

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