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ReportageDéchets nucléaires

Le premier dépôt mondial de déchets nucléaires bientôt ouvert en Finlande

Les déchets nucléaires seront placés dans un cylindre de fonte puis inséré dans une capsule en cuivre. L'étanchéité durable du revêtement de cuivre est mise en cause par une étude scientifique.

Le centre d’enfouissement d’Onkalo, en Finlande, devrait accueillir des déchets nucléaires dès 2025. Un projet mené malgré les incertitudes scientifiques qui persistent.

Olkiluoto (Finlande), reportage

Dans le dédale de granit à 450 mètres de profondeur, les odeurs de carburants brûlés rivalisent avec le bruit assourdissant des machines. L’air, humide et chargé de particules, n’est respirable que grâce à un système de ventilation puissant qui parcourt le plafond des galeries. « Nous faisons régulièrement des examens respiratoires pour vérifier la santé de nos poumons », dit la géologue Sophie Haapalehto. Le temps d’une matinée, elle nous guide dans l’Onkalo (littéralement « cave » en finlandais), le premier dépôt de déchets nucléaires au monde sur la presqu’île d’Olkiluoto, à l’ouest du pays. Des déchets devraient y être enterrés vers 2025. Le coût de construction a été de 900 millions d’euros, tandis que le coût total (développement, construction, service et fermeture) est estimé à environ 5 milliards. Le site doit recevoir 3 300 colis pour un total de 6 500 tonnes de déchets, indique Posiva.

Depuis la fin de ses études il y a six ans, Sophie Haapalehto travaille pour Posiva, l’entreprise privée chargée de l’enfouissement des déchets. Elle effectue des carottages afin de vérifier la qualité de la roche. Les tunnels sont directement creusés dans le granit qui forme l’une des trois barrières de la méthode d’enfouissement. La seconde barrière est une argile, la bentonite, qui en se dilatant au contact de l’eau devrait combler les tunnels. Enfin, dans les alvéoles de dépôt, le combustible sera inséré dans des capsules de cuivre, imperméables aux rayonnements radioactifs.

© Louise Allain / Reporterre

Ce système combinant le cuivre, l’argile et le granit a d’abord été imaginé en Suède sous le nom de KBS-3. Dans cent ans, une fois le dépôt rempli, il sera rebouché entièrement puis oublié. Aucune trace de sa présence ne sera laissée. « Les deux risques majeurs, nous explique Sophie, sont un tremblement de terre qui casserait les capsules et l’érosion du cuivre ». Le premier ne surviendra qu’en période post ère glaciaire et la corrosion, selon les rapports de Posiva, restera limitée. Le système serait donc sûr.

Une terre nucléaire

Retour à la surface, dans la neige et le froid du mois de mars finlandais. À une poignée de kilomètres du dépôt, la ville d’Eurajoki vit au rythme des projets nucléaires. Cette petite commune de près de 9 400 habitants a d’abord donné son feu vert à la construction en 1974 de deux réacteurs nucléaires, OL1 et 2. Une trentaine d’années plus tard, le conseil municipal validait l’installation du dépôt de déchets nucléaires. La terre d’Olkiluoto fut de nouveau choisie pour construire à partir de 2005 un réacteur EPR, l’OL3. Siemens et Areva étaient alors en charge de sa construction. Celui-ci est entré en service ce mois d’avril, avec près de treize ans de retard, à cause de pannes et de dysfonctionnements.

L’Onkalo est construit à 450 mètres sous terre dans le sous-sol granitique finlandais. © Maxime Riché / Reporterre

Toutefois, une confiance unanime règne chez les habitants de la bourgade lorsqu’il s’agit de la centrale et du dépôt. L’Onkalo « est une installation que l’on peut considérer comme relativement sûre », estime Mika Haanpää, qui travaille dans l’industrie de la viande. Son entreprise a profité du nouvel afflux de travailleurs, arrivés pendant la construction de l’OL3. Le chantier employait alors près de 5 000 personnes.

Sirkka Saloma, 74 ans, a vu l’industrie nucléaire s’installer dans la région. Elle habite dans une ferme en périphérie d’Eurajoki. Son beau-père a travaillé en tant que maître d’œuvre sur le premier réacteur. « Il y a eu une forte opposition dans les années 1970, mais elle a disparu », relate-t-elle. Notamment parce que la centrale nucléaire permet à Eurajoki de financer son développement : « La ville a par exemple construit cinq écoles et un sauna public ouvert à tous » détaille Sirkka Saloma.

Communication offensive

Le maire d’Eurajoki, Vesa Lakaniemi confirme l’importance économique de la centrale pour la commune. Sur un total de 57 millions d’euros de recettes fiscales en 2022, l’opérateur de la centrale aurait versé environ 20 millions d’euros de taxes foncières. « Nous sommes fiers de nos experts qui travaillent dans le dépôt, assure l’édile. C’est le premier au monde, c’est pourquoi le monde veut en savoir plus sur notre expérience ». Début 2023, Vesa Lakaniemi a fait le déplacement en Corée du Sud avec Posiva à la demande de l’ambassade de Finlande afin de présenter le projet.

La ville d’Eurajoki vit au rythme des projets nucléaires. Ici, les trois réacteurs de la centrale d’Olkiluoto. © Maxime Riché / Reporterre

La branche marketing de Posiva cherche à vendre son expertise dans le monde entier. Pour cela, l’opérateur de la centrale d’Olkiluoto et coactionnaire de Posiva, TVO, adopte une communication offensive. Construit sur la rive adjacente à la centrale, un centre pour visiteurs offre un panorama idyllique sur les trois réacteurs situés au bord du golfe de Botnie. À l’intérieur un petit musée présente grâce à un artifice graphique, l’énergie nucléaire comme la « plus grande action finlandaise contre le réchauffement climatique » — et ce malgré les nombreux risques de l’atome pour l’environnement. Enfin, le slogan « nous avons la solution » est répété à l’envie pour décrire l’Onkalo dans les publications de Posiva et les interviews données aux médias.

Mais il se pourrait qu’une ombre se glisse dans le parfait tableau finlandais. Le 14 septembre 2022, la MKG, une ONG suédoise spécialisée dans la gestion des déchets nucléaires, a adressé au ministère finlandais de l’Économie et de l’Industrie une observation lors de la demande de mise en service de l’Onkalo. L’organisation y incite Posiva à mener de nouvelles expériences sur les capsules de cuivre et sur la bentonite au sein de l’Onkalo. Selon elle, « des scientifiques experts en corrosion ont compris que le cuivre n’est pas exactement le métal adéquat pour garantir la sécurité du site à long terme. Au lieu d’une poignée de capsules qui pourrait commencer à fuir après cent mille ans, une grande partie d’entre elles pourrait fuir seulement après quelques siècles ».

Au sortir d’Eurajoki, un panneau publicitaire incite les automobilistes à se rendre au centre pour visiteurs. © Maxime Riché / Reporterre

Des doutes sur la durabilité du cuivre

Si l’ONG suédoise s’inquiète, c’est parce que la méthode d’enfouissement finlandaise est identique à celle de sa consœur SKB en Suède. Or, en 2021, le chercheur en science de la corrosion à l’Institut Royal de Technologie de Stockholm, Jinshan Pan, a mis en évidence des risques de corrosion du cuivre d’un type particulier : « Les études de SKB ont été concentrées sur les niveaux de corrosion uniforme. Mais il existe une autre forme de corrosion, la fissuration sous contrainte due à l’hydrogène et au sulfure ». Ces fissurations peuvent passer sous les radars pendant une longue période, puis surgir rapidement lorsqu’elle atteint un point critique.

Dans une étude en environnement simulé publiée en janvier, Jinshan Pan et son équipe notent dans les conclusions que « les signes d’une pénétration prononcée des espèces corrosives dans le cuivre [...] impliquent un risque de fragilisation à l’hydrogène et l’initiation de fissures ». Ceci pose, selon Jinshan Pan, un problème quant à la longévité des capsules. Elles risqueraient de fissurer avant que la radioactivité des déchets ne soit plus dangereuse pour l’humanité.

Mika Haanpää, habitant d’Eurajoki, ne craint pas l’installation d’un dépôt de déchets à quelques kilomètres de chez lui. © Maxime Riché / Reporterre

Le chercheur demande que de nouvelles études soient menées sur le risque de corrosion par fissure et à poursuivre le débat scientifique sur ce point. En Finlande, mis à part un journal suédophone, aucune voix ne relaie cette controverse. Questionnée sur le sujet, Posiva assure simplement « que les flux de sulfures sont moins élevés dans les alvéoles de dépôt » que ceux utilisés dans l’étude. Et « si les capsules fissurent, il reste deux autres barrières, l’argile et la roche ».

Le temps est compté en Finlande où les premières capsules doivent être enterrées d’ici deux ou trois ans — contrairement à la Suède qui a encore dix ans devant elle avant de commencer l’enfouissement. Posiva espère recevoir du ministère finlandais de l’Économie le feu vert pour une mise en service à la fin de l’année.

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