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Politique

Le programme Environnement de Marine Le Pen : pour les voitures et pour le nucléaire

Le Front national développe son discours et ses propositions sur l’environnement. Mais que valent les promesses du programme au regard des positions défendues par les élus du parti d’extrême droite ? Reporterre a mené l’enquête.

Recrutement d’un économiste adepte de la transition énergétique (Philippe Murer), création du collectif « Nouvelle Écologie » fin 2014, « convention écologie » du FN fin 2016, discours de Marine Le Pen sur le développement durable fin janvier… Le parti Bleu Marine semble bien décidé à verdir son discours. Reporterre avait souligné certaines contradictions au moment du lancement du collectif Nouvelle Écologie. Qu’en est-il à l’approche de la présidentielle ? Que propose le programme de Marine Le Pen en matière d’écologie ?

Changement climatique : « Je ne suis pas scientifique du climat »

A priori, finies, les déclarations du père qui en 2010 dénonçait « l’écologisme, nouvelle religion des bobos gogos », lors d’un colloque sur le thème « Réchauffement climatique, mythe ou réalité », annoncé alors comme le premier colloque du parti sur l’écologie. Le 26 janvier dernier, dans son discours sur le développement durable, Marine Le Pen pointait les « menaces (...) que font peser le dérèglement du climat, la pollution de l’air, de l’eau et des terres, le pillage de la diversité et la grande extinction des espèces ».

Mais, interrogée à l’issue du discours par Reporterre, elle se montrait déjà moins catégorique : « Je ne suis pas scientifique du climat, je pense que l’activité humaine y contribue, dans des proportions que je suis incapable de mesurer. Le changement climatique n’est pas une religion, il est utile qu’il puisse y avoir des débats. » La candidate du Front national à la présidentielle ne nie pas le changement climatique, mais sous-entend qu’il pourrait y avoir d’autres causes que celles liées aux activités humaines. Nonobstant le fait qu’en 2013, les experts du Giec (Groupe international d’experts sur l’évolution du climat) avaient estimé la probabilité d’une origine humaine du changement climatique à 95 %.

  • Ecouter ici :
    Marine Le Pen le 26 janvier 2017, sur le climat.

La « France durable » en fin de programme

Dans le programme de la candidate, la partie qui nous intéresse plus particulièrement est située en septième et dernière place : elle est consacrée à « Une France durable » et comporte 20 propositions (sur les 144 du programme) concernant l’agriculture, la transition énergétique, le logement ou encore les territoires ruraux.

Si l’on compare ce texte au programme de 2012, le virage écolo des trois dernières années n’est pas notable. Beaucoup de propositions sont similaires : reprise en main de la politique agricole au niveau de la France, protectionnisme, relocalisation de l’économie, sécurisation du nucléaire…

Agriculture : les produits français sont les meilleurs

Une modification, tout de même : l’agriculture est incluse dans le chapitre dédié au développement durable. Circuits courts, refus des traités de libre-échange, opposition aux fermes-usines, interdiction des OGM, traçabilité « totale » de l’origine géographique et du lieu de transformation des produits : plusieurs propositions ont de quoi plaire aux défenseurs d’une agriculture plus écologique. Philippe Murer, président du collectif Nouvelle Écologie, précise même à Reporterre qu’il faut un « passage de l’agriculture chimique aux nouvelles formes d’agriculture que sont la permaculture, l’agriculture biologique, l’agroforesterie et l’agriculture de conservation ».

Mais le programme n’en fait pas mention. Au contraire, il dénonce « l’explosion des normes administratives », qu’il faut stopper. La thématique est chère à la FNSEA, principal syndicat français, qui vise un allègement des normes environnementales. Philippe Murer indique quant à lui : « Nous pensons que l’écologie doit être constructive et non punitive : l’interdiction abrupte des pesticides aurait des effets désastreux sur la partie la moins prospère de la population. » La sortie de l’agriculture chimique prendra donc « 15 à 20 ans ». Seuls les néonicotinoïdes « doivent être interdits comme il est prévu », sans les dérogations qui courent jusqu’en 2020.

Le tout est donc au service d’une politique guidée par le « patriotisme économique ». La priorité est de transformer la Politique agricole commune (PAC) en Politique agricole française (PAF). Les normes en matière d’environnement et de sécurité sanitaire servent avant tout à défendre les produits fabriqués sur le sol français contre les importations. Dans le même temps, les exportations sont elles à « promouvoir ». « Il est paradoxal de vouloir à la fois développer le local et les exportations, estime Florent Sebban, maraîcher et coprésident du réseau des Amap d’Ile-de-France. Cela veut dire que nous allons continuer d’envoyer nos produits dans des pays qui ne peuvent pas se protéger des exportations françaises, comme en Afrique de l’Ouest. C’est de la concurrence déloyale vis-à-vis de leurs paysans. »

Sur le terrain, l’attitude des élus du FN est diverse, et loin d’être toujours en faveur de cette transition agricole. En région Centre-Val de Loire, ils n’ont pas voté les mesures de soutien à l’agriculture bio. En région Picardie, le groupe FN s’est opposé aux budgets dédiés à l’agriculture biologique (voir p. 58 de ce ce document).

Du côté de la pêche, tout comme pour la production agricole, Marine Le Pen entend la soutenir par la commande publique. Les positions de l’eurodéputée Sylvie Goddyn en disent plus sur ce que pourrait être une politique du parti sur ce sujet : elle défend la pêche artisanale et l’augmentation des quotas dans le même temps. À noter qu’en 2013, les députés européens de la mandature précédente avaient voté contre l’interdiction de la pêche en eaux profondes.

Énergie : l’indépendance de la France avant tout

L’autre grand axe de cette « France durable » est la transition énergétique. « La France doit viser l’excellence », annonce le programme. Là encore, la clé du succès réside pour le parti d’extrême droite dans la rupture avec la « mondialisation sauvage » : « La véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près et à retraiter sur place. »

L’indépendance énergétique, pour le parti, c’est avant tout le nucléaire. Pas question de fermer la centrale de Fessenheim. Par ailleurs, le FN prévoie de « moderniser et sécuriser » la filière grâce au « contrôle de l’État sur EDF ». « La sécurité des centrales nucléaires est en France à un niveau bien supérieur à celle du Japon. Heureusement pour nous », assure Philippe Murer.

En parallèle, Marine Le Pen souhaite « développer massivement les filières françaises des énergies renouvelables ». Sauf l’éolien, sur lequel elle demande un moratoire immédiat. « C’est épouvantable, c’est cher, c’est une vraie pollution non seulement visuelle, mais je pense que nous découvrirons plus tard les conséquences des éoliennes sur la santé des habitants », expliquait-elle le 23 mars sur BFMTV. Impossible de savoir à quelle hauteur le parti souhaite développer les renouvelables. « Permettez-moi de ne pas reprendre le vocable de pourcentage de consommation d’énergies renouvelables, le langage des pseudo écolos de gauche, qui sont en échec sur la transition énergétique depuis 15 ans », répond Philippe Murer à la question.

Grâce à ce mix énergétique nucléaire-renouvelables, le parti entend se passer des énergies fossiles. Mais pas tout de suite. Le programme prévoit bien « l’interdiction des gaz de schiste »... mais seulement tant que les « conditions satisfaisantes » ne seront pas réunies. « Si l’on peut extraire le gaz de schiste en France sans abîmer notre environnement, nous le ferons afin de renforcer notre indépendance énergétique, le temps de finir notre transition énergétique », précise le conseiller de Marine Le Pen.

Transports : on ne touche pas au Diesel

Peu évoqués dans le programme, les transports. Il est ici surtout prévu de refuser « la libéralisation du rail », et de maintenir la SNCF dans le giron public pour « garantir un égal accès aux services publics ».

Mais en parallèle, le parti défend avec virulence les camions et les automobilistes. Il s’est fortement opposé à l’écotaxe et à toute augmentation de la taxation sur le diesel ou même sur l’essence. Il souhaite au contraire un « alignement vers le bas » et dénonce « l’écologie punitive ». « Il y a plus de problématiques de pollution liées à l’utilisation du charbon par l’Allemagne et aux particules qui arrivent apportées par les vents, notamment principalement d’Allemagne, que exclusivement de la pollution automobile », estimait Marine Le Pen sur RTL le 8 mars dernier. La solution miracle, pour l’eurodéputée, ce sont les voitures à hydrogène. Son programme prévoit de financer la recherche sur le sujet.

Affiche du FN dans les années 1990.

Notre-Dame-des-Landes : évacuer les zadistes

Le projet d’aéroport n’est pas évoqué dans le programme. Cependant Marine Le Pen a pu se prononcer à ce propos à plusieurs reprises. Elle est opposée au projet, mais a estimé au micro de France Bleu Loire-Océan fin février que « rien ne peut aller contre une consultation populaire ». Avant d’appeler à l’évacuation des occupants de la Zad : « La fermeté doit être de mise, car il n’est pas question qu’un petit groupuscule d’anarchistes fasse céder indéfiniment l’État français. »

Protection de la nature… et des chasseurs

Le mot biodiversité n’apparaît pas dans le programme, qui n’est pas très précis sur ce thème. Seule la proposition 143, soit l’avant-dernière, y fait référence et elle porte sur la construction de logements : « Rationaliser et simplifier les normes d’urbanisme (…) afin de résorber les tensions sur le marché du logement. Veiller à la protection de l’environnement et des espaces naturels protégés (littoral, montagne, etc.). »

Donc la protection des terres ne sera pas normative. « Les mesures pour empêcher cette artificialisation des sols sont directives, voire autoritaires, puisqu’il s’agit d’interdiction, de privation de liberté », explique Philippe Murer. Mais alors, comment concilier préservation des terres naturelles ou agricoles et urbanisation ? Il ne présente pas de solution claire. « Les intellectuels, les militants écologistes doivent proposer des solutions viables prenant en compte toutes les facettes du sujet, du problème écologique, au pendant démographique au problème social lié au prix du logement », estime-t-il.

À noter que les élus FN ont régulièrement voté contre des mesures destinées à améliorer la protection de la biodiversité. Marion Maréchal-Le Pen s’est opposée à la loi biodiversité. Lors des élections européennes de 2014, le parti s’était prononcé pour l’abrogation de la directive Oiseaux et de la directive Natura 2000 dans ses réponses à la Fédération nationale des chasseurs.

Le FN prône une gestion de la biodiversité par les chasseurs, comme le montre la proposition de résolution déposée en octobre 2016 au Parlement européen, « sur l’importance socioenvironnementale de la chasse. »

Les enjeux environnementaux dépassent forcément les frontières

Alors, le Front national se préoccupe-t-il réellement d’écologie ? Chez Greenpeace France, qui a fait une analyse des programmes des candidats, on en doute fortement. Pour Jean-François Julliard, directeur général de l’organisation, écologie et repli à l’intérieur des frontières sont incompatibles : « Les écosystèmes fonctionnent justement parce qu’ils sont interconnectés, donc les enjeux environnementaux dépassent forcément les frontières. Même si demain on cessait d’émettre des gaz à effet de serre à l’échelle nationale, cela ne fonctionnerait pas. L’attitude du FN est égoïste et revient à se dire que l’on profite d’être dans un pays riche et pas encore trop touché par le changement climatique, puis on verra ensuite si on peut faire quelque chose pour ceux qui en sont déjà victimes... »

D’ailleurs, Reporterre a demandé à Philippe Murer ce que le parti comptait faire pour les réfugiés climatiques. « Chaque peuple libre a le droit de décider qui rentre, qui sort de son territoire et qui s’y maintient », rappelle-t-il d’abord. Avant de poursuivre : « Je pense que la France peut se passer d’énergies fossiles en 20 à 30 ans. D’autres grands consommateurs de fossiles peuvent le faire très rapidement. (…) La dynamique du climat peut s’inverser. Dans ces conditions, il y aura très peu de migrants climatiques. » Chacun chez soi et il n’y aura pas de problème.

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