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Le projet iconoclaste de l’écologie politique doit se réinventer

Dans les convulsions qui agitent les démocraties européennes, l’écologie politique doit renouer avec l’impertinence et la fécondité de sa pensée, explique l’auteur de cette tribune. En mettant notamment en question les mutations anthropologiques contemporaines.

Alain Coulombel est secrétaire national adjoint d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), chargé du projet politique.

Alain Coulombel.

Le monde va mal. Les convulsions internationales et le chaos géopolitique se sont installés durablement dans le paysage de nos démocraties européennes, par ailleurs fragilisées par la crise économique, politique et sociale. Le projet européen s’enlise, tandis que la Commission européenne bricole sous la pression des lobbies et des intérêts divergents des États-nations. Partout, les inégalités sociales se renforcent et la pauvreté sous toutes ses formes remet en question profondément l’idée même du « vivre ensemble ».

Le capitalisme est entré dans une phase régressive, bruyante et chaotique qui se manifeste, notamment, à travers la déconstruction des arrangements institutionnels issus des Trente Glorieuses, la confusion idéologique ou la crise de la représentation politique. Chacun pressent confusément que nous sommes entrés de plain-pied dans de nouveaux régimes de sens dont nous peinons à dessiner les traits. « Que faire ? » s’interroge dans son dernier essai le philosophe Jean-Luc Nancy face aux deux séismes qui secouent le monde : les attentats d’un côté, la puissance écotechnique de l’autre. Que faire, en effet, et sur quelle politique s’adosser quand nous devons, simultanément, résister aux scénarios les plus catastrophiques et composer un imaginaire émancipateur et cosmopolitique ?

Un cycle s’achève pour EELV

Mais alors que Les Verts avaient été, dans les années 1980, des précurseurs ouvrant de nombreux chantiers, posant de nouvelles problématiques, force est de constater aujourd’hui l’absence de place, au sein de notre formation politique (EELV), pour la réflexion, la controverse théorique et l’interlocution. Tout un pan de notre créativité, de notre impertinence a cédé aux sirènes des responsabilités institutionnelles. Or, articuler la pensée (sous toutes ses formes) à la pratique politique est une nécessité vitale, à un moment où nous subissons massivement le prêt-à-penser des médias et la puissance des « appareils idéologiques d’État ». La manière dont le débat sur le terrorisme en France est engagé depuis plusieurs mois par les principaux responsables politiques est, à cet égard, significative. Tout n’est qu’instrumentalisation, simplification, surréaction et surenchère verbale, jusqu’à cette sidérante déclaration de notre Premier ministre : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Degré zéro de la politique quand le message ne s’adresse plus qu’à l’émotion d’une opinion publique chauffée à blanc et dont on espère, par quelques tours oratoires, tirer les dividendes électoraux.

Or, tout est bouleversé : notre rapport au corps, à l’altérité, à l’identité, au « vivre ensemble », à la démocratie ou au travail… Notre temps est en miettes et la crise de la temporalité se double d’une crise de l’habiter, de notre rapport au lieu, au paysage ou aux vivants. Ces mutations anthropologiques doivent être questionnées par les écologistes en général et par EELV en particulier.

« Notre temps est en miettes et la crise de la temporalité se double d’une crise de l’habiter, de notre rapport au lieu, au paysage ou aux vivants. »

Un cycle s’achève pour EELV. Notre présence dans les institutions n’a pas permis, reconnaissons-le, de changer significativement les règles du jeu. Jamais le productivisme-consumérisme n’avait été aussi triomphant à l’échelle de la planète. Face à ce constat, c’est vers tout autre chose qu’il nous faut nous orienter.

Puisons dans les textes fondateurs de l’écologie politique 

Nous savons que la politique ne peut pas tout mais qu’elle « doit rendre possible l’accès à tout ce qui la dépasse, c’est-à-dire à tout ce qui met en œuvre le sens de l’existence, celle de chacun, celle de tous, celle du commun » (Jean-Luc Nancy).

Nous savons qu’il y a du sans prix et de la fragilité, mais qu’il est difficile de construire un programme ou une orientation politique à partir de cette fragilité ou de cette vulnérabilité essentielle. C’est à cela pourtant que nous devons mesurer notre utilité : dans un monde qui se ferme et semble se donner à tous les aventuriers, qui ne cesse de produire du prêt-à-penser ou des éléments de langage — recréer une capacité critique et une ouverture aux plus faibles, à l’étranger, aux sans-voix. Puisons dans les textes fondateurs de l’écologie politique la substance dont nous avons besoin pour éclairer le présent : Aldo Leopold et son Almanach d’un comté des sables, Illich et La Convivialité, Félix Guattari et ses Trois Écologies, Jonas et son Heuristique de la peur, André Gorz et son Adieu au prolétariat...

Si les échéances électorales de 2017 sont incontournables pour notre parti politique, ne réduisons pas notre raison d’être à des élections et l’exercice de la politique à un agir sans fondement. Car, si notre projet est iconoclaste — contre le mythe de la croissance, la société post-croissance ; contre le chômage de masse, la réduction du temps de travail ; contre les inégalités, le revenu de base ; contre la marchandisation générale du vivant, l’importance des communs — et s’il doit le rester, il doit se confronter, en se réinventant, à de nouveaux enjeux théorico-pratiques, voire expérimenter de nouveaux agencements et de nouveaux territoires de sens. Quid du surhumanisme ou de la convergence des technologies ? Quid des nouveaux déséquilibres géopolitiques ou du risque d’effondrement écosystémique ? Quid de la représentation politique et de la démocratie ? Ce n’est qu’à ce prix que nous retrouverons le crédit que nous avons perdu et l’utilité d’EELV.

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