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Santé

Le scandale des biberons à l’oxyde d’éthylène : mais si, des alternatives sans danger existent !

Malgré sa toxicité et son interdiction, l’oxyde d’éthylène est massivement utilisé pour stériliser les biberons. Raison avancée : c’est le seul moyen disponible. Pourtant, ailleurs en Europe, on se passe du gaz cancérigène.

Comme on l’a dit dans notre article paru hier, depuis une circulaire de 1979, la stérilisation à l’oxyde d’éthylène ne doit être utilisée « que si aucun autre moyen n’existe ». Or le gaz, bien que toxique, continue à être massivement utilisé dans les maternités, parce qu’il constituerait l’unique méthode permettant de rendre des biberons « micro-biologiquement propres ».

Unique méthode ? D’autres procédés sont disponibles : le peroxyde d’hydrogène, l’irradiation par rayon gamma, ou, surtout, la vapeur d’eau sous pression. Cette dernière méthode, aussi appelée autoclave, demeure la pratique de référence : efficace et non toxique, elle permet de désinfecter la plupart des dispositifs médicaux.

Problème : il est impossible de l’utiliser sur des matériaux dits « thermosensibles », comme les matières plastiques des biberons. D’où l’idée selon laquelle seul l’oxyde d’éthylène fonctionne pour les biberons.

Sauf qu’il existe des biberons non sensibles à la chaleur, … ceux en verre. Et que certaines maternités en France, et de nombreux hôpitaux en Europe, s’en passent. Oui, il est possible de se passer de ce gaz cancérigène.

Comment font nos voisins ?

Lors de son enquête en 2012, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a dressé un état des lieux des pratiques dans d’autres pays de l’Union européenne. Conclusion : plusieurs de nos voisins ont banni l’oxyde d’éthylène des tétines. Comme l’Allemagne, où la stérilisation avec ce produit est prohibée depuis 1981. « Chaque service hospitalier doit disposer de sa propre unité spécialisée, où la nourriture est préparée juste avant la consommation et où les biberons sont stérilisés », précise dans le rapport Jacques Simbsler, conseiller pour les affaires sociales à Berlin. Même son de cloche en Espagne, qui interdit le gaz « en raison de son caractère toxique », préférant la vapeur d’eau. Au Royaume-Uni, « le recours a cette méthode est inexistant », témoigne Frédérique Simon-Delavelle, conseillère à l’ambassade de Londres. Même en Italie, où les biberons pour les prématurés sont stérilisés à l’oxyde d’éthylène, le procédé principal demeure l’autoclave, réalisée dans les établissements hospitaliers.

- L’exception française. En rouge : les pays interdisant la stérilisation des biberons à l’oxyde d’éthylène. En vert : les pays autorisant la stérilisation des biberons à l’oxyde d’éthylène. En bleu : les pays où ce n’est pas clairement interdit, mais où la stérilisation à l’oxyde d’éthylène n’est pas utilisée. -

En Suède, où 98 % des mères donnent le sein (contre moins de 60 % en France, d’après l’Institut national de veille sanitaire), les biberons n’ont pas la cote. « Nous privilégions avant tout l’allaitement maternel, explique au téléphone Maria Göransson, sage-femme à la maternité de l’hôpital Akademiska Sjukhuset à Uppsala. Sinon, nous utilisons des biberons-tasses, qui sont désinfectés dans des machines à laver spéciales. » Grâce à ces tasses, « comme le besoin de succion du bébé reste inassouvi, ce qui n’est pas le cas avec les tétines, il reprendra plus facilement le sein », précise-t-elle. Et elle ajoute : « Je pense que nous avons en Suède une politique différente de celle menée en France quant à l’allaitement et aux soins des nourrissons. »

- Le biberon-tasse, réutilisable, est très répandu en Suède -

En effet, en France, l’usage de l’oxyde d’éthylène semble résulter d’un choix politique. Les autorités, dans les années 1990, ont privilégié cette méthode, pour son rapport efficacité-coût avantageux, faisant fi du risque cancérigène.

Comment la France a confié le "sale boulot" confié aux industriels

Jusqu’au début des années 2000, les maternités avaient largement recours à des biberons en verre réutilisables, et stérilisés à la vapeur d’eau. Plus écolo, et moins dangereux. Mais le ministère de la Santé, pressé par l’émergence des maladies nosocomiales, a accéléré le passage aux dispositifs médicaux à usage unique. Ainsi, d’après l’IGAS, « seules 49 des maternités sur les 477 ayant répondu à l’enquête déclarent utiliser encore en 2010 des biberons en verre réutilisables. » Et comme l’oxyde d’éthylène est banni des centres hospitaliers depuis les années 1980, les pouvoirs publics ont préféré confier le « sale boulot » à des industriels.

L’argument sanitaire n’est pas la seule raison de l’abandon de l’autoclave. L’IGAS évoque « des problèmes d’organisation, nécessitant des installations adaptées, du personnel disponible et formé, des procédures et des contrôles maîtrisés ». La stérilisation par vapeur d’eau nécessite du personnel disponible. Ce dont manquent cruellement nos établissements.

Quant à faire nettoyer à l’eau les biberons par des industriels, Cécile Vaugelade, de l’Agence nationale de la santé et du médicament (ANSM), n’y croit pas : « La vapeur d’eau reste trop complexe à mettre en place à un niveau industriel, dit-elle à Reporterre. Et à l’échelle de l’hôpital, personne parmi le personnel hospitalier ne veut revenir au système antérieur où l’on stérilisait le matériel sur place à la vapeur d’eau. Aucun hospitalier n’est prêt à un retour aux biberons en verre, plus lourds et fragiles. »

D’autres méthodes alternatives à l’oxyde d’éthylène sont disponibles, en premier lieu l’autoclave, mais elles requièrent une relocalisation des unités de stérilisation dans les hôpitaux. Donc plus de moyens financiers. Alors, on continue à recourir à une méthode dont on connait les dangers et qui est formellement interdite. Tant pis pour les bébés.

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