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Le tour de France des alternatives

Le premier livre de la collection Reporterre vient d’être publié. Un voyage enthousiasmant à travers la France qui bouge et prépare le nouveau monde.

Voici comment commence le livre d’Emmanuel Daniel :

“Vous n’en avez pas entendu parler à la télévision, pourtant, la prochaine révolution a déjà commencé. Partout en France, dans l’angle mort des médias, des gens ordinaires sont en train de prouver que la transformation sociale n’est pas le privilège des puissants. Ils ne croient plus au Grand soir et n’attendent pas de sauveur providentiel pour agir. Partant du constat que l’État et le marché n’ont pas la capacité, la volonté, voire la légitimité, pour organiser efficacement et durablement nos existences, ils ont décidé d’œuvrer eux-mêmes pour transformer leur vie et celle des autres autour d’eux.

“Ces femmes et ces hommes ne proposent pas un modèle de sortie du capitalisme clé en main mais apportent des réponses viables et applicables à court terme à des problèmes du quotidien : se nourrir, se loger, travailler, éduquer les enfants, produire de l’énergie, fabriquer et réparer des objets, faire vivre son quartier... Leurs actions sont ancrées dans le réel et visent à transformer l’ici et le maintenant : Ils créent des monnaies locales, des banques villageoises, des entreprises coopératives, des parcs éoliens citoyens, des zones de résistance créative, des habitats groupés, des ateliers d’auto réparation de vélo, des circuits courts producteurs-consommateurs...

“À l’heure où les urgences écologique et sociale frappent chaque jour avec plus d’insistance aux portes de nos consciences, ces citoyens croient en la possibilité d’un avenir meilleur et le mettent en œuvre dès aujourd’hui. En inventant de nouveaux rapports aux autres, à la politique, à l’économie, à la propriété et à la nature, ils luttent contre le fatalisme – « de toute façon on n’y peut rien » – en prouvant que chacun a sa place dans le changement social. Ils font renaître l’espoir et nous invitent à prendre part à la révolution en cours.

“Quand j’ai découvert ces initiatives, je n’y ai d’abord vu que des projets enthousiasmants mais anecdotiques. Des pansements humanistes incapables de juguler le cancer capitaliste. Mais, au fil de mes recherches, je me suis rendu compte que des oasis d’humanité surgissaient dans toutes les régions de France, dans tous les domaines de notre vie. Pas un jour ne passait sans que je découvre une nouvelle action citoyenne, concrète et locale qui propose une alternative au mode de vie, d’organisation, de consommation et de production contemporain. J’avais le sentiment de voir apparaître, sous mes yeux, un mouvement de fond, la traduction en actes d’une volonté partagée de rompre avec le vieux monde (consumériste, individualiste, productiviste, détaché de la nature) et d’en bâtir un nouveau.

- La fête de Nature et progrès, août 2014 -

(...)

« Fort de mon optimisme retrouvé, je suis parti à la rencontre de ces femmes et de ces hommes qui écrivent au présent l’histoire de notre futur afin de (me) prouver que le changement était encore possible. Pendant six mois, j’ai sillonné les routes de France. J’ai regardé se bâtir ou fonctionner une cinquantaine de projets alternatifs, rencontré leurs inventeurs et tous ceux qui s’y consacrent et qui nous donnent un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler un monde basé sur le partage, l’entraide, la coopération et la démocratie. Cette virée en utopie de plus de trois mille km m’a conduit du bocage de Notre-Dame des Landes aux quartiers populaires de Marseille, d’un village du Doubs aux beaux quartiers parisiens, des squats toulousains au parc régional du Lubéron. Partout, j’ai pu observer une même envie des habitants de reprendre en mains leur existence. Ce livre est l’aboutissement de ce voyage. »

Et viennent ensuite, racontées avec entrain autant d’histoires vraies qui racontent le monde en devenir, celui qui pourrait être si nous parvenons à bousculer l’ordre établi du capital et du productivisme.

- A la Grole Bagnade -

La démarche d’Emmanuel Daniel est aussi, en soi, une alternative. Il a choisi de pratiquer un journaliste « engagé », au sens où il a mis en pratique dans sa vie et dans ses reportages les modes d’existence des groupes qu’il allait visiter, voyageant en stop ou en co-voiturage, pratiquant la sobriété, s’installant avec son sac de couchage dans les Zad le temps qu’il fallait (encore récemment, pour Reporterre, au Testet). Participant, mais conservant aussi ce regard de journaliste, décalé, en retrait, qui est indispensable à une relation pertinente du monde.

Il s’est retrouvé naturellement avec Reporterre, à moins que ce ne soit l’inverse, parce que nous sommes aussi une « alternative », tant il est vrai que le champ de l’information doit être bousculé par des pratiques indépendantes des grands capitaux qui y règnent en maître et qui asservissent, disons-le, la majorité des journalistes.

Et puis, tous les jours, Reporterre raconte une alternative, et nous avons eu envie, avec Emmanuel, de prendre du champ : à la fois en prenant le temps de l’écriture et du récit, qu’il a mené - vous le lirez, j’espère - brillamment, et puis aussi en réfléchissant au sens que prenaient ces alternatives. Car le mouvement pour changer le monde prend maintenant une dimension de plus en plus ample, que marquent le succès des Alternatiba ou les reportages tels que ceux de Philippe Borel (L’urgence de ralentir) ou d’Eric Dupin (Les défricheurs), ou encore le film que sort prochainement Marie-Monique Robin, Sacrée croissance.

- A Toulouse, la "coopérative intégrale’ -

Mais le succès même de ce mouvement pose une question nouvelle : est-il vraiment un outil de transformation du monde ou un moyen de panser les plaies les plus manifestes provoquées par le système dominant, donnant en fait à celui-ci les moyens de perdurer ? La satisfaction à trouver localement des solutions ne laisse-t-elle pas intacte la cohérence des pouvoirs en place ? La multiplication des micro-changements influe-t-elle réellement sur la puissance du régime oligarchique et des choix imposés par la finance mondialisée ? Et même, ne pourrait-elle pas être récupérée par le système ?

Dans son livre, Emmanuel Daniel penche pour l’optimisme, et d’autant plus que la lutte est souvent associée à ces alternatives, comme sur la Zad de Notre Dame des Landes, qu’il raconte à sa façon. Mais cette tension entre solutions alternatives et combat à mener contre la destruction du monde ne doit jamais être oubliée, et les deux énergies doivent se féconder et se renforcer. Sans quoi, nous ne serons que... des alternatifs benêts !

Alternativons, oui. Mais sans jamais oublier le rapport des forces et la violence des forces qui dominent aujourd’hui.


-  Le tour de France des alternatives, Emmanuel Daniel, éd. Seuil-Reporterre, 144 p., 10 €.

Ce livre est aussi, en soi, une alternative, puisqu’il est édité en partenariat entre Le Seuil et Reporterre. Vous passerez un bon moment en le lisant, et en plus, vous soutiendrez Reporterre.

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