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Culture et idées

Le temps est un univers à reconquérir

Ça y est, c’est la rentrée. Qui dit rentrée dit retour à un emploi du temps, aux agendas serrés, aux urgences de dernière minute, au stress du retard, etc. Bref, au temps qui manque. Une fatalité ? Pas sûr. Un documentaire passionnant donne à voir des solutions qui redéfinissent un autre rythme de vie.

« Toujours plus rapide, toujours plus efficace, toujours plus rentable » : ceci n’est pas la nouvelle devise des Jeux Olympiques revisitant le célèbre « citius, altius, fortius » de Pierre de Coubertin, mais l’injonction de notre époque. « Le temps ne semble plus pouvoir échapper à la commune mesure de l’argent. Nous sommes entrés dans l’ère de l’accélération, de l’immédiateté devenue norme » nous dit ainsi L’urgence de ralentir dans son propos liminaire.

Dans ce remarquable documentaire diffusé mardi soir sur Arte, Philippe Borrel interroge l’histoire d’une réalité aux allures de paradoxe : alors que le monde n’a jamais été connecté aussi vite grâce à une technologie toujours plus rapide, le temps paraît chaque jour plus court et la pression augmente à mesure que l’on s’essouffle à courir derrière lui. Tel le hamster, pris au piège de l’accélération de sa propre roue.

« La société moderne est devenue une machine avançant à l’aveugle, à l’encontre des promesses d’auto-détermination de la modernité », explique le philosophe allemand Hartmut Rosa. Mais qui sont donc les coupables d’une telle aliénation ? Le capitalisme et ses attributs – compétition, profit et croissance – qui, en imposant la logique du court-terme, ont contribué, 250 ans plus tard, à faire du « time is money » de Benjamin Franklin, non plus seulement une prophétie mais un principe effectif de réussite économique.

C’est ce qu’ont compris certains qui, profitant des nouvelles technologies, ont construit leur fortune en devenant les « maîtres du temps », tel Thomas Petterfy, fondateur d’une firme de trading à haute fréquence et stupéfiant de cynisme. Sont ainsi décryptés les rouages de la financiarisation d’une économie basée sur une multitude de produits, dérivés eux-mêmes, rattachés à des programmes informatiques toujours plus sophistiqués. Une économie hors de contrôle, en fin de compte, puisqu’elle repose sur des algorithmes qui dépassent largement les capacités humaines, réagissant infiniment plus vite qu’« il ne faut de temps pour cligner de l’œil ».

Cette cadence infernale a fini par imprégner tous les pans de la société, et c’est ainsi que sont dictés les rythmes de nos vies. Technique mais accessible, la démonstration nous laisse au bord d’un certain vertige. A travers cet exercice, Philippe Borrel poursuit le sillage tracé par son précédent documentaire, Un monde sans humains, qui questionnait la fuite en avant du progrès technologique et des formes actuelles du transhumanisme.

Conséquence ? C’est une « colonisation du temps humain – dans toutes ses dimensions biologiques, sociales, écologiques – par le temps économique, qui est un temps vide, un temps sans racine, un temps sans société, seulement occupé par la circulation des capitaux et de l’information », résume Geneviève Azam. La guerre du temps est donc aussi celle des imaginaires, et là réside la bonne nouvelle : on peut vivre un autre rapport au temps.

A la Ferme du Bec Helouin

« L’intérêt est de montrer qu’il existe des manières différentes de réinvestir le temps. Je voulais représenter une autre vision du ’ici et maintenant’ que porte tout un ensemble d’alternatives souvent hors-champ des grandes caméras », indique le réalisateur à Reporterre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le film s’ouvre sur la contestation des travaux du Lyon-Turin et se referme sur les manifestations à Notre- Dame-des-Landes, deux projets d’infrastructures de transport qui cristallisent une opposition revendiquant une autre vision du monde, donc du temps.

Le réalisateur consacre une partie importante du film à l’étude du mouvement des monnaies locales complémentaires, dont l’intérêt premier est de remettre l’économie à sa juste place, « celle d’une unité de compte », selon le décroissant Michel Lepesant. Romans-sur-Isère, Bristol ou le réseau Balle témoignent ainsi de cette dynamique internationale.

Philippe Borrel emmène aussi le téléspectateur à travers le monde, d’Inde où le Barefoot College forme des femmes à l’ingénierie des énergies solaires aux Etats-Unis où des coopératives alimentaires ont depuis longtemps fait la preuve de leur réussite, tandis qu’il suit en France la naissance du collectif pour une transition citoyenne et donne entre autres la parole aux Colibris.

Mais quel lien, au fond, entre ces initiatives et le temps ? Toutes, pour échapper au « diktat de l’urgence », font le choix de la relocalisation. C’est autour de cette idée que se construit notamment le mouvement de la Transition lancé à Totnes en 2006 et dont Rob Hopkins, l’un des fondateurs, rappelle qu’il a pour but d’ « ouvrir localement le champ des possibles ».

C’est ce que Philippe Borrel s’attache à faire valoir : « La relocalisation est le pendant de leur combat sur le temps. Le vrai dénominateur commun, c’est la volonté de réapprendre, là où le capitalisme a dépossédé. Le vrai enjeu est l’autonomie, qui implique un rapport plus fertile au temps, mais aussi un ancrage sur un territoire bien identifié ».

Philippe Borrel

Avec L’urgence de ralentir, il livre tout à la fois des clés de compréhension du monde actuel – la compression du temps sert l’intérêt des puissants qui imposent leur tempo – et l’esquisse d’une porte de sortie – qui ouvre sur la redéfinition d’un juste espace-temps.

- vu par Barnabé Binctin


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