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Climat

Les ONG écologistes et de solidarité déplorent l’incohérence du gouvernement sur la taxe carbone

Les ONG environnementales et de solidarité sont mitigées après les annonces gouvernementales pour calmer le mécontentement des « gilets jaunes ». La juste mesure entre l’accélération de la transition écologique et l’impératif de justice sociale reste à trouver.

La transition écologique est-elle compatible avec la justice sociale ? C’est une question fondamentale que pose le mouvement des « gilets jaunes » aux défenseurs de l’environnement. Une question à laquelle les ONG environnementales et de solidarité, ainsi que le syndicat CFDT ont tenté de répondre mercredi 14 novembre au matin lors d’une conférence de presse commune.

Que ce soit par la crise écologique ou par la hausse du prix des carburants, « les plus pauvres sont les plus affectés », a souligné Daniel Verger, du Secours catholique. « Les familles qui s’éloignent des centres-ville pour aller dans les zones rurales et la grande banlieue sont les plus fragiles, et elles n’ont pas d’autre choix que d’utiliser la voiture », a également rappelé Dominique Allaume-Bobe, administratrice de l’Union nationale des associations familiales (Unaf).

Le message est donc unanime : ils comprennent la colère des « gilets jaunes ». « Du point de vue des plus précaires, la taxe carbone est une mauvaise nouvelle, elle augmente les inégalités car elle représente une plus grande proportion de leurs revenus », a reconnu Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre. Mais, alors que ces automobilistes en colère contre la montée du prix des carburants appellent à manifester et bloquer les routes ce samedi 17 novembre, les ONG et la CFDT n’entendent pas rejoindre le mouvement. Elles saluent au contraire la déclaration du Premier ministre, Édouard Philippe, mercredi matin sur RTL, qui a confirmé le maintien de la taxe carbone, des hausses à venir, et de l’objectif de passer, au moins en partie, d’une fiscalité sur le travail à une fiscalité sur la pollution.

« On demande aux citoyens de payer une taxe au nom de la transition écologique, mais une très faible part de cette taxe y est consacrée ! » 

Une priorité : lutter contre les « passoires thermiques ».

« La revendication des “gilets jaunes” est de revenir sur la taxe carbone. Ce n’est pas notre position, a poursuivi Manuel Domergue. Nous voulons au contraire en faire un outil encore plus fort de transition énergétique. La question est : que fait-on des recettes de cette taxe ? » « La taxe carbone doit être perçue comme juste, efficace, transparente », a insisté Benoit Leguet, directeur de l’Institute for Climate Economics.

« La justice manque depuis un long moment, a également estimé Laurence Tubiana, directrice générale de la Fondation européenne pour le climat. Quand le gouvernement a décidé d’augmenter la taxe carbone dans la loi de finances 2018, il n’y a pas eu le fameux "en même temps". Et le Premier ministre se retrouve maintenant à corriger le tir. On savait pourtant qu’il y allait avoir une augmentation du prix des carburants. »

Afin de calmer le mécontentement, le Premier ministre a promis mercredi une série de mesures pour « accompagner les français dans cette transition, car elle est difficile ». La taxe carbone a un effet sur les prix à la pompe, mais également sur le prix du gaz ou du fioul servant au chauffage des foyers. Parmi les annonces du gouvernement se trouve donc l’élargissement du chèque énergie, une aide versée automatiquement aux foyers précaires pour payer leurs factures. Il devrait bénéficier à 5,6 millions de foyers en 2019, contre 3,6 millions auparavant. Le Premier ministre a également confirmé que ce chèque passerait de 150 à 200 euros. Une incitation supplémentaire à l’abandon des chaudières au fioul, les plus émettrices de gaz à effet de serre, devrait également être mise en place à partir de 2019.

Côté voiture, la création d’une « super prime » à la conversion des véhicules fait également partie des mesures. Elle viendra doubler la prime actuelle, la portant à 4.000 euros, et concernera les 20 % de ménages les plus modestes. L’objectif du gouvernement est d’atteindre « 1 million de primes à la conversion d’ici à la fin du quinquennat ». Par ailleurs, un élargissement des indemnités kilométriques pour les gros rouleurs a été évoqué, visant « ceux qui roulent beaucoup avec des véhicules qui polluent moins ».

Ce n’est pas trop tôt, estiment les écologistes. « Ces mesures, nous les demandions depuis des mois et des mois, et on nous le refusait pour des questions de coût budgétaire. Et voilà que c’est fait dans l’urgence », remarque Pascal Canfin, directeur général du WWF.

Cependant, l’ensemble est « décevant », a estimé Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la nature et pour l’Homme (FNH). Le montant des mesures annoncées a été évalué à 500 millions d’euros par an par le Premier ministre. Or, les ONG ont calculé que la hausse de la taxe carbone rapporterait 15 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat, dont 2,8 milliards d’euros dès 2019. « Nous mettons en exergue l’incohérence de la situation. On demande aux citoyens de payer une taxe au nom de la transition écologique, et une très faible part de cette taxe y est consacrée », a soulevé la présidente de la FNH.

« L’enjeu est que les aides n’incitent pas au changement de véhicule mais de moyen de transport » 

Autre regret, « ce sont des mesures de court terme », a souligné Dominique Allaume-Bobe de l’Unaf. Les organisations ne manquent pas d’idées pour aider le gouvernement à voir à long terme.

Le Secours catholique, l’Unaf, et la Fondation Abbé Pierre insistent sur la rénovation des « passoires énergétiques », ces habitations très mal isolées qui font exploser la facture pour leurs occupants. Les financements actuels pour aider à leur rénovation ont été qualifiés d’ « insuffisants ». « Le crédit d’impôt pour la transition énergétique [il permet de déduire certains investissements de chaudière ou isolation] a été divisé par deux, et le budget du ministère du Logement est celui qui est le plus mis à contribution dans les économies de budget », a regretté Manuel Domergue.

Daniel Verger a, de son côté, demandé « plus de cohérence des politiques publiques pour limiter les mobilités contraintes : faire 1 h 30 de voiture pour aller voir un conseiller CAF ou aller à la maternité, ce n’est pas possible ». Alors que les guichets et services publics ferment, il estime au contraire que réimplanter ces services sur les territoires réduirait les besoins de mobilité.

La future loi sur les mobilités et la programmation pluriannuelle de l’énergie seront aussi des occasions, a souligné Audrey Pulvar : « Il faut soutenir le développement du réseau ferré, des transports en commun, et des mobilités actives telles que le vélo. Tout cela manque dans les annonces du gouvernement. » « L’enjeu pour nous est que les aides n’incitent pas seulement au changement de véhicule mais de moyen de transport », a insisté Lorelei Limousin, responsable transports au Réseau Action Climat France. « Les mesures ne vont pas assez vers l’accompagnement de la sortie de la dépendance au pétrole », a résumé Pascal Canfin.

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