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Monde

Les Suisses ont rejeté la sortie du nucléaire

Le peuple suisse a rejeté dimanche 27 novembre l’initiative populaire des Verts et des environnementalistes pour la sortie du nucléaire. Mais celui-ci n’a probablement gagné que quelques années de sursis dans la Confédération helvétique.

-  Actualisation - Lundi 28 novembre 2016 - Genève, correspondance - La sortie du nucléaire a été rejetée dimanche 27 novembre par les électeurs suisses : 54,23 % des voix contre 45,77%, et 20 cantons sur 26.

Avec 45 % des voix en faveur de la sortie, la défaite est honorable, mais il s’agit d’une défaite tout de même. Qui s’explique par plusieurs raisons. Un engagement relativement marqué des milieux pronucléaire, tout d’abord. Le lobby des barons de l’atome pèse lourd aux Chambres. Cela lui donne une assise et une visibilité médiatique accrue.

Et une part importante des votants a visiblement fait confiance à un Conseil fédéral favorable à la sortie du nucléaire, mais pas au rythme voulu par l’initiative. Cela a pu démobiliser une partie de l’électorat qui a cru que le combat est gagné sur le principe.

Enfin, l’initiative est restée par trop identitaire du combat des Verts. Il a manqué un mouvement social élargi pour porter ce combat au-delà des personnes sensibilisées à l’écologie.

Et maintenant ? Il s’agira de prendre au mot ceux qui ont combattu le texte écologiste tout en affirmant, la bouche en cœur, être favorables sur le long terme à une sortie du nucléaire. Car, initiative ou pas initiative, ce changement de filière technologique se produira. Et plus vite que ne le prévoit la Stratégie énergétique 2050 qui a servi de contre-projet indirect au texte des Verts. Mühleberg fermera en 2019, Beznau I et Leibstadt sont actuellement à l’arrêt. Qui sait quand et si ces centrales seront autorisées à redémarrer ? Et pour combien de temps ?

Les heures de l’énergie atomique sont en fait comptées. Les milieux économiques qui ont combattu l’initiative en arguant de la nécessaire sécurité des conditions cadres de l’économie se trompent. De fait, l’incertitude est aujourd’hui plus grande – une fermeture d’une centrale pourrait intervenir à n’importe quel moment, pour cause de non-rentabilité économique – qu’elle ne l’aurait été en cas de sortie planifiée par étapes du nucléaire.

Ce qui ne veut pas dire que le combat est gagné. Il est probable qu’une partie de ces milieux cherche à gagner du temps en espérant une résurrection de l’atome au niveau international. Pour dépassée qu’elle soit, cette filière ne se laissera pas enterrer sans réagir. Et elle peut trouver des soutiens des milieux intéressés uniquement par les profits à court terme, incapables de construire un avenir durable et prêts à jouer avec notre sécurité.


-  Genève, correspondance

Sortir du nucléaire ? Ce dimanche, les Suisses se rendent aux urnes, comme ils le font entre quatre et cinq fois par an dans le cadre de votations populaires. Ceci sur un unique objet, mais emblématique : le nucléaire. Il leur est demandé d’approuver ou de rejeter une initiative populaire fédérale lancée par les Verts et une série d’associations de défense de l’environnement.

Ce texte, intitulé « Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire », a été lancé en 2012, dans la foulée de l’accident de Fukushima. Le nombre de signatures requis -100.000, à récolter dans un délai de dix-huit mois- ayant été atteint, la proposition de sortir du nucléaire a été débattue au niveau du Parlement fédéral.

Les deux chambres – le Conseil national, chambre basse, et le Conseil des Etats, chambre haute – ont renoncé à lui opposer, comme le permet le droit, un contre-projet. En revanche, de manière implicite, les opposants à cette initiative se référent à la Stratégie énergétique fédérale 2050. Ce texte voté par les Chambres mais refusé –une contestation dans les urnes par voie référendaire est évoquée - par la droite populiste (l’Union démocratique du centre, UDC) prévoit une fermeture des cinq centrales nucléaires suisses au terme de leur durée de vie.

Le problème étant que l’échéance est floue et n’empêcherait juridiquement pas une prolongation de la durée d’exploitation. Or, la Suisse possède déjà les plus vieilles centrales atomiquesdu monde : Beznau I est considéré comme le plus vieux réacteur du monde encore en service. Il fonctionne depuis 47 ans ! Cela pose de sérieux problèmes en matière de sécurité.

L’initiative proposée au peuple suisse mise au scrutin ce dimanche fixe pour sa part des durées maximales de fonctionnement aux centrales existantes et interdit la construction de nouveaux réacteurs. Si elle est acceptée, les centrales de Beznau I et de Beznau II (dans le canton d’Argovie, nord de la Suisse), ainsi que celle de Mühleberg (Berne) devront être mises hors service en 2017. Celle de Gösgen (Soleure, nord-ouest de la Suisse) pourrait fonctionner jusqu’en 2024 et celle de Leibstadt (Argovie) jusqu’en 2029.

Le texte fixe par ailleurs des lignes directrices permettant de réaliser des économies d’énergie –le plus grand gisement d’énergie, en fait- et pour promouvoir les énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien et géothermie). Actuellement, la production d’électricité verte (hors hydraulique), équivaut à celle d’un réacteur nucléaire).

Le nucléaire couvrait environ 40 % de la consommation électrique suisse évaluée à 62.574 GWh (Gigawattsheures). Le solde, les barrages hydrauliques, représentant 60 %. Mais, actuellement, deux des cinq réacteurs sont à l’arrêt, Beznau I et Leibstadt, pour des raisons de sécurité. Et la centrale de Mühleberg – dont l’enceinte de confinement présente des micro-fissures– va cesser sa production à l’horizon 2019, comme en a décidé son exploitant.

Il a été calculé que Gösgen et Leibstadt devraient investir environ 1 milliard de francs suisses (930 millions d’euros) pour répondre aux exigences de l’autorité chargé de la sécurité des centrales : l’Inspection fédé-rale de la sécurité nucléaire.

Cette immobilisation signifie qu’actuellement plus de la moitié de la production électrique d’origine électronucléaire est gelée et que sa part réelle dans la production indigène d’électricité est plus proche de 20 %. Un argument qui pèse d’un poids certain dans la campagne alimentée à coup de slogans catastrophistes et de clips alarmistes mettant en scène le risque de pénurie pour les ménages et l’économie.

Reste qu’il sera très difficile de l’emporter en votation. Pour des raisons historiques, tout d’abord. Sur les quelque 150 initiatives déposées depuis 150 ans, seules 10 % on effectivement passé la rampe.

Institutionnelles, ensuite. Une initiative populaire, pour être acceptée, doit réunir une double majorité. Celle du peuple, tout d’abord. Mais aussi celle des vingt-six cantons et demi-cantons. Soit une majorité de 13,5 cantons et demi-cantons. Ce qui est relativement difficile à réaliser. En 1990, le peuple suisse a accepté le principe d’un moratoire sur la construction de nouvelles centrales par 55 % des votants et une majorité de 17 cantons et 5 demi-cantons.

Ce consensus relativement large s’expliquait alors par la question de l’enfouissement des déchets qui concernait toute une série de cantons de la Suisse dite primitive, les cantons alpins, politiquement conservateurs mais très rétifs à l’idée d’une pollution de leur sous-sol. Une question reléguée en arrière-plan de la présente campagne, alors que la question demeure centrale.

Ce clivage entre centres urbains, critiques par rapport au nucléaire et des campagnes au vote plus institutionnel et conservateur –en Suisse le nucléaire est largement tributaire du clivage gauche-droite- pourrait bien se manifester.

La troisième raison est sans doute plus politique et tient à la difficulté des initiants d’inscrire leur campagne dans un vaste mouvement social, condition sine qua non pour espérer faire passer un tel texte. Mais cela ne se décrète évidemment pas.

En cas de verre à moitié plein, un bon score –par exemple une victoire à la Clinton aux voix mais une défaite pour cause de nombre insuffisant de cantons -, serait tout de même un signal très positif. Il assoirait la position de la conseillère fédérale Doris Leuthard – représentante démocrate-chrétienne (centre) au collège gouvernemental helvétique formé de sept représentants- qui a manifesté des velléités antinucléaires mais a été freinée par sa base parlementaire plus conservatrice.

Et ce rendez-vous électoral a permis de prendre note d’évolutions politiques significatives sur ce dossier. Des gouvernements cantonaux comme Genève ont officiellement pris position pour une sortie du nucléaire, comme le recommande une disposition antinucléaire inscrite dans la constitution genevoise depuis 1986, suite à une initiative populaire cantonale.

Mais on a aussi vu des sections cantonales du Parti démocrate-chrétien désavouer leur faitière et s’engager en faveur de l’initiative des Verts. On notera aussi que les délégués de la section genevoise du Parti libéral-radical (grosso modo l’équivalent des Républicains en France) ont pris position en faveur de la proposition écologiste à hauteur de 40 %. Un score inimaginable il y a une vingtaine d’année où seules quelques rares personnalités issues du courant dit humaniste et sorti du moule protestant de ce parti de banquiers et grands industriels osaient s’afficher de la sorte, au grand dam des représentants de la finance, hégémoniques dans ce parti.

Enfin, relevons un dernier clivage lié à l’histoire. La constante antinucléaire dans un canton comme Genève est lié à la fois à des luttes sociales contre l’implantation d’une centrale sur le site de Verbois, en aval de la cité de Calvin sur le tracé du Rhône. Et à la lutte emblématique –et victorieuse– contre le projet de surgénérateur Superphénix (Isère) –situé à 70 kilomètres de Genève- qui a aussi laissé des traces durables. Les collectivités locales avaient notamment financé une partie des recours ayant permis de bloquer ce projet, très contesté sur sol helvétique. Elles sont également impliquées contre le projet d’implanter un dépôt de déchets radioactifs sur le site du Bugey (Ain) situé lui-aussi à quelques encablures de la Suisse.

Bâle a une sensibilité similaire suite aux grandes manifestations des années septante contre le chantier de Kaiseraust, un projet de centrale finalement abandonné après des occupations du site et qui obligé la Confédération à indemniser les promoteurs du projet à hauteur d’un milliard de francs (930 millions d’euros).

En cas d’acceptation de l’initiative, les propriétaires des centrales suisses ont d’ores et déjà annoncé qu’ils feraient valoir leurs intérêts financiers.

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