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Les électeurs de gauche et écologistes ne sont pas responsables de la montée du Front national

Le référendum pour « l’unité » des partis de gauche aux élections régionales lancé par le premier secrétaire du PS a laissé un goût amer à Caroline De Haas. Elle n’accepte pas que les électeurs de gauche soient rendus responsables de la situation politique créée par le PS. Et, avec d’autres, elle lance un contre-référendum de gauche.

Caroline De Haas est militante féministe. Elle est l’une des initiatrices du référendum « Face à la droite et l’extrême droite, souhaitez-vous que le gouvernement mène une politique de gauche ? ». Son compte Twitter : @carolinedehaas


Lorsque Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste, a annoncé un référendum auprès des citoyennes et citoyens pour l’unité des partis de gauche aux régionales, j’ai d’abord cru à une farce. Comment le principal parti politique de gauche de ce pays pouvait-il passer du temps et de l’énergie, dans la période actuelle, à se concentrer sur des histoires d’appareils ? La plupart des responsables de gauche qui ont réagi l’ont d’ailleurs souligné : le premier tour des élections n’est pas là pour rien.

Par curiosité, je suis allée jeter un coup d’œil sur le site de ce référendum pour « l’unité ». Et quelque chose m’a gêné. Puis carrément embêté. J’ai mis un moment à comprendre que ce site, censé organiser le processus de vote, un processus démocratique, nous indique d’entrée de jeu ce qu’il faut voter. Vous allez me dire, ça fait des économies. Un seul bulletin de vote, un dépouillement beaucoup plus rapide et une victoire assurée. Pratique.

La page d’accueil du site du référendum pour « l’unité », lancé par le PS.

Sur ce site pour « l’unité », impossible de trouver des analyses sur l’état de la gauche, les raisons de l’éloignement des citoyennes et citoyens de la pratique politique, des réflexions qui expliquent pourquoi de tels accords entre les différents partis permettraient de changer la vie des gens, un début de commencement de programme, des témoignages de citoyennes et citoyens. Rien de tout ça.

En fait, en quelques pages, le site résume les deux possibilités qui te sont offertes à toi, sympathisant-e de gauche : soit tu es pour l’unité avec les socialistes, soit tu es pour l’extrême-droite. Le choix est donc on ne peut plus réduit.

Tout ça, c’est ta faute

Au début, j’ai décidé d’en rire. Cette initiative, à deux mois des régionales, ressemblait un peu à un « sauve-qui-peut ». Et puis je me suis dit qu’en fait, ce n’était pas drôle du tout.

Parce qu’au fond, le message que m’envoie Jean-Christophe Cambadélis, c’est que tout ça, c’est de ma faute.

Mais par quel incroyable tour de passe-passe peut-il me faire retomber sur les épaules la responsabilité de la situation actuelle ?

Pourquoi serait-ce à moi d’assumer leurs échecs électoraux plutôt qu’à eux, qui n’ont pas tenu la moitié du quart de leurs promesses de campagne ?

Pourquoi serait-ce à moi d’aller voter pour des gens avec lesquels je suis en désaccord plutôt qu’à eux de changer leur programme politique pour me convaincre ?

Pourquoi serait-ce à moi de porter la responsabilité du vote FN plutôt qu’à celles et ceux qui ont le pouvoir de changer la donne ?

Pourquoi serait-ce à moi d’être toujours conséquente pour deux alors que ces irresponsables ont piétiné mon vote du 6 mai 2012, et celui de millions de gens avec ?

C’est totalement lunaire. Et dangereux

C’est quand même une étrangeté de notre vie politique qui veut que le principal parti au pouvoir renvoie sur l’ensemble des autres formations et militant-e-s politiques la responsabilité de son échec. Échec à tenir ses engagements, échec à transformer les rapports de forces dans la société, échec à faire reculer le racisme ou les violences contre les femmes, échec à mettre en œuvre des promesses comme le droit de vote des étrangers ou la fin du contrôle au faciès, échec à résister aux lobbys pétroliers, échec à renforcer les protections sociales, échec à parler de solidarité plus que de fermeté à l’arrivée des réfugié-e-s…

Mais comment est-il possible que des militant-e-s sincères, de gauche, se laissent embarquer dans une aventure pareille et continuent à militer et à payer une cotisation pour cette mascarade ? Comme si quelqu’un d’un peu censé pouvait penser un seul instant que Cécile Duflot, Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon réunis avaient plus de responsabilités dans l’état de notre pays que François Hollande, Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis. C’est totalement lunaire. Et dangereux : cela signifie qu’au final, ces derniers ne seraient pas responsables de grand chose.

Le pouvoir de changer la donne

Je suis convaincue qu’un ou une président-e de la République a le pouvoir de changer la donne. S’il le souhaite et s’il s’en donne les moyens. Le problème ? Notre président a l’air d’être convaincu qu’il n’a pas le choix, qu’il n’y aurait pas d’alternative. La gauche, pour moi, c’est l’inverse. C’est l’idée que nous pouvons tracer un chemin qui bouscule l’ordre établi et repousse les limites. Laisser penser qu’il n’y a pas d’alternative, c’est faire reculer la conscience de gauche de notre pays. Et ouvrir la voix aux réactionnaires de tous poils.

J’ai le sentiment d’un terrible gâchis. Nous avons été des millions à voter pour eux en 2012. Des millions, partout en France. Qu’ont-ils fait de nos voix ?

La page d’accueil du site du référendum pour « une politique de gauche ».

Le but du référendum que nous avons, à notre tour, décidé de mettre en place est donc de participer à ouvrir le débat politique. Il propose de répondre à une question simple : « Voulons-nous que la gauche soit de gauche ? » Certes, cela peut paraître basique. Mais en regardant ce qui se passe depuis 2012, j’ai parfois le sentiment que revenir aux fondamentaux ne peut pas nous faire de mal. Les internautes peuvent s’inscrire en ligne pour pouvoir voter du 16 au 18 octobre.

Et si ce « contre-référendum », comme l’ont baptisé les médias, peut participer à montrer que nous sommes nombreuses et nombreux à ne pas être dupes et à vouloir construire l’alternative, il aura atteint son but.

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