Les forêts du bassin du Congo de plus en plus menacées

Durée de lecture : 5 minutes
Forêts tropicales MondeLa diversité des forêts du bassin du Congo vient d’être cartographiée. Une première, qui permet de prévoir leurs vulnérabilités à l’horizon 2085 sous les effets du changement climatique et de la croissance démographique.
Une grosse tache verte. C’est comme ça que sont généralement représentées les forêts tropicales d’Afrique sur les cartes du continent. Cette uniformité caractérise pourtant bien mal le second massif de forêt dense tropicale humide au monde après l’Amazonie. Une étude publiée dans Nature le 21 avril cartographie ces forêts, selon les milieux et les caractéristiques des espèces qui y poussent. Des résultats permis grâce à l’accès à des bases de données inédites : celles des entreprises forestières qui exploitent la région.
« Cette zone est peu étudiée à cause des difficultés à accéder au terrain, explique Maxime Réjou-Méchain de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et premier auteur de l’article. Grâce aux inventaires forestiers de 105 concessions forestières, on a pu changer d’échelle dans le jeu de données disponibles. En effet, l’exploitation forestière dans la région correspond à des coupes ciblées de quelques arbres à l’hectare mais les inventaires forestiers recensent plus largement les essences présentes sur les parcelles. » Les compagnies forestières, présentes sur toute la zone, qui s’étend du Gabon et du Cameroun à l’ouest au Congo, à la République démocratique du Congo (RDC) et à la République centrafricaine (RCA), couvrent 30 % de la surface forestière. Au total, 6 millions d’arbres ont ainsi été recensés, appartenant à 193 genres ou espèces végétales.
Dix grands types de forêts
Ces données, une fois nettoyées « pour éliminer celles peu fiables transmises par certaines entreprises », précise le chercheur, ont permis aux scientifiques de mettre en place un modèle de distribution de dix grands types de forêts sur cette zone. Ces types floristiques croisent à la fois des caractéristiques des espèces (comme la densité du bois), et les différents types de climat et de sols, mais aussi les pressions des activités humaines. Après avoir cartographié les forêts, les chercheurs ont évalué leur vulnérabilité au changement climatique et aux pressions anthropiques. Là encore, les chercheurs ont dû surmonter une nouvelle difficulté, non plus liée à l’accès aux données, cette fois, mais à la prédiction de l’évolution de la flore dans des conditions climatiques inédites. « En 2085, les forêts seront soumises à des climats nouveaux et nous ne sommes donc pas capables de prédire leurs capacités d’adaptation, explique l’écologue. D’où l’idée de plutôt regarder là où la forêt est plus ou moins affectée, donc sa vulnérabilité. »
Résultat, la carte publiée ci-dessous montre de fortes différences de vulnérabilité en fonction des forêts. « La fragilité des forêts de RDC, qui représente la moitié des forêts d’Afrique centrale, s’explique à la fois par les conséquences importantes du changement climatique dans cette zone et l’explosion démographique avec une population multipliée par sept », commente Maxime Réjou-Méchain. Pour caractériser cette vulnérabilité au changement climatique, les chercheurs ont, parmi leurs critères, notamment regardé l’exposition à ce changement des différentes forêts du bassin. En effet, selon les scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), certaines zones vont expérimenter des changements beaucoup plus forts qu’ailleurs.

Ainsi, la RDC va connaître des augmentations de température très fortes, jusqu’à « plus 3 °C attendus en 2085 par rapport à 2000, ce qui est énorme », souligne Maxime Réjou-Méchain. D’autres, sur la façade atlantique, seront plus protégées. Les chercheurs ont également regardé la diversité des lignées d’espèces végétales de chaque forêt, donc la diversité de leurs histoires évolutives. L’hypothèse étant que plus les forêts abritent des lignées phylogénétiques [1] différentes, mieux elles s’adapteront. C’est en effet une idée forte en écologie que la diversité multiplie les réponses possibles aux changements, et donc que plus cette diversité est élevée, plus les capacités à s’adapter à de nouveaux contextes sont grandes.
Débat sur l’origine des pressions humaines sur la forêt
Pour mesurer les pressions des activités humaines sur les forêts, les chercheurs ont construit un indice à partir du réseau des routes principales et de la densité humaine, en s’appuyant sur l’hypothèse que les principales destructions sont faites par les populations locales, en particulier l’abatis-brûlis. Ils ont ensuite fait évoluer cet indice au cours du temps en fonction de la croissance démographique selon les prédictions des Nations unies. Maxime Réjou-Méchain s’explique sur ce choix : « C’est un indice simple, qui a amené à beaucoup de questions par les relecteurs scientifiques de notre article. Mais il marche bien, même si on sous-estime les pressions anthropiques. » Qu’en est-il des conséquences de l’exploitation forestière ? « L’exploitation forestière ne fonctionne pas avec des coupes franches comme en Amazonie ou en Asie. Les principaux dégâts de cette exploitation sélective est causée par les routes », défend le chercheur.
Son collègue de l’IRD, le spécialiste de la gouvernance des forêts tropicales Symphorien Ongolo, ne partage pas cette analyse : « La démographie est un indicateur très réducteur. Cette approche occulte la dimension d’économie politique qui sous-tend les leviers de déforestation en Afrique centrale. » Parmi les moteurs de la déforestation, le politiste souligne en particulier les capitaux investis par l’Asie dans les plantations de palmiers à huile. « On assiste également à une intensification de l’exploitation forestière, avec des logiques de concurrences parce que les acteurs historiques n’ont plus le monopole », ajoute le chercheur. Autant de nouvelles pressions industrielles avec lesquelles les forêts tropicales du bassin du Congo vont donc devoir compter.