Les lézards victimes du réchauffement climatique

La chaleur, notamment nocturne, perturbe la gestation des femelles lézards. - @ George A. Brusch IV
La chaleur, notamment nocturne, perturbe la gestation des femelles lézards. - @ George A. Brusch IV
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Climat Sciences AnimauxBébés mort-nés, vieillesse prématurée... Le lézard pâtit grandement du dérèglement climatique. Dans le Massif central, à basse altitude, ces effets combinés menacent sa survie.
Avec le réchauffement climatique, les lézards peinent à garder leur sang froid. La chaleur perturbe même fortement les femelles gestantes, indique une étude publiée dans la revue scientifique Oïkos. La nuit, elles ont des difficultés à faire baisser leur température, au point que le risque de mettre bas des bébés mort-nés augmente considérablement. De même, la chaleur augmente leurs besoins en énergie, elles doivent donc manger et boire davantage. D’autres maux menacent ces reptiles : la disparition des invertébrés — leur principale source de nourriture —, la multiplication des périodes de sécheresse et la destruction de leurs habitats. Une autre étude publiée récemment dans Pnas (revue de l’Académie des sciences des Etats-Unis) a révélé que les petits lézards exposés aux chaleurs extrêmes présentaient des signes de vieillesse prématurée. À terme, toutes ces perturbations pourraient mener l’animal à l’extinction dans les régions du sud de la France les plus exposées aux chaleurs.
La petite espèce de lézard étudiée se nomme Zootoca vivipara. Strictement diurne, elle mesure 5 à 8 centimètres et apprécie les endroits frais et humides, comme les tourbières, les landes ou les prairies humides du nord de l’Eurasie. Son aire de répartition est immense : de la Bretagne jusqu’au Japon, en passant par la Sibérie. « En France, elle occupe les montagnes, en particulier celles du Massif central et des Pyrénées, où elle retrouve les conditions de fraîcheur qui lui sont favorables », explique Andreaz Dupoué, chercheur à l’Ifremer et spécialiste de l’animal. Mais avec le changement climatique, les scientifiques ont observé que l’espèce disparaissait à certains endroits, « notamment à basse altitude » où la température est plus élevée.
Le repos nocturne, au frais, est essentiel
Pour mieux comprendre comment l’animal répond aux changements climatiques, ils ont capturé des femelles gestantes sur le Plateau des Millevaches, dans le Limousin. Durant les deux à trois mois de gestation et jusqu’à leurs mises bas, les femelles ont été placées dans des « enceintes climatiques » au centre d’études biologiques de Chizé (CEBC), dans les Deux-Sèvres. Elles vivaient alors dans des environnements différents : plus ou moins chauds (31 °C durant 4 ou 9 heures la journée, et à 17 °C ou 22 °C durant la nuit) et plus ou moins humides (eau à volonté ou limitée). Entre mi-juillet et début août, 1 à 12 bébés lézards sont nés de chaque femelle. Les femelles ont ensuite été relâchées avec leurs petits dans leur environnement naturel.

Les chercheurs ont d’abord observé que les femelles exposées (de jour comme de nuit) à de fortes températures semblaient affamées et consommaient davantage de criquets. Une situation « problématique dans un contexte de déclin global des invertébrés », notent les auteurs. Ils ont aussi remarqué que la durée de gestation des femelles était nettement plus courte quand les températures diurnes étaient élevées. Mais ce sont surtout les chaleurs nocturnes qui « ont entrainé les effets les plus négatifs », souligne Olivier Lourdais, chercheur au CEBC. Chez ces femelles, l’amaigrissement postnatal était bien plus prononcé (et aggravé par la sécheresse) et le risque de bébés mort-nés ou d’œufs non fécondés bien plus importants (+26 %). En effet, « les moments de repos nocturne sont essentiels. L’animal a besoin de fraîcheur pour retrouver des niveaux favorables de fonctionnement métabolique. »
Préserver les habitats naturels, remède à la chaleur
Autre découverte surprenante : avec le réchauffement climatique, certaines populations de lézards naissent déjà « vieux ». Les chercheurs ont découvert dans leur génome des marqueurs de vieillesse que les générations précédentes ne présentent pas. Dans les populations exposées à des températures anormalement chaudes, « la plupart des nouveau-nés héritent de télomères — les extrémités de leurs chromosomes censés se réduire avec l’avancée en âge — déjà trop courts, ce qui suggère qu’ils sont nés physiologiquement vieux, et qu’ils ont peu de chance d’atteindre l’âge de la maturité sexuelle », explique Andreaz Dupoué, co-auteur de ce travail.
Le phénomène est cumulatif : au fil des générations, la longueur des télomères se raccourcit à mesure qu’ils sont confrontés à de nouveaux extrêmes climatiques. Au point que les chercheurs craignent que les lézards atteignent un point de bascule, où ils ne pourront plus se reproduire et sombreront dans l’extinction. Une hypothèse qui pourrait expliquer les disparitions locales déjà observées.
Au-delà de Zootoca vivipara, toutes les espèces de lézards pourraient être concernées. Le réchauffement climatique à lui seul ne scellera pas le destin du reptile. « Les landes et les tourbières, qui fournissent des microclimats frais et humides, sont des habitats favorables à ces espèces », dit Olivier Lourdais. Les animaux pourraient donc s’y réfugier. Pour préserver la biodiversité, assure le scientifique, il est indispensable de préserver des milieux et des habitats naturels diversifiés. Mais les activités humaines, notamment intensives, ont tendance à « simplifier les paysages : les haies disparaissent et les paysages sont de plus en plus ouverts et dégradés ». Résultat : pour la faune, les effets du réchauffement climatique et des sécheresses sont amplifiés par la dégradation des habitats. Depuis le XIXe siècle, près de 90 % des landes et 50 % des tourbières ont disparu en Europe du fait des drainages, des mises en culture et de l’enrésinement.