Les pompiers davantage exposés à des risques de cancers

Des pompiers au milieu des décombres fumants après les attentats du 11 septembre contre le World Trade Center, à New York. - Library of Congress/Prints & Photographs Division/Unattributed 9/11 Photographs/CC0/2002719362/LC-DIG-ppmsca-02146
Des pompiers au milieu des décombres fumants après les attentats du 11 septembre contre le World Trade Center, à New York. - Library of Congress/Prints & Photographs Division/Unattributed 9/11 Photographs/CC0/2002719362/LC-DIG-ppmsca-02146
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Les pompiers mobilisés lors des attentats du 11 septembre 2001, aux États-Unis, ont eu 13 % de probabilité en plus de développer un cancer que leurs collègues n’étant pas intervenus ce jour-là, révèle une étude.
Amiante, arsenic, polychlorobiphényles (PCB), hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), acide sulfurique... Les pompiers mobilisés lors des attentats du World Trade Center aux États-Unis, le 11 septembre 2001, ont fortement été exposés à des substances cancérigènes. Une étude parue le 10 septembre dans la revue Occupational and Environmental Medicine révèle qu’ils ont eu 13 % de probabilité en plus de développer un cancer que les soldats du feu n’étant pas intervenus ce jour-là.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs du Albert Einstein College of Medicine de New York et le World Trade Center Health Program ont suivi sur quinze ans, jusqu’en 2016, 10 786 pompiers mobilisés durant les attentats et 8 813 autres qui ne sont pas intervenus. Ils ont comparé ces deux groupes à la population américaine, en prenant en compte l’historique de tabagisme des pompiers et le biais de surveillance associé au suivi. Le groupe de pompiers intervenu à la suite du 11-Septembre a en effet fait l’objet d’une surveillance médicale bien meilleure que la population générale. Le diagnostic d’un cancer durant la durée de l’étude était donc bien plus probable.
Celle-ci complète un précédent rapport mené par les mêmes auteurs jusqu’en 2009, qui avait déjà démontré que les pompiers présents lors des attentats du 11-Septembre avaient un risque accru de développer un cancer de la thyroïde et de la prostate. Cette nouvelle étude conforte ces résultats et ajoute un risque plus élevé de développer tout type de cancer, comme celui de la peau (mélanome) ou du système lymphatique (lymphome non hodgkinien). C’est toutefois surtout le cancer de la prostate qui a été majoritairement diagnostiqué entre 2008 et 2012.

Des composés encore présents dans l’environnement
Ces cancers sont potentiellement dus à l’exposition accrue de ces pompiers à des polychlorobiphényles (PCB), des composés chimiques toxiques, écotoxiques et reprotoxiques. C’est la nature reprotoxique, en tant que perturbateur du métabolisme des hormones sexuelles masculines, qui pourrait être à l’origine de ces cancers de la prostate. Les PCB ont été principalement utilisés comme isolants électriques inflammables, jusqu’à leur interdiction en 1979 aux États-Unis et en 1987 en France, soit bien après la construction des tours du World Trade Center et de nombreux autres bâtiments dans le monde. Ces composés sont encore très présents dans l’environnement en raison de leur stabilité chimique et leur très faible biodégradabilité. Du fait de leur activité professionnelle, les pompiers sont tous plus exposés aux PCB que la population générale, même en France.
D’autres composés seraient en partie responsables de ces cancers, des hydrocarbures aromatiques nommés PAH. « Ce sont des composés présents dans la suie, le goudron et aussi la fumée, générés par des processus de combustion incomplète de la matière organique à haute température », dit à Reporterre André Picot, toxicochimiste retraité et fondateur de l’Unité de prévention du risque chimique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

L’étude n’est cependant pas dépourvue de biais. Fumer augmente en effet drastiquement le risque de développer un cancer, et si l’historique des pompiers mobilisés le 11-Septembre était bien identifié, seulement 32 % de l’historique de tabagisme des pompiers non concernés était connu. De plus, selon les auteurs, le niveau de correction du biais de surveillance influence fortement les résultats et n’est peut-être pas suffisamment fidèle à la réalité. Toutefois, d’après l’étude, l’âge médian de développement d’un cancer est également plus bas chez les pompiers qui n’étaient pas sur les lieux par rapport à celui de la population générale ; mettant ainsi en lumière un métier n’étant pas uniquement à risque lors des interventions de grande ampleur. En 2019, une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui analysait un corpus d’études scientifiques sur les risques sanitaires liés aux activités des sapeurs-pompiers, en concluait que « la méta-analyse conduite a[vait] mis en évidence des risques accrus de développer certains cancers ». Parmi les plus probables : celui des testicules, de la prostate ou le lymphome non hodgkinien.
En France, l’incendie de l’usine de Lubrizol, le 26 septembre 2019, avait exposé les pompiers mobilisés sur place à une forte pollution respiratoire, « de l’amiante sous forme d’une pluie de poussière blanche », précise André Picot. « La grosse inquiétude, ce sont les effets à long terme sur la santé, déclarait ainsi le 26 septembre 2020 à Ouest-France le représentant du personnel, Thomas Bru (CGT). Les conséquences d’un contact avec des substances CMR [cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction] ne se manifesteront que dans dix ou quinze ans. » Pour André Picot, « c’est effectivement le cas du mésothéliome [un cancer de la plèvre du poumon] et des leucémies par exemple, où il faut plus de dix ans pour que ces pathologies se déclarent ».