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Pesticides

Les riverains des cultures sont lourdement exposés aux pesticides

Une étude diligentée par Générations futures montre que les riverains des grandes cultures, vignes et vergers, sont soumis aux dangers des pesticides dans leur propre maison. Et notamment des pertubateurs endocriniens.

Avant, leur maison dans les plaines vertes de la Normandie était entourée de prairies. Mais en 2009, elles ont été converties en champs. « On en a subi les conséquences », raconte Vessela Renaud. « La maison est cernée », explique-t-elle à Reporterre au téléphone. Les cultures arrivent à la lisière de son jardin, et poussent également en face, de l’autre côté de la route.

Dès que pointe la belle saison, avec son mari, David, ils comptent : l’épandeur passe en moyenne dix fois dans l’année. « Désormais, quand le tracteur arrive, les enfants savent qu’il faut rentrer. On ferme les fenêtres et on reste dedans, ou on va ailleurs », raconte le père. Une fois, un matin, sa femme n’a pas fait attention, elle a respiré des vapeurs alors qu’elle buvait son café sur la terrasse : « J’ai eu des vertiges et des nausées pendant un mois », se rappelle-t-elle.

Epandage de pesticides en bordure du jardin de Mme Vessela Renaud

Chez Amélie (le prénom a été changé), ce sont des vignes qui se plantaient quand elle a emménagé dans sa maison de la campagne lyonnaise. « Et en face, on avait une prairie, qui est devenue un champ l’été dernier », déplore-t-elle. « À partir de mars et jusqu’à octobre, le tracteur passe tous les dix à douze jours. On a planté une haie pour tenter de se protéger, on évite de sortir quand ils épandent, j’ai arrêté d’étendre mon linge dehors, je ne fais plus de potager. En période de traitement, mon chat sens parfois très fort, alors il ne rentre plus dans la maison car on fait attention pour les enfants », énumère-t-elle. Elle envisage de déménager.

Ces deux foyers font partie des vingt-deux familles riveraines de champs, vignes ou vergers qui ont accepté de participer à la dernière étude de l’association Générations futures, publiée ce mardi 1er mars. Après avoir testé notre alimentation, les cheveux des enfants ou ceux de femmes en âge d’avoir des enfants, l’association s’intéresse, dans ce sixième volet de son étude Exppert, aux riverains de zones agricoles, afin de savoir s’ils « sont exposés en permanence et jusque dans leur habitation aux pesticides », explique le rapport dévoilé ce matin.

Des poussières ont été prélevées à l’intérieur des habitations, puis analysées. 8 à 30 pesticides différents ont pu être identifiés dans chaque maison. La poussière de celles proches de grandes cultures (céréales, maïs, colza, par exemple) présentaient en moyenne 14,37 pesticides. On arrive à 23,8 pesticides pour les vergers et 26 pour les vignes. « Les résultats montrent des différences nettes selon l’environnement, estime François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures. On constate que les échantillons prélevés dans les zones de pomiculture et de vigne présentent plus de pesticides que ceux prélevés près des grandes cultures : c’est cohérent avec le nombre de traitements pour chacune de ces productions. »

François Veillerette : « Il y a davantage de pesticides près des vergers et des vignes. »

Surtout, l’association s’est intéressée aux pesticides dit perturbateurs endocriniens. Risques de cancers (testicules, prostate ou sein), troubles du développement (malformations, autisme) et de la reproduction (baisse de la fertilité), les conséquences sur la santé de ces substances sont de mieux en mieux documentées. Les nourrissons et jeunes enfants, les femmes enceintes ou les adolescents sont les plus vulnérables. Les analyses ont montré que plus de 60 % des pesticides identifiés étaient des perturbateurs endocriniens potentiels. Si l’on s’intéresse aux quantités retrouvées pour chaque pesticide, le chiffre grimpe à 98 % de la masse totale.

Difficile de dire combien de riverains de zones de cultures sont concernés dans toute la France, le porte-parole avance une estimation au doigt mouillé : « Je dirais un million d’habitants si l’on prend une zone de cent mètres autour des habitations. Cela fait en tout cas forcément beaucoup de monde. »

Pour compléter les prélèvements de juillet, l’association a demandé à cinq familles de répéter l’analyse en janvier : au cœur de l’hiver, il n’y a plus de traitements… Donc plus de pesticides ? Pas tout à fait, la concentration diminue de 30 % à 95 %, mais il reste toujours entre 14 et 30 pesticides recensés dans chaque prélèvement. Un résultat « rassurant – la concentration diminue réellement – mais qui reste inquiétant car la présence de ces résidus semble demeurer toute l’année », estime le rapport.

Plus généralement, « cela confirme que l’ensemble des zones habitées proches des cultures sont à risques, estime François Veillerette. En plus, il s’agit de poussières, donc les enfants sont particulièrement exposés, et il y a de nombreux pesticides différents donc il y a un risque d’effet cocktail [mélangées, l’effet des substances peut être démultiplié]. Cela montre qu’il faut changer les pratiques agricoles, arrêter de pulvériser à côté des habitations et, pourquoi pas, privilégier le bio dans les zones habitées ? »

En Normandie, David et Vessela Renaud ne blâment pas pour autant leur voisin agriculteur : « Il nous a expliqué qu’il ne choisit ni le prix qu’il paye pour les produits qu’il utilise ni celui auquel il vend les siens. Il travaille à perte. Il est entre le marteau et l’enclume. Pour moi, ceux qui achètent de l’alimentation pas chère sans savoir d’où elle vient sont plus responsables que cet agriculteur. »

Quand les pesticides sont répandus dans le champ voisin, oubliez les activités extérieures.

Amélie est moins optimiste. « J’ai participé à cette étude pour avoir des chiffres et amorcer la discussion avec notre voisin. Mais c’est le maire du village… Quand il nous a vu arriver, il nous a fait comprendre qu’il n’était pas question d’aborder cette question des pesticides. Donc, pour l’instant, parler n’a pas été possible », regrette-t-elle.

L’association Générations futures compte de son côté utiliser ce rapport pour influencer la position de la France au niveau européen. En 2009, l’Union européenne a adopté un règlement qui exclut a priori les pesticides perturbateurs endocriniens ayant un effet nocif sur les humains. « Le problème est qu’il faut définir les critères qui permettent de définir ce qu’est un perturbateur endocrinien, explique François Veillerette. Or, on attend encore la définition. Les lobbys retardent l’application de ce règlement et proposent des critères qui n’aboutiraient qu’à retirer deux substances du marché ! Nous plaidons pour des critères qui en excluraient une trentaine. » Les associations de protection de l’environnement sont donc très vigilantes, et tentent d’inciter la France à prendre position pour une définition efficace.

« La société civile ne peut pas laisser faire ces lobbys », soutient David Renaud. Et il croit, qu’enfin, la prise de conscience est là : « Il y a dix ans, quand on disait aux enfants de rentrer quand ils épandaient, les voisins se moquaient ouvertement de nous. Aujourd’hui, ils font pareil. »


TOUJOURS PLUS DE GENS INQUIETS DES PESTICIDES DANS LEUR DOMICILE

C’est avec des kits « d’analyse clé en main » du laboratoire Kudzu Science qu’a été réalisée l’étude. « Nous fournissons un embout avec un filtre à placer sur l’aspirateur, les gens le passent au sol, puis nous le renvoient et nous effectuons les analyses », explique son directeur, Vincent Peynet. Qualité de l’air, pollution de l’eau, présence d’allergènes ou de pesticides, la gamme est large et a été lancée en 2011. Et c’est, là aussi, l’indice d’une inquiétude qui monte, « il y a de plus en plus de particuliers qui font des analyses, remarque Vincent Peynet. Notre chiffre d’affaires augmente de 50 % à 100 % chaque année... »

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