Entretien — Habitat et urbanisme
« Les squats pallient l’incompétence de l’État à prendre soin des plus précaires »

L’entrée du LÉØ depuis la rue, à Pantin. - © Nnoman / Reporterre
L’entrée du LÉØ depuis la rue, à Pantin. - © Nnoman / Reporterre
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Le Laboratoire écologique zéro déchet (LÉØ) de Pantin est menacé d’expulsion en avril. Un « drame » pour le chercheur Igor Babou, auteur d’un livre sur ce lieu de solidarité et d’écologie populaire.
Igor Babou est professeur en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris Diderot. Il est l’auteur du livre L’Écologie aux marges (Eterotopia, 2023), consacré au Laboratoire écologique zéro déchet (LÉØ). Implanté depuis 2019 à Pantin (Seine-Saint-Denis) dans un entrepôt désaffecté appartenant à l’établissement public foncier d’Île-de-France, cet espace de 4 000 m² conjugue solidarité et écologie populaire.
En 2021, la Cour d’appel de Paris avait autorisé l’association à occuper les lieux jusqu’au printemps 2023, date à laquelle doivent commencer des travaux pour la construction d’un écoquartier. En conséquence, le LÉØ est à nouveau menacé d’expulsion, à partir du 16 avril. Aucune « solution pérenne » de remplacement n’ayant été trouvée ces dernières années, l’association a lancé un appel pour trouver un nouveau lieu d’hébergement. Une illustration de la sévérité du gouvernement envers les lieux en marge, alors que la loi anti-squat Kasbarian-Bergé est actuellement débattue.
Reporterre — Le LÉØ a annoncé être menacé d’expulsion à partir du 16 avril. Quelle est votre réaction ?
Igor Babou — C’est un drame. Le LÉØ est un lieu d’hébergement solidaire, où se pratique l’écologie populaire par et avec les habitants de ce quartier défavorisé.
Les populations locales y trouvent à la fois un espace d’expression mais aussi d’action pour de nombreuses choses. De l’hébergement solidaire donc, du débat, de la formation, du divertissement, des ateliers d’auto-réparation, la possibilité d’accéder à une AMAP… Bref, de l’écologie populaire, le tout fonctionnant sur le principe de la gratuité, a contrario par exemple à la Cité fertile, située juste à côté.

Avec l’expulsion des lieux, ce sont toutes ces activités, qui ne sont pas seulement celles du LÉØ mais celles d’un quartier populaire, qui vont disparaître. D’autant qu’il s’agit aussi d’un lieu ressource pour toute une série d’associations de quartier.
Selon vous, ce type de lieu permet de réinventer « l’environnementalisme classique en l’ancrant dans un territoire ». De quelle manière ?
Parce que l’écologie populaire expérimentée au LÉØ s’inscrit dans un ancrage quotidien, dans la pratique ordinaire de toutes les personnes qui investissent ce lieu. Ce n’est pas l’environnementalisme au sens où l’on s’intéresse à la biodiversité par exemple, mais des pratiques très quotidiennes, où l’écologie peut vivre de manière populaire.
Faire son propre miel, réparer son vélo… Des façons de faire et des modes de vie basés sur la sobriété pour des raisons d’abord économiques, mais aussi sur des croyances : dans leur vie de tous les jours, les habitants de ce quartier défavorisé sont directement confrontés aux effets de la crise écologique.
Pourquoi y a-t-il une telle défiance de la part de l’État pour ce type de lieux ?
Parce qu’ils démontrent l’inutilité de l’État. Mais aussi parce qu’ils s’inscrivent dans une démarche anticapitaliste. Des lieux comme le LÉØ montrent qu’il est possible, et ce sur le temps long, de s’investir pour le commun sans argent et sans subvention.
Qu’avec une petite structure sans salarié et sans flux financiers, on arrive à faire des choses que n’arrivent pas à faire les tiers-lieux : vivre et travailler avec des milieux populaires. Et ce, alors même que ces tiers-lieu reçoivent de nombreux financements, qui bénéficient au public de ce type d’espace, soit des personnes qui ont déjà du capital économique et culturel.

L’expulsion prochaine du LÉØ, alors que cela fait près de deux ans que ses occupants cherchent une solution de repli et que l’on ne sait pas quand vont commencer les travaux pour l’écoquartier, prouve qu’il n’y a pas de volonté politique pour soutenir ce type de lieu, et même une volonté que ce genre d’espace n’existe pas.
Le 1ᵉʳ avril marque la fin de la trêve hivernale. En parallèle, le projet de loi anti-squat, accusé par de nombreuses associations de criminaliser les plus pauvres, est actuellement débattu au Parlement. Quel est votre sentiment vis-à-vis de ce texte ?
Cette loi va en effet criminaliser et précariser davantage encore les plus pauvres. Ce que l’on mesure mal, c’est que les squats hébergent énormément de populations fragiles : sans-abris, exilés, etc. Autant de personnes à qui on ne trouve pas de places d’hébergement via le 115, qui dysfonctionne totalement.
Une bonne partie de la misère dans les quartiers populaires et même dans Paris est compensée, en quelque sorte, par l’existence de ces squats. Qui, pour rappel, sont généralement implantés dans des lieux inutilisés depuis bien longtemps.

La loi prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les squatteurs. Tous les squats vont donc fermer. Qu’est-ce que toutes les personnes qui sont hébergées dans ces lieux vont devenir ? Cette loi est un pur coup de com’, avec l’idée qu’elle permettra d’assurer l’ordre, la sécurité, la propriété, face à des squatteurs qui ne seraient que des fainéants ne voulant pas payer de loyer. Pourtant, ce sont les squats qui, justement, pallient l’incompétence de l’État à prendre soin des plus précaires.