Malgré sa dépendance au gaz russe, l’Allemagne suspend le gazoduc Nord Stream 2

Installation du gazoduc Nord Stream 2, passant par la mer Baltique. - Flickr/CC BY-NC-ND 2.0/Jürgen Mangelsdorf
Installation du gazoduc Nord Stream 2, passant par la mer Baltique. - Flickr/CC BY-NC-ND 2.0/Jürgen Mangelsdorf
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Énergie MondeEn réponse à la crise entre la Russie et l’Ukraine, Berlin a stoppé le 22 février le gazoduc Nord Stream 2, le reliant au territoire russe. Un message fort, pour tenter de diminuer sa dépendance vis-à-vis de Moscou.
Berlin (Allemagne), correspondance
Le plus grand projet fossile d’Europe verra-t-il le jour ? La mise en service du gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne a été gelée mardi 22 février par Berlin. La décision intervient dans le cadre des sanctions visant Moscou après que le président russe Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance de deux provinces ukrainiennes prorusses. « Nous ne pourrons pas accepter cette reconnaissance, c’est pourquoi il est si important de réagir maintenant et rapidement », a expliqué le chancelier allemand Olaf Scholz en conférence de presse.
Propriété de la compagnie russe Gazprom, Nord Stream 2 relie l’ouest de la Russie au nord de l’Allemagne par un tuyau sous-marin en mer Baltique, long de 1 230 kilomètres. Achevé l’automne dernier, le gazoduc attendait toujours le feu vert des autorités pour commencer son exploitation. Celles-ci ont annoncé que l’examen du dossier de certification n’interviendrait que dans plusieurs semaines, en prenant en compte « la nouvelle situation géopolitique et l’escalade militaire dans l’est de l’Ukraine ». L’avenir de Nord Stream 2 est désormais entre les mains de l’écologiste Robert Habeck, ministre de l’Économie et de la Protection du climat, opposant de longue date au projet. Ce sont ses services qui superviseront l’examen du dossier.
« Le cheval de Troie de la Russie »
La décision allemande de stopper Nord Stream 2 n’a rien d’anodin. Il y a quelques mois encore, le chancelier Olaf Scholz le décrivait comme « purement privé » et refusait de le mettre dans la balance face au bellicisme de Vladimir Poutine en Ukraine. Olaf Scholz se plaçait alors dans les pas de ses prédécesseurs, aux liens parfois encombrants avec Gazprom : le social-démocrate Gerhard Schröder, ami du président russe, préside aujourd’hui le conseil d’administration de Nord Stream 2 AG. La conservatrice Angela Merkel avait, elle aussi, soutenu le projet contre vents et marées : le gazoduc faisait partie de sa stratégie « Wandel durch Handel » (« le changement par le commerce »), par laquelle elle espérait générer une libéralisation politique de la Russie en intensifiant les échanges commerciaux.
La position d’Olaf Scholz était devenue de plus en plus intenable. Sur un plan géopolitique d’abord, alors que les États-Unis et les pays de l’est de l’Europe mettaient en garde contre « le cheval de Troie de la Russie », qui rendrait l’Union européenne totalement dépendante du gaz russe et soumise aux desiderata de Vladimir Poutine. La Russie fournit déjà 40 % du gaz consommé en Europe, un chiffre qui grimpe à 55 % en Allemagne. Avec Nord Stream 2, Moscou espère doubler ses livraisons de gaz à l’UE.

Sur un plan climatique, ensuite : le projet fossile est controversé jusqu’au cœur même de la coalition gouvernementale qui a pris les rênes de l’Allemagne en décembre dernier. Les Grünen, partenaires du parti social-démocrate (SPD) d’Olaf Scholz, s’opposent fermement à une infrastructure qui émettrait « 100 millions de tonnes de CO2 par an, sans compter le méthane », explique Constantin Zerger, expert en énergie de l’association environnementale Deutsche Umwelthilfe. Nord Stream 2, censé fournir du gaz au-delà de 2050, est incompatible avec les objectifs climatiques de l’Allemagne. Selon le conseil scientifique du gouvernement fédéral, Berlin devrait en effet sortir du gaz d’ici une vingtaine d’années pour tenir ses engagements. « Le projet aurait dû être stoppé il y a longtemps déjà », juge Constantin Zerger.
Une « énergie de transition indispensable »
Le ministre de l’Économie, Robert Habeck, entend faire rimer objectifs climatiques avec souveraineté énergétique, tout en faisant baisser des prix de l’énergie qui se sont envolés avec la crise ukrainienne. « Le gaz, le pétrole, le charbon : ce sont les énergies fossiles qui tirent les prix vers le haut, a-t-il récemment déclaré. La meilleure stratégie, c’est de devenir indépendants en développant les énergies renouvelables et l’électromobilité. » Le nouveau gouvernement s’est fixé l’objectif d’atteindre 80 % d’éolien et de solaire dans la production d’électricité d’ici 2030, contre 46 % en 2021. « Aujourd’hui, il est clair pour tout le monde, y compris l’industrie, que la sécurité de l’approvisionnement en énergie passe par les renouvelables », certifie Constantin Zerger.
Reste que le gaz est perçu comme une « énergie de transition indispensable » par le pouvoir allemand, le temps de développer la production et le stockage des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert. Le gaz représentait 10,5 % du mix électrique en 2021 ; surtout, il chauffe la moitié des foyers allemands. À moyen terme, pas question donc pour l’Allemagne de se passer complètement du gaz russe qui transite via d’autres pipelines. Pour diminuer sa dépendance vis-à-vis de Moscou, Berlin n’exclut pas, notamment, d’importer du gaz de schiste américain.