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EntretienPesticides

« Mettre moins de pesticides, cela ne marche pas. Il faut changer les systèmes de culture »

En 2008, le plan « Ecophyto » prévoyait de baisser l’usage des pesticides tout en conservant une agriculture économiquement performante. Une nouvelle mouture est présentée aujourd’hui par le gouvernement. Entretien avec François Veillerette, porte-parole de Générations futures : les solutions sont là, il manque la volonté politique de les mettre en œuvre.

Peut-on réduire l’usage des pesticides tout en conservant une agriculture économiquement performante ? Oui, et c’est même l’objectif du plan « Ecophyto », mis en place par le gouvernement en 2008. Mais il tarde à porter ses fruits. Ce vendredi, Stéphane Le Foll dévoile donc une nouvelle mouture, qui s’appuie sur le rapport du député de Meurthe et Moselle Dominique Potier. Il maintient l’objectif d’une réduction des pesticides de 50 % en France, mais reporte l’échéance de 2018 à 2025.

Ce nouveau dispositif sera-t-il plus efficace que le précédent ? François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures, spécialiste des pesticides, a peu d’espoir…

Reporterre - Quel bilan faites-vous du précédent plan Ecophyto ?

François Veillerette - Cela fait longtemps que l’on dit que le bilan est mauvais. L’année dernière, le ministère de l’agriculture a prétendu qu’il y avait une baisse de 5 % de l’utilisation des pesticides. En fait, on a prouvé que c’était une baisse cosmétique : ils avaient fait les calculs avec des données incomplètes ! Cette année, une hausse de 9 % est annoncée. Donc chaque année soit l’utilisation de pesticides stagne, soit elle augmente...

Ce n’est pas dû tant à un manque de moyens financiers qu’à un manque de moyens politiques pour faire changer les pratiques. Aujourd’hui le discours est seulement basé sur l’appel au volontarisme. Un agriculteur qui ne veut pas changer ses pratiques, rien ne l’y oblige.

Alors comment faire pour diminuer de façon significative l’utilisation des pesticides en France ?

Il existe trois niveaux d’action pour diminuer les pesticides. Le premier, c’est optimiser techniquement l’usage des pesticides, avoir de meilleures machines pour calculer très précisément les doses par exemple. Cela permet de réduire de 10 à 15 %.

Ensuite, on peut changer tout ou partie des produits utilisés, comme remplacer ceux issus de la chimie de synthèse par des produits de bio-contrôle. Stéphane Le Foll en fait la promotion, et c’est effectivement une marge de progrès intéressante. Mais là aussi, on reste sur des mesures marginales, avec une diminution de 10 à 15 % de l’usage des pesticides.

Sauf que l’objectif d’Ecophyto c’est moins 50 %. Se contenter de mettre moins de pesticides, cela ne marche pas. Il faut changer les systèmes de culture.

C’est le troisième niveau d’action. On peut développer le bio. L’objectif officiel est d’atteindre les 20 % - on est en est à 4 % des surfaces agricoles. Mais cela ne suffit toujours pas, parce que si on ne change pas les pratiques sur les 80 % qui restent, on n’y arrivera pas.

Donc il faut développer le bio, et aussi aller vers les systèmes de production intégrée.

Qu’est ce que c’est ?

Ce sont des systèmes de culture conçus au niveau de l’exploitation : on regarde toute l’exploitation, toutes les productions, toutes les cultures. On rend le système plus résilient, plus solide face aux agressions. Notamment on fait des rotations plus longues, pour que les cultures reviennent moins souvent au même endroit donc que les ravageurs s’installent moins sur les parcelles.

On choisit aussi des semences qui résistent mieux aux maladies et aux insectes. Puis il y a la façon de mettre en œuvre ces variétés : on sème moins dense pour les céréales par exemple. On remet des haies et des bandes enherbées pour offrir le gîte et le couvert aux insectes utiles. On réduit les engrais, c’est-à-dire la fertilisation azotée, parce que cela favorise les maladies.

Tout cela mis bout à bout, cela permet d’avoir des systèmes qui produisent bien. Dans l’Eure et en Picardie, il y a de gros réseaux de fermes en grandes cultures qui appliquent ces principes. Des fermes importantes, de 200 hectares environ. Ils utilisent 50 % à 60 % de pesticides en moins et quatre années sur cinq, ils dégagent plus de revenus que leurs collègues en conventionnel.

On sait qu’il va y avoir une petite baisse de rendement, d’environ 10 %. Mais il ne faut pas confondre rendement et rentabilité. Un système intégré demande moins de produits phytosanitaires, c’est donc moins cher de produire.

Et les grandes cultures c’est 70 % de l’utilisation des pesticides en France. Donc on a les solutions.

Est-ce que le nouveau plan Ecophyto, qui s’appuie sur le rapport du député Dominique Potier, va dans ce sens ?

On n’a pas encore le plan définitif, mais on en connaît les grandes lignes. Est-ce qu’il va réussir à emmener la profession agricole vers ce type de production intégrée ? Quand je regarde l’ensemble des points du rapport, je ne suis pas sûr que cela produise le résultat escompté.

Le précédent plan ne comprenait pas de mesures contraignantes, et il n’y est pas arrivé. Surtout que pour l’instant, le discours de la profession, des coopératives agricoles, ce n’est pas un discours de personnes qui se sentent partie prenante du plan Ecophyto.

Il y manque plusieurs choses. D’abord, on avait proposé des objectifs dans le temps, par culture et par région. Que l’on dise vous avez le droit à cinq traitements par an, puis que l’on diminue à quatre, trois, deux, etc.

Ensuite, il faudrait que ce soit lié à une fiscalité : si l’agriculteur ne diminue pas, il paye et cela alimente un fonds destiné à aider ceux qui en revanche, prennent le risque de réduire les pesticides et d’aller vers un autre système agronomique.

C’est comme pour les déchets. Dans la grande majorité des communes, tout le monde paye pareil, alors qu’il y en a qui trient et d’autres non. Mais dans les communes où les habitants payent en fonction de la quantité de déchets qu’ils produisent, on se rend compte que tout le monde se met à trier. C’est le système de la carotte et du bâton.

Il faut donc un niveau de contrainte fiscale, et le nouveau plan n’en introduit pas.

Aujourd’hui on constate que le plan ne marche pas, que la profession n’a pas joué le jeu. Est-ce que l’on recommence et que dans dix ans on se revoit pour dire que ça n’a pas marché ? C’est notre dernière chance, même le rapport Potier le dit, alors il faut s’en donner les moyens.

Quelles sont les conséquences, si cela ne marche pas ?

Si on continue comme maintenant et que l’on ne change rien, les conséquences sont connues. On continue d’avoir une eau polluée aux nitrates. On continue d’avoir des pesticides dans l’air avec des problèmes de voisinage en zone rurale et des gens qui ne peuvent pas ouvrir leurs fenêtres. On continue d’avoir des résidus dans les aliments. On continue à exposer les agriculteurs à un risque de santé professionnel et l’ensemble de la population à un risque sanitaire.

Des rapports de l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale - NDLR] montrent les gros dangers des pesticides pour la santé et l’on ne fait rien.

Le problème c’est qu’au niveau européen, le cadre n’est pas assez contraignant. La directive sur les pesticides de 2008 prévoit que les États membres définissent des plans d’action nationaux pour montrer comment ils vont réduire les risques liés aux pesticides. Mais elle n’indique aucun chiffre.

Aujourd’hui il y a des pays européens où il n’y a pas encore de plan, d’autres où il n’y a pas d’objectifs chiffrés. Sur ce sujet il faudrait plus d’Europe, plus d’ambition. Parce qu’ensuite la FNSEA et le lobby agro-industriel ont beau jeu de dire qu’il y a distorsion de concurrence, ce manque de cadre européen leur donne un argument.

La FNSEA dit que si on réduit les pesticides on va y perdre du point de vue économique. Alors qu’au contraire, si on change les systèmes de culture, on est plus performant économiquement !

-  Propos recueillis par Marie Astier

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