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14 septembre 2017 / Un collectif d’associations et de scientifiquesDans cette lettre ouverte, de dizaines de scientifiques, particuliers, associations demandent au ministre de la Transition écologique d’agir contre les nouvelles formes d’OGM afin de protéger la santé, l’environnement et la biodiversité.
Monsieur le Ministre,
Depuis le Grenelle de l’environnement, la France s’est dotée d’une réglementation plus stricte de la dissémination des OGM en milieu ouvert, d’un Haut Conseil des biotechnologies (HCB) ouvert aux associations professionnelles et de la société civile concernées et, depuis 2014, d’une loi d’interdiction sur le territoire national de la seule culture OGM autorisée au niveau européen, le maïs. Votre engagement constant ces dernières années sur ce dossier n’est pas étranger à tous ces acquis.
Mais de nombreuses pressions se font jour pour exonérer de toute réglementation les OGM brevetés obtenus par de « nouvelles techniques » de génie génétique. Au prétexte que ces procédés seraient plus sophistiqués que la transgenèse, désormais qualifiée d’aléatoire, leurs promoteurs refusent délibérément de reconnaître que nombre d’entre eux nécessitent une transgenèse en amont et qu’ils font tous appel aux mêmes techniques connexes que la transgenèse (cultures cellulaires in vitro puis régénération de plantes entières). Ces techniques, à l’origine de multiples modifications génétiques non intentionnelles susceptibles de générer les risques graves pour la santé et l’environnement, ont justifié la mise en place de la réglementation des OGM. De plus, les brevets qu’elles permettent suscitent une très rapide concentration de l’industrie semencière. Il devient en effet impossible pour un paysan ou un petit semencier de sélectionner de nouvelles variétés sans utiliser des traits déjà brevetés et tomber ainsi sous la dépendance des quelques multinationales détenant les plus gros portefeuilles de brevets. Plus de la moitié du commerce mondial des semences est désormais accaparé par trois de ces multinationales. Alors que nous avons déjà perdu, selon la FAO [l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], 75 % de la biodiversité cultivée depuis le début du siècle dernier, pouvons-nous accepter de remplacer les 25 % restant par quelques chimères génétiques jetables dès qu’elles arrivent en fin de brevet ?
Le HCB n’a pas résisté à ces pressions et a publié un avis demandant la déréglementation de ces nouveaux OGM, sans tenir compte de l’avis divergent d’un de ses experts scientifiques et sans attendre la recommandation de son Conseil économique, éthique et social. Cette publication a provoqué en avril 2016 la démission du scientifique censuré, puis de 7 organisations paysannes et environnementales.
Par ailleurs, depuis quelques années, certains OGM envahissent les champs français en contournant la réglementation. C’est pourquoi on les appelle des « OGM cachés ». Il s’agit principalement de « variétés rendues tolérantes aux herbicides » (VrTH) par des procédés de mutagenèse [1]. Ces cultures de tournesol et de colza provoquent une contamination irréversible de la biodiversité sauvage et exigent une augmentation constante des doses d’herbicide utilisées pour combattre la prolifération de ces « mauvaises herbes » tolérantes qu’elles génèrent. La croissance des bénéfices des sociétés semencières et phytopharmaceutiques ne saurait justifier les préjudices sanitaires, environnementaux et agronomiques qu’elles provoquent.
Le précédent gouvernement, de nombreuses fois interpellé par des organisations agricoles et environnementales depuis 2012, n’a pris aucune mesure efficace pour réglementer ces OGM cachés. Ses tergiversations ont conduit 9 organisations paysannes et de la société civile réunies au sein de l’Appel de Poitiers à déposer un recours devant le Conseil d’État en février 2015. Avant de statuer, le Conseil d’État a lui-même saisi la Cour de justice européenne (CJE).
Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus et sans préjuger de l’avis juridique qui sera rendu par la CJE et le Conseil d’État, les signataires de cette lettre ouverte vous demandent, Monsieur le Ministre :
Connaissant vos engagements sur toutes ces questions, nous espérons vivement, Monsieur le ministre, que vos nouvelles responsabilités sauront empêcher que des décisions risquées soient prises et voudront garantir, par des mesures et réglementations adéquates, la protection de la santé de nos concitoyens et de l’environnement.
Personnes :
Organisations :
[1] En l’absence d’information sur leurs procédés d’obtention, il n’est pas possible de savoir s’il s’agit de mutagenèse appliquée sur des plantes entières ou sur leurs organes de reproduction, qui produit des OGM juridiquement exclus des obligations réglementaires d’évaluation, d’étiquetage et de suivi — considérant 17 et article 3 de la directive 2001/18 —, ou de mutagenèse appliquée sur des cellules isolées de la plante et multipliées in vitro qui produit, elle, des OGM soumis à la réglementation OGM. Les plantes et les animaux issus de ce procédé n’ont en effet jamais été utilisés en agriculture avant l’adoption de la directive 2001/18 qui ne pouvait donc pas les exclure de son champ d’application du fait d’une « sécurité avérée depuis longtemps ». C’est par ailleurs un procédé de « biotechnologie moderne » produisant des organismes vivants modifiés selon la définition internationale établie par le Protocole de Carthagène, le Codex Alimentarius et l’OCDE, définition qui vient compléter celle des directives européennes.
Source : Courriel à Reporterre
- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.
Photos :
. chapô : Un champ de tournesol. Le tournesol est une des cultures d’« OGM cachés ». Wikipedia (Arnaud 25/CC BY-SA 3.0)