Mort de Rémi Fraisse : les juges confirment le non-lieu, les questions demeurent

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SivensCe mardi 9 janvier, la justice a prononcé le non-lieu sur l’ensemble du dossier de la mort de Rémi Fraisse, à Sivens, en octobre 2014. Les parties civiles, peu surprises par la décision, ont d’ores et déjà annoncé qu’elles feraient appel.
C’est une chose de présumer d’une décision de justice et une autre de la découvrir. Hier, lundi 8 janvier, les juges d’instruction toulousaines Anissa Oumohand et Élodie Billot ont rendu leur décision concernant la mort de Rémi Fraisse. Dans cette affaire dont, dès l’origine, Reporterre avait révélé qu’une grenade de gendarme avait tué Rémi Fraisse, les juges ont donc confirmé les réquisitions du procureur Pierre-Yves Couilleau, qui avait demandé le non-lieu le 20 juin dernier.

Deux questions se posaient. La première concernait la qualification de violences volontaires entraînant la mort sans intention de la donner, soit la responsabilité pénale directe du gendarme, auteur du lancer de la grenade offensive F1 qui a, selon les expertises réalisées, tué le jeune Rémi Fraisse, lors des affrontements dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, à Sivens (Tarn).
Sur ce point, selon les éléments de la réquisition auxquels Reporterre a pu avoir accès, les juges considèrent que le cadre légal a bien été respecté, que le gendarme avait bien autorité pour lancer ladite grenade et avait bien reçu un ordre de la part de son commandement. D’autre part, les juges soutiennent que les gendarmes mobiles étaient, comme ils l’affirment, dans l’incapacité de mettre à distance les manifestants les plus violents et n’avaient pas d’autre moyen de défendre le terrain. Des éléments sur lesquels le doute subsistait pourtant, même après les dernières auditions de l’été 2016.

Concernant le délit d’homicide involontaire, qui concernait cette fois la responsabilité de la hiérarchie, de manière beaucoup plus laconique, les juges soutiennent que « la chaîne de commandement n’a commis aucune faute caractérisée » et réfute les arguments des parties civiles, non sans quelques contradictions. Car, d’une part les juges soutiennent qu’il n’est pas de leur ressort de juger du bien-fondé de la décision administrative de garder un terrain vide. En même temps, elles assurent plus loin que le désengagement des gendarmes de la zone était une solution plus périlleuse que le maintien des troupes sur place. Enfin, concernant les contradictions dans les consignes données aux forces de maintien de l’ordre, les juges considèrent qu’elles ont été levées au vu des différentes auditions. En conclusion, « il ne résulte pas de charges suffisantes contre quiconque » pour le crime de violences ayant entraîné la mort comme du délit d’homicide involontaire.

« Il n’y a pas de justice en France »
Cette décision reprend finalement point par point l’argumentation des gendarmes tout au long de cette affaire émaillée de nombreuses zones d’ombres, de pressions sur les témoins et de refus quasi systématique des juges de répondre aux demandes de pièces et compléments des avocats des parties civiles [1]. « L’ordonnance de non-lieu était inévitable car personne n’avait été mis en examen [dans cette affaire], donc ce n’est pas réellement une surprise », a indiqué à l’AFP Me Jean Tamalet, l’avocat du gendarme qui a lancé la grenade.
Un résultat qui n’a pas non plus surpris Claire Dujardin, l’une des avocates des familles. « L’instruction était menée de telle sorte qu’on s’attendait à ce résultat, estime Claire Dujardin, Nous maintenons notre désaccord sur la qualification juridique et nous maintenons que le gendarme a bien commis une faute » avec « un usage de l’arme disproportionné ».
Si depuis le 11 mai dernier, l’usage des grenades offensives en maintien de l’ordre est définitivement interdit, les grenades de type GLI-F4 et de désencerclement sont, elles, toujours autorisées et continuent de faire des dégâts, comme on l’a vu durant le mouvement contre la loi Travail en 2016 ou récemment à Bure, dans la Meuse, où un manifestant contre le projet d’enfouissement des déchets a gravement été blessé au pied le 15 août dernier par une grenade GLI-F4.
La justice ne répond également pas au fait que Rémi Fraisse était, selon les témoignages concordants, pacifique et non menaçant durant cette nuit du 25 au 26 octobre 2014.
De son côté, la famille ne cache pas son amertume. Le père de Rémi, Jean-Pierre Fraisse, indique à Reporterre : « On ne tient pas compte des zones d’ombre du dossier, on ne va pas au bout des contradictions des gendarmes. » Pour lui, c’est « le reflet d’une enquête menée à décharge », il estime qu’avec une telle décision, « il n’y a pas de justice en France ». Pour le reste, les proches renvoient les médias à leur communiqué commun précisant les positions et les ressentis à la suite de cette décision de justice.
On sait cependant d’ores et déjà que les avocats des parties civiles feront appel, et que, si cela n’aboutissait pas, ils envisagent de « porter l’affaire au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme si nécessaire », souligne Claire Dujardin, afin de déterminer « si l’État français peut utiliser de telles armes contre des manifestants » quand bien même une partie de ceux-ci agiraient de manière violente. Reste à voir également quelles seront les suites données au niveau administratif, pour savoir la responsabilité de l’administration et de l’État dans ce dossier, enterré presque depuis le jour où il avait été ouvert, le 28 octobre 2014, deux jours après la mort de Rémi Fraisse à Sivens, quand les juges avaient confié cette enquête aux gendarmes eux-mêmes.