Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêteÉcologie et quartiers populaires

Municipales : dans les quartiers, une « écologie populaire » est possible

Lutte contre la bétonisation et le manque d’espaces verts, accès à une alimentation saine, désenclavement et mobilité... Dans les banlieues comme partout, l’écologie se profile comme un enjeu central des prochaines élections municipales. Une « écologie populaire » est possible, assurent les candidats locaux.

Les banlieues rouges pourraient-elles passer au vert ? Comme partout en France, dans les quartiers populaires, l’écologie se profile comme un enjeu central des prochaines élections municipales. « Des cantines végétariennes à la question de la pollution de l’air ou de l’accès aux espaces verts, de plus en plus d’enjeux écolos sont portés par les habitants des quartiers », constate Fatima Ouassak, de l’association Ensemble pour les enfants de Bagnolet. Qu’elles soient estampillées Europe Écologie — Les Verts, citoyennes ou de gauche, des listes ont fleuri qui portent haut et fort les préoccupations environnementales.

« On pense souvent que l’écologie est réservée aux bobos, alors qu’elle concerne toute la société, dit ainsi Adel Amara, candidat de Villiers à venir, la liste citoyenne de Villiers-sur-Marne. On n’aime pas le côté "les quartiers pensent ceci, les autres pensent ça", il est possible de faire une écologie populaire, pour tout le monde. » Dans sa ville de 29.000 habitants, à une quinzaine de kilomètres de la capitale, le défi numéro 1 consiste ainsi à « éviter la bétonisation en cours », un enjeu qui « touche tout le monde », assure ce militant associatif.

Partout, écologie et social se retrouvent sur la question du logement, comme le remarque Michèle Tortonese, infirmière retraitée et membre de la liste Demain Vaulx-en-Velin (Ensemble, France insoumise, PCF, Génération.s), près de Lyon : « Les projets de rénovation urbaine servent bien souvent à changer la population d’un quartier », dit-elle. En clair, on fait de nouveaux logements et commerces, généralement enrobés de vert, qui permettent d’attirer de nouvelles populations dans ces zones dites défavorisées. L’inflation des loyers fait le reste pour pousser les plus précaires à partir. « L’écologie est trop souvent instrumentalisée comme un outil de gentrification, de guerre entre territoires », dénonce également Fatima Ouassak.

Linda Bouifrou — à droite — tête de liste EELV à Créteil.

« Dans les quartiers populaires, les Verts n’ont pas assez travaillé sur les questions sociales, et la gauche s’est assoupie sur le racisme. »

Ainsi, dans les quartiers populaires, « le terme d’écologie reste souvent perçu comme réservée aux classes moyennes et supérieures blanches », dit encore Mme Ouassak. Pour nombre d’habitants, « les écolos sont des gens blancs en polaire qui vont leur dire qu’on va supprimer le terrain de foot pour mettre un poulailler », résume Priscilla Zamord, numéro 2 de la liste Choisir l’écologie pour Rennes (EELV, Nouvelle Donne, Union démocratique bretonne). Comment restaurer la confiance ? « Nous devons commencer par balayer devant notre porte », tranche cette « Bretonne d’outre-mer », comme elle se présente. « Dans les quartiers populaires, les Verts n’ont pas assez travaillé sur les questions sociales, et la gauche s’est assoupie sur le racisme. » D’après elle, l’écologie ne doit pas se départir de la lutte contre les discriminations. En commençant par la représentativité des candidats. « On ne fait pas de l’inclusion en mettant une personne basanée sur sa liste, en mode "United colors of Benetton"  », tacle Linda Bouifrou, tête de liste EELV à Créteil.

L’équipe de Villiers à venir, la liste citoyenne de Villiers-sur-Marne.

Surtout, il s’agit de « partir des besoins des habitants ». Un principe que martèle ATD Quart Monde : « Les mesures écolos ne sont pas forcément pensées par et pour les plus défavorisés, explique Guillaume Amorotti, membre de la délégation nationale de l’ONG. Amener un projet – jardin, parc – dans un quartier, c’est bien, mais partir des besoins et des connaissances des habitants, c’est mieux ! » L’association revendique une évaluation de l’impact des politiques sur les 10 % les plus pauvres, à l’échelle locale comme nationale. « Il faut arrêter d’avoir peur de la politisation des habitants des quartiers populaires comme si elle allait mener vers le communautarisme », enchérit Priscilla Zamord — à ce sujet, nous avons raconté le combat des mères de quartiers populaires pour faire accepter l’option végétarienne à la cantine. « Le premier communautarisme est blanc en France, et le problème, c’est plutôt l’absence de liens entre communautés. » De nombreuses listes ont pris en compte ces impératifs démocratiques et sociaux, et tentent d’esquisser dans leur programme les contours d’une écologie populaire.

Outre la question du logement et de l’urbanisation, le problème de l’accès aux espaces verts fait consensus. « Les gens ont l’impression d’étouffer parce qu’il y a trop de béton », témoigne Adel Amara. « Multiplier les jardins en pied d’immeubles, les jardins familiaux, c’est une demande forte des habitants », note aussi Michèle Tortonese, de la liste Demain Vaulx-en-Velin.

Action de terrain avec l’équipe de Linda Bouifrou, à Créteil.

Pour Linda Bouifrou, « l’embellissement des espaces publics », par la plantation d’arbres, de fleurs, n’a rien d’anecdotique : « L’écologie est vecteur de bien-être, de "vivre bien", de vivre-ensemble, dit la candidate. Cela permet de se réapproprier son lieu de vie, de s’y sentir mieux. » Le tout, là encore, avec un enjeu fort d’égalité, souligne Priscilla Zamord : « Les aires de jeux des centres-villes sont souvent de meilleure qualité que celles des quartiers, observe-t-elle. Le droit à l’environnement n’est pas le même pour tout le monde, et ce n’est pas normal. » Deux autres sujets émergent également : l’accès à une alimentation saine, bio, à la cantine mais aussi dans les foyers ; et la mobilité, qui touche au problème d’enclavement de nombreuses zones défavorisées.

Dans les quartiers, « les gens n’ont pas attendu les Verts pour faire de l’écologie »

« Les gens n’ont pas attendu les Verts pour faire de l’écologie », prévient cependant Priscilla Zamord, qui a grandi dans le quartier de Maurepas, à Rennes. Doctorante à l’Université de Paris-Nanterre, Léa Billen observe aussi les multiples projets écolos à Saint-Denis et Vaulx-en-Velin : « Il existe de nombreuses initiatives pour préserver ou pour investir les espaces verts, qui restent nombreux, bien qu’ils ne soient pas forcément "qualitatifs"  », a-t-elle constaté. Jardins partagés, plantation de fleurs ou d’arbres… « La végétalisation peut conduire à une réappropriation citoyenne de l’espace public », dit la chercheuse. Autre savoir-faire répandu, « le fait de donner une seconde vie aux objets, d’échanger, de récupérer, de ne pas forcément acheter du neuf, ce sont des pratiques très courantes mais pas formalisées comme de l’écologie ». D’autant moins formalisées qu’elles ont bien souvent été invisibilisées, portées par des associations ou des collectifs d’habitants hors des circuits institutionnels. « Il faut arrêter de voir par le haut les personnes des quartiers populaires, de les aborder par la disqualification, les questions de drogue et de violence, insiste aussi Linda Bouifrou, à Créteil. Dans les stratégies économiques, il y a de l’écologie. Ma mère me disait tout le temps d’éteindre les lumières et d’éviter le gaspillage, non pas par conscience environnementale, mais pour ne pas trop dépenser ! » Pour la candidate, originaire des arrondissements du nord de Marseille, « les habitants et les habitantes sont déjà des acteurs de la transition écologique, mais il faut leur redonner confiance en eux-mêmes ».

Priscilla Zamord : « Le droit à l’environnement n’est pas le même pour tout le monde, et ce n’est pas normal. »

Et pour ce faire, rien de mieux que des municipalités disposées à accompagner les envies citoyennes : « Les initiatives écologiques sont d’autant plus nombreuses qu’il y a un soutien des politiques publiques, estime Léa Billen. Les pouvoirs publics locaux peuvent faciliter l’accès à un local, ou à des petites subventions. Le lien entre les habitants et les employés municipaux, ceux des services techniques notamment, joue aussi un rôle essentiel. » Dans cette optique, le Pacte pour la transition a proposé plusieurs mesures détaillées afin de « co-construire une politique associative volontariste » et de « mettre à disposition des initiatives associatives et citoyennes des ressources et des espaces ». D’après la chercheuse, « l’engagement des élus locaux est un levier énorme » pour la transition écologique et sociale des quartiers.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende