NKM : « La droite de conservation joue sur les peurs, elle est très régressive sur l’écologie »

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PolitiqueNathalie Kosciusko-Morizet est candidate à la primaire de Les Républicains, dont le premier tour se déroule dimanche 20 novembre. Pour Reporterre, celle qui était secrétaire d’État à l’Écologie au moment du Grenelle de l’environnement s’exprime sur sa vision de l’écologie, sur Notre-Dame-des-Landes, sur le nucléaire ou encore sur les traités de libre-échange.
Nathalie Kosciusko-Morizet est députée de l’Essonne et membre de Les Républicains. De 2010 à 2012, elle a été ministre de l’Écologie du gouvernement Fillon III, et elle avait été secrétaire d’État chargée de l’Écologie fin 2007, au moment du Grenelle de l’environnement.
Reporterre — Pourquoi avoir rangé, dans votre programme, Nouvelle société, nouvelle France, la partie sur l’écologie dans la catégorie des libertés ?
Nathalie Kosciusko-Morizet — Il y a une nouvelle frontière, en matière d’écologie : donner les moyens au citoyen de devenir acteur de la protection de l’environnement. Il y a eu plusieurs phases dans l’écologie : la montée en puissance de la prise de conscience des problématiques de pollution locale puis de pollution globale, puis une phase d’émergence dans le champ politique et public, avec les COP [conférences sur le climat] et le Grenelle de l’environnement, en 2007. On entre dans une nouvelle phase, cohérente avec le numérique, ce mouvement qui traverse la modernité, un mouvement d’émancipation.
On vit un changement d’ère quand une technologie rencontre des valeurs, et c’est ce qui arrive en ce moment avec le numérique. Ce n’est pas l’imprimerie qui a changé le monde, mais la rencontre entre l’imprimerie et la philosophie des Lumières ; ce n’est pas le travail à la chaîne qui a changé le monde, mais le fordisme, la rencontre entre une méthode de travail à la chaîne et l’émergence de la classe moyenne. Aujourd’hui, c’est ce que l’on vit : la rencontre entre le numérique et les valeurs d’un nouveau mouvement d’émancipation. On a envie de se prendre en main, on bouscule les hiérarchies, les organisations verticales, institutionnelles, on a envie de s’organiser en communauté d’usage. La nouvelle frontière en matière d’écologie, c’est là : comment conjuguer l’écologie et ce nouveau mouvement d’émancipation. C’est pour cela que j’ai voulu placer l’écologie parmi les libertés : ce mouvement lié au numérique n’est pas particulier à l’écologie, mais il peut particulièrement s’y incarner.
Tout ceci est très peu défini dans votre programme. Pourquoi ce choix ?
J’ai fait le choix de ne pas faire un truc en 1.200 pages, 1,4 kg, 1.300 fiches… De partager une vision et d’aller la développer sur différents sujets.
Le chapitre « Protéger les Français » est très détaillé, il y a même le nombre de places de prison que vous souhaitez. Idem sur les entreprises. Il est très précis sur les impôts, la transmission fiscale. Mais sur l’écologie, il n’y a quasiment rien.
Je ne suis pas du tout d’accord avec ça. Dans ce document, vous avez des choses qui sont des visions, des pitchs, avec parfois quelques illustrations pour les rendre concrètes. (Elle est agacée).
On mettra le document en téléchargement et les lecteurs jugeront…
Votre vision de l’écologie, semble abandonner le rôle de l’État et des politiques publiques au profit de l’échelle individuelle du citoyen.
Je propose un investissement de l’État et de la puissance publique, pour faire en sorte que le citoyen puisse s’investir dans la protection de l’environnement. Ça prend des dimensions très concrètes. Par exemple : je suis à la fois fière de ce qu’on a fait en matière de circuit court dans le Grenelle, et très insatisfaite du résultat. Aujourd’hui, il y a une demande de circuit court, de label de proximité, qui rencontre des politiques et un encadrement insuffisants. J’avais proposé dans le Grenelle, pour développer les circuits courts et la labellisation qu’on utilise la commande publique. Mais on l’a trop peu fait.
Donc, proposer aux citoyens de se réimpliquer, ce n’est pas dire que l’État ne va plus rien faire, c’est lui donner un rôle pour accompagner une nouvelle prise de conscience du citoyen sur son environnement.
Mais en termes de politique agricole, on ne peut pas se cantonner aux circuits courts et évacuer la question de la PAC, de la dérégulation des marchés du lait, la tendance à la concentration aux grandes exploitations.
C’est un choix d’angle. Mais en matière d’organisation des circuits et des labels, c’est loin d’être peu. Comment utiliser la commande publique pour structurer des filières, qui répondront à une demande forte du citoyen ? Aujourd’hui, c’est très insatisfaisant.
La politique agricole, c’est aussi la question de la production. Que proposez-vous à ce sujet ?
Une des difficultés du développement de l’agriculture biologique est d’avoir des filières, qui se développent quand il y a une demande stable et à un bon niveau. La filière ne va pas se structurer avec seulement de la demande privée, sporadique et aléatoire. Elle va se structurer à partir de la commande publique, volumineuse et pérenne dans le temps.

Un des problèmes majeurs de l’agriculture française est la tendance à l’agrandissement et la concentration des exploitations. Que faire pour l’éviter ?
L’autre jour, j’ai visité une exploitation laitière en Dordogne. Soixante vaches. Au prix du lait aujourd’hui, ils ne s’en sortiraient pas. Comment s’en sont-ils sortis ? Ils ont mis un tiers de la production en fromagerie et yaourterie. Comme ils sont en Dordogne, il y a un flux touristique important. Cette petite exploitation est en train de réussir à développer son marché. Si vous voulez maintenir des exploitations de taille raisonnable, vous devez leur trouver des débouchés avec de la haute valeur ajoutée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je trouve que le débat sur le Ceta et le Tafta n’est pas bien organisé.
Que pensez-vous de ces projets de traités de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada et avec les États-Unis ?
Dans le Ceta, il y a des choses très intéressantes en termes d’IGP [indication géographique protégée]. Ils en intègrent 170 au niveau européen, comme le jambon de Bayonne, le foie gras, le camembert. Ce n’est pas le nec plus ultra, sur les 1.400 IGP, on aimerait qu’il y en ait plus, mais c’est un travail à poursuivre.
Mais l’abaissement des quotas sur les bovins, notamment, va avoir des impacts très conséquents.
Non, le Ceta comporte des choses intéressantes. Je suis d’accord pour critiquer le Tafta, qui n’intègre rien sur les IGP.
Vous signeriez le Ceta, mais pas le Tafta ?
En l’état, oui.
Quelle est votre position sur l’arrêté pris récemment sur les règles d’utilisation des pesticides ?
On n’est pas assez innovant sur ce sujet. Quand on a réussi à mettre les acteurs en responsabilité, à leur donner des objectifs, on a obtenu des résultats. Deux exemples : l’irrigation dans le sud-ouest et les algues vertes, qui étaient le sujet récurrent il y a dix ans. Au niveau des bassins, tout le monde se renvoyait la responsabilité. Et finalement, on a mis un objectif chiffré en leur demandant de trouver une organisation : ça a beaucoup mieux fonctionné !
Mais sur cet arrêté, vous diriez quoi ?
Sur les phytosanitaires, la bonne méthode est l’interdiction programmée de certaines molécules. Mais ce n’est pas un bon exemple de la méthodologie que j’essaye de pousser.
Il faut donc tout de même des normes ?
Oui, sur les phytos.

Un enjeu vital de l’agriculture est la disparition des terres agricoles et cela concerne par exemple l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : faut-il faire cet aéroport ?
J’ai une difficulté avec Notre-Dame-des-Landes : au début du Grenelle, on avait choisi de ne pas discuter de ce projet, non plus que de celui de l’autoroute Pau-Langon, en considérant que les procédures étaient tellement engagées qu’on allait pas revenir en arrière, que c’était un coup parti. Je ne me satisfais pas de voir que, dix ans plus tard, il n’a pas été fait.
Mais c’est justement un bon exemple d’investissement des citoyens comme vous le suggérez, ils s’engagent.
Certes, mais je trouve ça problématique d’un point de vue de l’autorité de l’État.
Notre-Dame-des-Landes participe-t-il de votre vision du monde pour demain ?
(Silence) En termes techniques, il y avait des alternatives…
Il y en a toujours…
…que je n’ai pas creusées au moment du Grenelle. Maintenant, en termes politiques, je trouve ça très problématique qu’après des engagements successifs, un référendum, le projet soit toujours à l’arrêt. Et ça me pose une question : je pense, et j’y prends ma part de responsabilité, que nos procédures de consultation ne sont plus du tout adaptées. Quand je vois l’enchaînement, ces dernières années, avec Sivens, avec Notre-Dame-des-Landes… On a des systèmes de concertation qui sont de vieille génération, et un des enjeux aujourd’hui est de trouver des systèmes de coconstruction sur certains projets, qui soient beaucoup plus concrets.
Mais si en 2017, Notre-Dame-des-Landes n’est toujours pas engagée et que vous, ou quelqu’un de votre parti, arrive au pouvoir, l’engagez-vous ?
Je suis cohérente, on a décidé en 2007 que cela devait être fait, ce n’est pas pour dire le contraire en 2017. La réponse, c’est oui. Mais c’est plus une cohérence politique qu’une cohérence environnementale.

Mais là, les citoyens ont participé : il y a eu un atelier-citoyen sur la rénovation de l’aéroport actuel, des inventaires naturalistes très précis avec des scientifiques et des citoyens, des contre-expertises extrêmement poussées. C’est un cas très précis de la coconstruction que vous évoquez.
Mais cela n’a pas fonctionné, vous avez vu dans quel état c’est ? On a passé 10 ans à faire de la discussion pour tomber sur le résultat qu’on voit. Nos procédures ne marchent pas, on a tout essayé, même le référendum.
C’était une consultation.
C’est tout le problème, en fait.
Que pensez-vous d’une autre infrastructure très problématique, l’autoroute A45, entre Lyon–Saint-Étienne ?
J’ai toujours eu des doutes sur ce projet. Il y a certes des problèmes de sécurité et d’accès sur la route traditionnelle. Mais c’est un doublement, pas un projet d’extension. Cela incite à rechercher des alternatives, ce projet est vraiment problématique.
Il est porté par Laurent Wauquiez, du même parti politique que vous.
Ça arrive.
Et donc comment allez-vous faire en 2017 ?
On discutera. Mais j’avais compris que dans cette interview, on parlerait d’un projet environnemental, là vous êtes en train de me passer toutes les infrastructures en revue…

Un réacteur de Fessenheim est à l’arrêt, ainsi que d’autres, sur injonction de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) : faut-il changer de politique en matière de nucléaire ?
Je suis pour le respect absolu, sans interférence politique, des décisions de l’ASN. Le politique a trop pris le pli ces dernières années de commenter, d’anticiper les décisions de l’ASN. On a la chance d’avoir une autorité indépendante et de qualité. Cette chance, il faut la cultiver. Et je dis ça avec gravité, car je trouve qu’il y a trop de mélanges ces derniers temps, entre les enjeux de sûreté nucléaire et les enjeux politiques. Dans les deux sens : ce n’est pas au politique de décider si on va prolonger une centrale ni si, pour des raisons de sécurité, il faut fermer une centrale. On peut choisir de la fermer pour des raisons politiques. Mais pas pour des raisons de sûreté, puisque le politique n’est pas juge de la sûreté. Si les réacteurs doivent être fermés sur injonction de l’ASN, ils sont fermés, point.
Après, il y a des questions qui relèvent du politique : engage-t-on les travaux de prolongation ? Veut-on construire un nouvel EPR ? Mais ce n’est pas à mélanger avec les enjeux de sûreté.
Que pensez-vous de l’EPR de Flamanville ?
C’était une erreur. Au moment du lancement de l’EPR, il y avait eu un débat entre les ingénieurs d’Areva sur la taille du réacteur. On est dans un monde où on va plutôt vers les petites unités, vers une énergie plus décentralisée, et donc une immense unité avec la centralisation qui va avec, le réseau, et tous les problèmes qu’on a aujourd’hui. C’est un choix industriel qui était une erreur. Maintenant, elle est faite…
Outre la question de la sûreté, le nucléaire est dans une situation économique très périlleuse, aussi bien pour EDF que pour Areva. L’énergie nucléaire a-t-elle un avenir ?
La tendance aujourd’hui, sur ce nouveau mouvement d’émancipation qui traverse la société, c’est l’autoproduction et l’autoconsommation. On a le parc nucléaire qu’on a, il faut continuer à le gérer, mais l’avenir, la nouveauté, la tendance émergente, elle est dans des problématiques très nouvelles. Il faut organiser l’État et le système pour que ce soit possible.
Autre sujet de société qui nous préoccupe : la politique d’accueil des réfugiés, migrants, exilés, clandestins… On ne sait pas comment vous les appelez.
C’est tout le problème, en fait, la confusion entre réfugiés et migrants : qui est là au titre de l’asile, qui est là à titre économique ? Je prône le droit d’asile inconditionnel. Quand on fuit la persécution ou la guerre, on a le droit d’être accueilli en France.
En même temps, pour que cela fonctionne, il faut que le cadre soit clair. Les Français sont généreux, ils ont su par le passé intégrer et le montrer. Mais ils ont besoin d’en connaître les limites. Et une des raisons des réactions que l’on vit en ce moment, dans un certain nombre d’installations, c’est qu’ils ont le sentiment que c’est no limit. Les réfugiés ont un droit inconditionnel à être acceptés, mais ceux qui ne sont pas réfugiés doivent être reconduits à la frontière.
Je prône une politique où l’on instruirait beaucoup plus rapidement les demandes d’asile, du coup on proposerait beaucoup plus vite un travail à ceux qui ont été éligibles à l’asile politique, mais où l’on raccompagnerait aussi beaucoup plus efficacement ceux qui n’ont pas été pris pour l’asile.

Cette démarche tiendrait-elle dans l’hypothèse où le changement climatique aurait des effets importants de migrations ?
Les réfugiés de Calais ne sont pas des réfugiés climatiques. Je me suis passionnée pour cette question des réfugiés climatiques, mais aujourd’hui, elle concerne d’autres régions du monde que la nôtre.
Une dernière question : comment définissez-vous la droite ?
Il y a des vraies frictions entre une droite de conservation et une droite de progrès. La droite de conservation se fait beaucoup entendre, en jouant sur les peurs et le confort des racines, elle est très régressive sur l’écologie. J’ai l’impression d’être la dernière à défendre notre bilan en matière d’écologie sur le Grenelle !
Et il y a une droite de progrès : elle a montré qu’elle existait sur des questions de société, c’est une droite qui a fait l’IVG, le vote à 18 ans, elle a montré qu’elle existait sur les questions écologiques avec la Charte constitutionnelle de l’environnement, avec le Grenelle de l’environnement.
Mais que veut dire le mot « droite » ?
Les « valeurs républicaines de la droite et du centre » sont les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité. Ce qui fait la différence, c’est la manière dont on les décline. Sur la question de l’égalité, la droite et la gauche n’auront pas du tout la même mise en œuvre. La gauche recherchera ce qu’elle appelle l’égalité réelle, la droite recherchera ce qu’elle appelle l’égalité des chances. Sur la laïcité, la gauche sera dans une laïcité de combat, et la droite dans une laïcité de distinction de l’espace public et l’espace privé. Sur la liberté, la gauche sera plus souvent sur les libertés publiques, la droite sur les libertés économiques, sachant que les libertés sociétales sont des questions qui traversent la droite et la gauche.
Donc les valeurs républicaines sont les mêmes pour la droite et la gauche, la question, c’est la déclinaison qu’on leur donne, avec des sensibilités qui par exemple à droite font une meilleure place à des questions comme l’ordre, et avec des appréciations différentes de ce qu’est la justice.
Cela fait une barrière très définitive avec l’extrême-droite, qui ne s’inscrit pas dans ces valeurs républicaines.
- Propos recueillis par Barnabé Binctin et Hervé Kempf