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Déchets nucléaires

Nitrates : l’usine nucléaire de La Hague pollue plus qu’une mégaporcherie

La filière nucléaire dégage des déchets radioactifs, mais aussi des substances polluantes telles que le nitrate. Une association compare le site de retraitement de La Hague à une mégaporcherie industrielle.

Qui a dit que le nucléaire était une énergie propre ? Selon l’association Robin des bois, l’usine de retraitement de déchets radioactifs de La Hague, en Normandie, polluerait autant qu’une porcherie industrielle de 100 000 porcs. Chaque année, elle rejette 2 000 tonnes de nitrates directement dans la Manche. Ces substances chimiques sont issues de l’acide nitrique utilisé pour dissoudre les combustibles irradiés et pour séparer le plutonium, l’uranium et les produits de fission.

« La Hague peut se vanter d’être la plus grande porcherie du monde, s’exclame Jacky Bonnemains, le porte-parole de l’association joint par Reporterre. Elle dépasse même la pollution de la mégaporcherie de Nanyang, en Chine, qui va héberger plus de 84 000 truies. » Pour Robin des bois, les rejets bruts de nitrates déversés par l’usine de La Hague, ainsi que leur accumulation depuis plus de cinquante ans, contribueraient à l’eutrophisation des zones marines situées à proximité : le golfe normano-breton, la baie de Seine, la Manche Nord, etc. « L’usine de La Hague participe à la prolifération des algues vertes dans la région, assure Jacky Bonnemains. C’est une pollution ancienne, mais peu connue de la filière nucléaire. En communiquant sur ce sujet, nous avons voulu déplacer les radars et faire voler en éclats l’idée que cette énergie serait verte et durable. »

Usine de retraitement de La Hague, en 2008, alors Areva. Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0 FR/Jean-Marie Taillat

L’association écologiste s’appuie sur des documents récents. Une enquête publique est en cours jusqu’au 16 novembre pour autoriser Orano à élargir la gamme des combustibles nucléaires traités au sein de son usine. Dans ce cadre, l’Autorité environnementale vient de publier un rapport. Dans les premières pages, elle indique que l’usine déverse chaque année des milliers de tonnes de nitrates, « des flux importants, précise-t-elle, qui représentent, chaque année, plus de 1 % du rejet total d’azote » en France.

« Ces rejets représentent le lisier de 100 000 porcs »

Dans une note de bas de page, les membres de l’Autorité environnementale dressent eux-mêmes le parallèle avec l’agro-industrie. « Ces rejets représentent en équivalent azote le lisier de 100 000 porcs jetés directement dans la mer, non épuré, non épandu », décrivent-ils.

Ces rejets pourraient avoir des conséquences très concrètes sur le milieu aquatique. L’Autorité environnementale note d’ailleurs dans son rapport que l’anse des Moulinets, située sous le site industriel, présente des concentrations élevées en nitrates. Dans son rapport, elle recommande aux autorités de trouver des voies d’amélioration et de préciser les raisons des mauvais résultats en matière de dénitrification de la station d’épuration des eaux usées. Elle souligne aussi que La Hague est située en zone sensible à l’eutrophisation.

La situation est d’autant plus cocasse que le territoire de La Hague a candidaté en février 2021 au statut de géoparc mondial Unesco, un label créé fin 2015 qui consacre « des sites et paysages de portée géologique internationale [...] gérés selon un concept global de protection, d’éducation et de développement durable ».

L’usine de La Hague se trouve à côté de la Manche. Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/Tristan Nitot

Contactée par Reporterre, la filière nucléaire minore les enjeux. « Les rejets répondent à des réglementations très précises et très strictes, respectées en toute circonstance par le groupe et le site de La Hague, déclare un salarié d’Orano. Cela vaut autant pour les substances physico-chimiques que pour les éléments radioactifs. Des études réalisées par des organismes indépendants confirment que les teneurs en nitrates restent inférieures à la limite de potabilité. »

« C’est très compliqué d’analyser l’impact sur le long terme de ces rejets »

Une affirmation qui fait grincer des dents Robin des bois : « Orano compare les valeurs de ses nitrates à la norme de potabilité de l’eau pour les populations humaines, ce qui n’est pas un critère pertinent pour évaluer les risques d’eutrophisation et les effets des nitrates sur les populations marines », analyse Jacky Bonnemains.

Depuis plusieurs décennies, l’évaluation des risques environnementaux et sanitaires des rejets de La Hague fait polémique. Dans les années 2000, déjà, des scientifiques du groupe Radioécologie Nord-Cotentin (GRNC), avaient été mandatés par les autorités pour étudier ces incidences. Leurs conclusions n’avaient pas fait consensus.

« C’est très compliqué d’analyser l’impact sur le long terme de ces rejets, dit à Reporterre Pierre Barbey, un ancien membre du GRNC, militant de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro). On connaît la toxicité des substances chimiques lors d’une exposition aiguë, beaucoup moins lors d’une exposition chronique sur plus de cinquante ans. Cela demande des études d’ampleur, les incidences sont difficiles à mettre en évidence. »

Le phare du cap de La Hague. Flickr/CC BY-SA 2.0/Falcon® Photography

Tout dépend aussi de ce que l’on mesure. Lorsque le GRNC s’est créé, il y a vingt ans, la filière nucléaire affirmait ne rejeter à La Hague que 12 substances radioactives. Le GRNC en a compté en réalité... 72. Ses rejets chimiques sont également colossaux. « Au-delà du nitrate, chaque année, 100 tonnes de nitrite sont déversées dans la mer, 2 900 tonnes de phosphore total, 2,7 tonnes de phosphate de tributyle, sans compter aussi les métaux lourds, le plomb, le mercure, le zinc, énumère Pierre Barbey. C’est une vraie atteinte à l’environnement. On ne peut pas la nier. »

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