Noé Gauchard, l’étudiant écolo qui défie Élisabeth Borne

Noé Gauchard le 25 mai dans le Calvados. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Noé Gauchard le 25 mai dans le Calvados. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Politique LégislativesDans le Calvados, Noé Gauchard, candidat de l’union de la gauche, affrontera la Première ministre, Mme Borne. Pour l’écolo de 22 ans, « les mouvements sociaux doivent avoir des relais institutionnels ».
Évrecy (Calvados), reportage
Depuis lundi 16 mai, le téléphone de Noé Gauchard, candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) dans la sixième circonscription du Calvados, n’arrête plus de sonner. Tout le monde se précipite pour dresser le portrait de cet étudiant de 22 ans qui va affronter Élisabeth Borne, tout juste nommée Première ministre. Les déplacements de campagne du jeune homme ont depuis pris une autre allure : la cohorte de grands costauds au service de protection de Matignon ne passe pas vraiment inaperçue sur les marchés de village où se croisent les candidats. La couverture médiatique a également changé, faisant de cette circonscription rurale un symbole de la bataille entre l’union des gauches écologistes et le camp d’Emmanuel Macron. Une énorme pression que le jeune homme accepte avec courage. « Le jour où Élisabeth Borne a été nommée, je n’ai d’abord pas trop réalisé. Désormais, cela ne me fait pas peur. C’est la seule circonscription de France où on pourra voter contre une Première ministre. Si on gagne, l’exploit n’en sera que plus grand. »
Une prouesse pas facile à accomplir, le Calvados n’étant pas vraiment un bastion de la gauche. Au premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron a engrangé 31 % de votes, Marine le Pen 23 % et Jean-Luc Mélenchon 19 %. « Lorsqu’on m’a proposé de me présenter, on m’a souhaité bon courage car c’est un endroit avec peu de militants locaux. Mais il m’a fallu seulement deux semaines pour construire un réseau d’une cinquantaine de personnes pour m’aider. On comprend pourquoi l’ancrage local est utile », dit-il à Reporterre. Noé Gauchard est un gars du coin. Il est né ici, tout comme ses parents, instituteurs, et ses grands-parents, agriculteurs. Un détail loin d’être anodin qu’il affiche en premier sur son tract de campagne. « C’est l’équipe à Paris qui m’a conseillé de le faire. Comme je ne suis pas connu, cela apporte de la légitimité. » Son ancrage familial s’avère un sésame face à une Élisabeth Borne, parachutée.

Si l’on en doutait, il suffit de suivre Noé Gauchard tracter sur un marché. « Êtes-vous parent avec monsieur Gauchard, l’instituteur ? Ma fille l’a eu à l’école », l’interroge une femme sur le marché d’Évrecy, 2 000 habitants. « Oui, je ressemble à mon père, mais avec plus de cheveux », sourit le jeune candidat. Un autre passant l’interpelle : c’est un ami de son grand-père, un homme engagé localement dans diverses associations, notamment d’aide aux réfugiés. « Je ne serais jamais allé me présenter ailleurs. Sur chaque marché, je croise des gens qui connaissent ma famille, parfois même des cousins que je n’ai jamais rencontrés », s’exclame Noé Gauchard.
Pour l’aider à tracter, il a été rejoint par trois compagnons de route : Paul Demeilliers, son directeur de campagne, Christian Lereverend, élu local (Europe Écologie-Les Verts) et Thomas Dubé, militant de La France insoumise. Sweat bordeaux et baskets blanches, cet ancien commercial de 27 ans profite d’une période sans emploi pour mettre son bagou au service du jeune candidat. Aujourd’hui, les badauds ne se laissent pas facilement séduire. « On sent une grande lassitude. On sait que c’est compliqué de mobiliser pour les législatives. Mais Élisabeth Borne peut nous aider à convaincre l’électorat qui a un vote de colère et un vote anti-Macron. » Ainsi, la Première ministre pourrait contribuer à faire basculer certains électeurs indécis vers la gauche. C’est en tout cas l’espoir de la petite équipe et les derniers sondages ne leur donnent pas tout à fait tort.
Militant depuis le lycée, il a rejoint Youth For Climate en arrivant à Paris
Ces prédictions nationales sont toutefois très difficiles à transposer à l’échelle locale, faute de pouvoir affiner les résultats selon les circonscriptions. Et dans les allées du marché, les gens ne sont pas très bavards. Les quatre compères recueillent quelques sourires, essuient pas mal d’indifférence, des refus plus ou moins polis et doivent parfois encaisser des insultes. Comme cet homme qui crache sa haine de la classe politique — « vous devriez tous finir au fond d’un sac avec un caillou dedans qu’on jetterait dans l’eau ». Pas de quoi entamer leur moral. D’autant que, dans le Calvados, c’est l’union sacrée : aucune candidature dissidente ne vient briser l’élan de la Nupes. Les six candidats du rassemblement s’entendent à merveille et prévoient même d’organiser un meeting en commun. « Je n’aurais pas aimé faire campagne contre d’autres candidats de gauche qui auraient eu un programme similaire au mien », dit Noé Gauchard.

L’étudiant, qui vient de terminer son master en affaires publiques à Science Po, n’est pas du genre requin. Avec sa mèche de cheveux châtains qui glisse sans cesse sur ses yeux, sa chemise bien repassée, son costume et ses chaussures cirées, Noé Gauchard a plutôt l’allure d’un jeune premier. Une apparence soignée faite pour plaire à un électorat âgé. Il ne faut pas s’y fier : derrière son visage juvénile se cache un tempérament de battant. Militant depuis le lycée, il a rejoint Youth For Climate en arrivant à Paris. Il l’a quittée en février dernier pour préserver la position apartisane de l’organisation et rejoindre le parlement de l’Union populaire. « J’ai toujours pensé que les mouvements sociaux ne pouvaient pas atteindre leurs objectifs sans relais institutionnels. Et, à l’inverse, les institutions ne pouvaient rien faire sans les mouvements sociaux », assure-t-il. Chez Youth for Climate, on a bien trouvé quelques râleurs pour critiquer cet engagement, craignant une récupération du mouvement à des fins politiques. Mais dans l’ensemble, beaucoup respectent son choix.
L’envie d’une « réelle écologie populaire »
S’il a quitté le militantisme, Noé Gauchard n’en garde pas moins l’engagement écologique chevillé au corps. Des convictions qu’il a su adapter à son territoire. « Il ne s’agit pas d’imposer par le haut une écologie mais de montrer que les transitions peuvent se faire par le bas, avec une réelle écologie populaire. » S’il gagne, il souhaite instaurer des conseils citoyens qui permettraient la mise en œuvre de la planification écologique avec les habitants pour essayer d’appliquer les mesures à l’échelle d’une commune. « Regardez par exemple ici, il n’y a pas de transports en commun, on ne peut pas dire aux gens d’arrêter de prendre leur voiture. Il faut d’abord repenser la politique des mobilités. » L’un de ses chevaux de bataille sera justement la réouverture de la ligne de train entre entre Caen et Flers, fermée depuis les années 1970 et devenue une voie verte. « Il serait matériellement possible de la réhabiliter. Une étude de la CGT Cheminot dit que c’est réalisable, pour un coût de 80 à 100 millions d’euros », assure Christian Lereverend, l’élu écolo qui soutient Noé Gauchard.

Il est bientôt midi et les commerçants commencent à remballer leurs stands du marché d’Évrecy. La pile de tracts n’a pas beaucoup diminué mais l’équipe est satisfaite de sa matinée. Noé Gauchard songe déjà à se préparer pour le débat qu’il aura face à Élisabeth Borne sur France 3, dimanche 5 juin. « Au début, elle avait refusé car, vu sa notoriété, j’imagine qu’elle n’avait aucun intérêt à le faire. Si elle accepte, c’est sans doute qu’elle se rend compte que sa popularité nationale ne suffira pas à remporter l’élection. » La Première ministre a sans doute réalisé qu’il ne sera pas si facile de battre celui que les macronistes surnomment avec dédain « le charmant bambin de vingt ans ».