Femme de chambre, boulanger… ils sont candidats pour la première fois

Montage Reporterre - Rachel Keke : Dominique Bierra / Nadhéra Beletreche : DR / Louis Boyard : Facebook / Alexis Chaussalet : Facebook
Montage Reporterre - Rachel Keke : Dominique Bierra / Nadhéra Beletreche : DR / Louis Boyard : Facebook / Alexis Chaussalet : Facebook
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Politique LégislativesMilitants écologistes et des quartiers populaires, boulanger, femme de chambre… ils et elles se présentent aux législatives sous la bannière Nupes. Portraits de sept candidats et candidates.
Nadhéra Beletreche, militante féministe et antiraciste de terrain

Si Nadhéra Beletreche se présente aux législatives, c’est un peu grâce à Alice Coffin. La militante féministe, encartée chez Europe Écologie-Les Verts, est venue la chercher il y a quelques mois pour être une candidate d’ouverture. « J’ai accepté car chez les Verts émergent des figures comme Alice Coffin et Sandrine Rousseau, qui font l’effort de faire la jonction avec les milieux antiracistes et féministes », dit la militante au téléphone. En 2005, à l’époque des révoltes dans les banlieues, elle a créé le collectif Racaille de France. Elle a rédigé ensuite le livre Toxi-cités (Plon, 2013) pour dénoncer la ghettoïsation des quartiers populaires, les violences policières ainsi que le manque d’enseignement de l’histoire de la colonisation et de l’esclavage. Quelques années plus tard, elle s’est investie sur les questions féministes et de lutte contre les LGBTphobies. Elle travaille aujourd’hui sur la mobilité durable pour la ville de Paris. « J’essaie de trouver comment lutter contre la pollution de l’air sans que cela soit injuste. Car il est difficile de mener des politiques environnementales qui ne soient pas discriminantes. » Par exemple, difficile d’interdire les véhicules polluants sans aider les gens à sortir de la dépendance à la voiture.
Si elle est aujourd’hui candidate dans la neuvième circonscription de l’Essonne, c’est parce qu’elle ressent les limites à l’action associative qu’elle mène depuis des années. « Il y a une banalisation du racisme qui est très préoccupante car il n’y a pas de contre-discours en face. Il faut que des militants qui connaissent leurs sujets s’engagent. Car la politique est un rapport de classes qui défendent leurs intérêts. »
Alma Dufour, l’écolo anti-Amazon

C’est « l’ennemie numéro 1 d’Amazon » en France. Pendant quatre ans, au sein des Amis de la Terre, la militante Alma Dufour a bataillé avec détermination contre le géant étasunien qui bétonne des centaines d’hectares de terres agricoles et détruit des emplois. Quatre ans d’un labeur acharné balayé par la loi Climat. [1] « Tout notre travail a été réduit en miettes par des imbéciles, des députés qui ont obéi aux consignes de Macron et qui, après, ont le culot de dire qu’ils sont impuissants. Le blocage institutionnel est aujourd’hui trop fort. Il faut faire dégager ces gens. »
« Tout notre travail a été réduit en miettes par des députés macronistes imbéciles »
La militante n’est pas originaire de Normandie, où elle a été envoyée pour faire campagne. Elle est ainsi accusée d’être parachutée, notamment par le Parti socialiste. Le maire socialiste d’Elbeuf et vice-président de la métropole de Rouen, Djoudé Merabet, a d’ailleurs maintenu sa candidature face à elle. « Ils utilisent tout leur pouvoir d’influence pour m’attaquer en mettant en avant leur ancrage local. Moi, je dénonce le fait qu’ils n’ont aucune colonne vertébrale politique. Cela ne fait pas quinze ans que je suis en politique pour gagner de l’argent et du pouvoir. J’ai toujours mis mes convictions et le collectif au-dessus de ma carrière personnelle », dit-elle à Reporterre.
Si elle n’est pas normande, elle connaît bien les problématiques économiques de la région car elle travaille depuis longtemps sur les questions de relocalisation industrielle et écologique. Elle s’est intéressée à Amazon tout d’abord, dont le projet d’implantation à Petit-Couronne a été abandonné. Puis à la Chapelle Darblay, une ancienne usine de recyclage de papier sauvée grâce à l’alliance intitulée Plus jamais ça de syndicats et d’ONG. « Comment créer des emplois et réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en assurant les besoins des populations ? Voici les questions sur lesquelles je travaille depuis des années », assure Alma Dufour.
Louis Boyard, du syndicalisme étudiant à la politique

Louis Boyard n’a que 21 ans mais déjà une belle carrière militante derrière lui. Son engagement politique commence en 2018 dans son lycée de Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne). Un bâtiment infesté d’amiante. Avec ses camarades de classe, il avait lancé un blocage pour dénoncer cette pollution. Trois mois plus tard, la région avait enfin décidé de lancer les travaux. Il a alors adhéré au syndicat de l’Union nationale lycéenne dont il a fini par prendre la présidence. « On a été ultramobilisés sur tous les sujets, de parcours sup à la réforme du bac, puis le Covid est arrivé », raconte-t-il. Son nom et son bagou ont vite circulé : on l’a vu sur BFM, Touche pas à mon poste et les Grandes Gueules. « Après m’être mobilisé localement, avoir été syndiqué, puis avoir été sur les plateaux, j’ai réalisé que, pour changer les choses, il fallait passer par les élections. » Pourra-t-il remporter la bataille dans cette troisième circonscription du Val-de-Marne face à des politiciens chevronnés comme Didier Gonzales (Les Républicains), le maire de Villeneuve-le-Roi, et le député sortant Laurent Saint-Martin (LREM) ? « Je pense que c’est une chance unique d’être investi à 21 ans face à deux poids lourds. On a besoin de jeunes en politique et la Nupes en a investi beaucoup », dit-il. S’il est élu, il portera à l’Assemblée nationale des sujets sur lesquels la majorité actuelle est totalement déconnectée. « Ils vivent dans un autre monde et n’ont jamais été confrontés à la précarité, au chômage. Aujourd’hui, je me demande si je serais capable d’avoir des enfants vu comment le réchauffement climatique va saccager le monde. Et quand on lit les rapports du Giec [le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], on n’est pas rassurés. Les jeunes vivent un moment difficile. Cela ne nous rend pas supérieurs mais on interprète la politique autrement et il faut nous laisser la place de le faire. »
Stéphane Ravacley, le boulanger qui vise l’Assemblée

Les frères Dardenne lui ont rendu hommage en plein festival de Cannes : Stéphane Ravacley, boulanger pétri de solidarité, se présente aux élections législatives dans la deuxième circonscription du Doubs, sous la bannière de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes). Cet artisan s’était fait connaître en janvier 2021 : il s’était alors battu pour éviter l’expulsion de Laye Fodé Traoré, son apprenti guinéen, allant jusqu’à mener douze jours de grève de la faim. « Avant cet épisode, je ne vivais que pour mon métier, confie l’homme de 53 ans à Reporterre. La politique est venue à moi avec l’OQTF [obligation de quitter la France] qu’a reçue le gamin. Je n’étais pas prêt à le lâcher. »
Ce combat, qui a abouti à la régularisation de l’apprenti, a été le levain d’une « crise d’adolescence politique ». Stéphane Ravacley a d’abord créé l’association Patrons solidaires puis, début 2022, bouleversé par le sort des Ukrainiens, il a organisé un « convoi solidaire » de vingt-quatre camions en usant de son aura médiatique. « À un moment donné, il faut mettre la main à la pâte. À l’heure où l’on nous parle d’exilés climatiques, on ne peut plus rester les bras croisés et laisser des élus inhospitaliers aux manettes. »
« On ne peut plus laisser des élus inhospitaliers aux manettes »
Le « déclic » législatif, l’artisan l’a eu le 13 octobre 2021. Le sénateur (PS) de Saône-et-Loire, Jérôme Durain, présentait sa proposition de « loi Ravacley » en faveur des mineurs étrangers devenus majeurs. Le texte a été balayé. « Ça m’a à la fois dégoûté et convaincu d’entrer dans le système pour ouvrir ma bouche au sein des institutions. »
Pas question, pour autant, de s’éloigner du fournil : « Je passerai trois jours par semaine à Paris, le reste à la boulangerie », dit ce fils d’agriculteur, qui se targue de faire du pain bio depuis la fin des années 1990. Et pour ne jamais « oublier d’où [il] vient », il portera fièrement ses chaussures de travail — « marron, mais presque blanches tellement il y a de farine dessus » — à l’Assemblée.
Rachel Keke, rendre visible les invisibles

Elle veut « être la voix des sans-voix, des travailleurs qui se lèvent tôt, les essentiels qui ont tenu la France à bout de bras pendant le Covid-19 et n’ont reçu, en retour, que du mépris ». Rachel Keke, 48 ans, est candidate aux législatives pour la Nupes dans la septième circonscription du Val-de-Marne. Depuis 2003, cette femme travaille au sein de l’hôtel Ibis Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris. Avant de devenir gouvernante, elle a nettoyé jusqu’à quarante chambres par jour pendant quinze ans. « Des cadences impossibles, on se tue au travail, dit-elle. Beaucoup tombent malades, ont des tendinites, mal au dos ou au canal carpien. »
Elle est devenue l’une des figures du combat victorieux des femmes de chambre qui ont tenu tête au grand groupe hôtelier Accor pendant vingt-deux mois de grève, entre 2019 et 2021. « Il a fallu tenir les piquets de grève quelles que soient les saisons et les douleurs, résister aux insultes et aux menaces de licenciements, se remémore-t-elle. Mais nous avons prouvé que se battre n’était pas vain : les salaires ont augmenté, les cadences ont réduit… »
Cette autodidacte de la lutte, mère de cinq enfants, qui a longtemps peiné à se loger avant d’être aidée par l’association Droit au logement (DAL), souhaite désormais se faire entendre à l’Assemblée. « Il faut secouer le cocotier », dit-elle. Rachel Keke garde un souvenir amer des promesses non tenues de Marlène Schiappa, l’ex-secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes « qui était venue nous voir à l’hôtel Ibis et n’avait finalement rien fait pour défendre les femmes de chambre ». Elle a en tête aussi « des moqueries des députés quand François Ruffin défendait les femmes de ménage de l’Assemblée nationale » : « Le fait que des élus prennent ça à la légère et nous rabaissent, ça m’a convaincue qu’il fallait que j’y aille moi-même, pour rendre visible la condition des invisibles et dénoncer le recours à la sous-traitance, toujours synonyme de maltraitance. » Aux élections législatives, la gouvernante affrontera l’ex-ministre des Sports Roxana Maracineanu, candidate pour la majorité sortante LREM. « Tant pis pour elle », s’amuse-t-elle.
Lumir Lapray, la jeunesse rurale à la conquête de l’hémicycle

Convaincue que « la jeunesse rurale a un rôle énorme à jouer dans le fameux monde d’après », Lumir Lapray veut la représenter dans l’hémicycle et brigue la deuxième circonscription de l’Ain. La candidate Nupes, pas encore 30 ans, a grandi à Proulieu, un petit village du Bugey. « Un territoire à 96,5 % périurbain entre Lyon et Genève », précise-t-elle. Elle s’est forgé la conviction « qu’être écolo, ce n’est pas uniquement prendre son vélo et ne pas manger de viande, un modèle auquel les jeunes périurbains et ruraux ne pourront jamais s’identifier ».
La jeune femme a fait ses études à Sciences Po Lyon et vécu plusieurs expériences aux États-Unis, où elle a participé à une campagne d’augmentation du Smic à Los Angeles et a été assistante parlementaire de la députée démocrate de Californie Juan Vargas. « C’est là-bas que j’ai découvert le racisme environnemental : des gens racisés et pauvres vivaient systématiquement dans des zones polluées, qui mettaient leur santé en danger », dit-elle.
Elle a pris la pleine mesure de ce qu’elle nomme « la bombe climatique » à son retour en France, à Paris, où elle a milité au sein d’Alternatiba, en parallèle d’un emploi dans un cabinet de conseil spécialisé dans la responsabilité sociale des entreprises. L’envie d’être candidate lui est apparue « pendant la crise sanitaire, gérée de façon délirante par Emmanuel Macron », et dans un contexte « de fatigue militante post-mouvement des Gilets jaunes » : « Des centaines de milliers de personnes étaient dans la rue sans que rien ne change. Je me suis dit que la question n’était plus tant de savoir comment se faire entendre, mais de devenir les gens qui écoutent. »
Désormais, pour Lumir Lapray, « la “génération climat” et la France des Gilets jaunes doivent conquérir l’Assemblée ». La mission sera ardue pour elle, dans un département largement acquis à la droite.
Alexis Chaussalet contre les dinosaures de la politique réunionnaise

Né à Saint-Pierre en 1993, Alexis Chaussalet est le candidat Nupes de la troisième circonscription de La Réunion. Il a fait ses premières armes militantes lors des manifestations contre le CPE en 2006, et a participé à la création du syndicat lycéen UNL à 15 ans. Parti dans l’Hexagone à la majorité, il a rejoint le mouvement altermondialiste et écologiste Attac, dont il a été le responsable des relations médias pendant quatre ans.
Revenu à La Réunion, il a participé à la création d’un gîte, La Bulle verte, à Piton Mont-Vert. « Nous y valorisons des produits ancestraux de l’île, en agriculture paysanne et biologique, sans intrants », dit-il. Impliqué dans les luttes locales, Alexis Chaussalet a notamment protesté contre la fermeture du Ti coin charmant de Manapany, un riche jardin et un lieu de rendez-vous des Réunionnais.
Il a ensuite travaillé en tant qu’attaché parlementaire, à mi-temps, de la députée réunionnaise Karine Lebon. Puis, « je me suis lancé dans la campagne pour La France insoumise, je me suis présenté pour mettre fin au vieux monde politique en place à La Réunion. Quand je regardais les débats politiques il y a une vingtaine d’années, il y avait déjà les mêmes individus, les mêmes noms, une sorte de caste dominante qui a plus brillé par ses démêlés judiciaires que pour la défense de l’intérêt général, de l’écologie et de la justice sociale ». Par sa candidature, le Saint-Pierrois souhaite incarner « un sursaut au niveau local, où il faut développer notre autonomie alimentaire et énergétique, et lutter contre la Nouvelle route littoral, cette non-réponse à la congestion automobile et une gabegie financière ; mais aussi national, où Emmanuel Macron nous emmène droit dans le mur ».