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Politique

Les militants des quartiers populaires sacrifiés pour l’union de la gauche ?

À Marseille, l'activiste pour le droit au logement Kevin Vacher a dû laisser sa place. Ici, en avril 2022, détaillant sa proposition citoyenne de loi rue d’Aubagne.

Plusieurs militants issus des quartiers populaires n’ont pas été investis aux législatives par la Nouvelle union populaire. Ils regrettent des « parachutages » et craignent un manque de représentativité à l’Assemblée.

Les candidatures des quartiers populaires aux législatives auraient-elles été sacrifiées sur l’autel de l’union de la gauche ? L’accusation n’est pas nouvelle : quelques semaines après les résultats du premier tour de la présidentielle, certains s’inquiétaient déjà d’un manque de diversité dans les investitures.

Parmi eux, deux écologistes, Steevy Gustave et Sami Adili, ont écrit une tribune dont Le Parisien a publié des extraits : « Nous élu-e-s des territoires [...] refusons d’être un peu plus invisibilisé-e-s par des parachutages qui n’ont aucun sens pour les électeurs et électrices. » Steevy Gustave, conseiller municipal à Brétigny-sur-Orge (Essonne), se savait déjà investi par la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) dans la troisième circonscription du département (Dourdan-Brétigny) lorsqu’il a lancé cet appel. Loin d’être une revanche, ce texte résonne plutôt comme une alerte. « Les quartiers populaires se sont vraiment mobilisés aux dernières élections. Il ne faudrait pas qu’ils soient sacrifiés une nouvelle fois, explique-t-il à Reporterre. D’autant que nous sommes souvent en première ligne face aux haineux. C’est nous qui tenons les digues, alors on ne veut plus être seulement des fantassins, on veut devenir des généraux. »

Son acolyte Sami Adili s’est en revanche fait ravir la septième circonscription de l’Essonne dans laquelle Europe Écologie-Les Verts (EELV) l’avait désigné comme candidat, au profit de Claire Lejeune, membre de l’Union populaire. « Je souhaite qu’elle remporte l’élection. Mais il est dommage qu’elle vienne effacer la candidature d’une personne racisée, il y en a déjà tellement peu », déplore-t-il. De son côté, Claire Lejeune assure qu’elle n’a pas été désignée à sa place : « Au moment des négociations, cette circonscription a été donnée à l’Union populaire. C’est ensuite que j’ai été investie. Mais les Verts auraient pu décider que la candidature de Sami Adili était une priorité. »

Au-delà d’une question de personnes et d’égo, ce manque de représentativité est symptomatique d’un problème politique plus systémique. « Il est temps que la gauche prenne conscience que pour séduire les électeurs, il faut désigner des gens qui leur ressemblent », poursuit Sami Adili. Selon lui, il n’y aurait que 3 à 4 % de personnes issues de la diversité dans la Nupes. Un chiffre que l’équipe de l’union n’a pas confirmé. « Cela m’étonnerait qu’il y ait eu ce genre de comptage. Mais il est vrai que dans le paysage global, il n’y a pas suffisamment de personnes racisées et venant des quartiers populaires », constate Claire Lejeune. D’ailleurs sur Twitter, la photo de famille des candidates et candidats en Seine-Saint-Denis a fait jaser. « J’ai cru que c’était celle d’une rédac’ parisienne », a commenté sur Twitter Latifa Oulkhouir, la rédactrice en cheffe du Bondy Blog.

« La France insoumise est un appareil politique centralisé »

L’Île-de-France n’est pas la seule région où certains candidats des quartiers populaires ont été écartés. À Marseille (Bouches-du-Rhône), l’activiste pour le droit au logement Kevin Vacher en a également fait les frais. Alors qu’il menait campagne avec une liste citoyenne depuis février, il a dû laisser sa place à Manuel Bompard, le négociateur de La France insoumise (LFI). En échange, ce dernier s’est engagé à reprendre les propositions de l’équipe de Kevin Vacher, notamment sur l’habitat indigne. « La France insoumise est un appareil politique centralisé qui valorise la loyauté avant l’action de terrain. Pour eux, les législatives sont un mandat national sans nécessité d’être engagé au local », constate l’activiste.

Kevin Vacher, à droite. Twitter/Kevin Vacher

Autre candidate déçue dans la cité phocéenne : Sophia Hocini. Cette militante, cofondatrice de l’association Tous élus, aurait aimé être investie par la Nupes dans la circonscription où elle vit (sixième circonscription des Bouches-du-Rhône). Las, c’est une femme du Parti socialiste (PS), Magali Holagne, qui a raflé la mise. « On ne peut pas être à gauche et empêcher les classes populaires de prendre part au jeu politique, dénonce Sophia Hocini. Je pense qu’on cherche à sauver les vieux éléphants des partis qui composent cette union, alors qu’il faudrait un vrai renouvellement pour démocratiser la vie publique. »

Un constat partagé par Kevin Vacher : « La politique est faite pour sélectionner socialement les gens. Cela demande d’avoir un haut niveau de diplôme et de faire partie de certains réseaux. Cela reproduit les effets de sélection sociale. C’est pourquoi les candidatures citoyennes sont importantes afin d’emmener des personnes plus jeunes, plus précaires, plus racisées dans la vie politique. »

Sophia Hocini (à droite) a dû laisser sa place à Magali Holagne (PS) dans la sixième circonscription des Bouches-du-Rhône. Twitter/Sophia Hocini

Ne soyons pas trop sévères : la Nupes a bien investi des candidates et des candidats issus de quartiers populaires ou racisés à l’instar de Nadhéra Beletreche, membre des Verts désignée dans la neuvième circonscription de l’Essonne. Elle affirme s’être beaucoup battue pour décrocher le fameux sésame. « Les partis ont placé en priorité les cadres, qui sont des personnes blanches et CSP+. Le risque était que les candidatures d’ouverture sautent en premier. » Signalons également Rachel Keke, figure de la lutte des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles, qui se présente dans la septième circonscription du Val-de-Marne.

« Il y avait beaucoup d’espoir avec la campagne de Mélenchon dans les quartiers populaires »

Une militante que Djamel Arrouche, membre de LFI Val-de-Marne, connaît bien pour avoir beaucoup travaillé avec elle. « S’il y avait davantage de Rachel Keke sur les bancs de l’Assemblée nationale, cela ne pourrait être que profitable à la société et au débat public », explique-t-il. Ce professeur d’économie pensait être candidat dans la circonscription voisine, la onzième du Val-de-Marne, où il vit et milite depuis des années. Ancien responsable départemental du Parti de gauche, candidat aux législatives de 2017, il avait tout à fait le profil. Mais la Nupes a préféré la sénatrice Génération.s Sophie Taillé-Polian, dont Djamel Arrouche s’est retrouvé suppléant. « Il y avait beaucoup d’espoir avec la campagne de Mélenchon dans les quartiers populaires. Les militants locaux ont alors cru que c’était leur tour. Et, finalement, ce ne sera pas le cas encore cette fois-ci . »

Il dénonce la loi d’airain de l’oligarchie — comment une organisation crée une élite oligarchique — et aimerait que les partis politiques renouent avec une tradition de maillage du territoire. « On s’étonne de l’abstention et du vote pour le Rassemblement national. Mais il ne faut pas se rendre dans les quartiers une fois tous les cinq ans. La question de la représentation nationale doit aller au-delà du symbole. Il faut que les partis politiques se donnent les moyens de tendre vers plus de représentativité. »

Comment instaurer plus de diversité sur les bancs de l’Assemblée ? La question revient à chaque élection et devrait être traitée bien en amont du scrutin, selon Claire Lejeune. « On ne va pas résoudre ces problèmes lors des négociations. Il faudrait s’interroger à l’avance sur la façon de prioriser ces candidatures au sein de chaque formation. » Sami Adili propose d’instaurer des quotas. « On nous dit souvent qu’on est dans un système méritocratique, je l’entends. Mais pourquoi ne pas mettre des quotas pour ouvrir un milieu peu accessible au commun des mortels, surtout pour les jeunes issus des quartiers populaires ? » Kevin Vacher aimerait pour sa part lancer un grand débat national sur le sujet. « Il faudrait après la campagne faire un débat sur la parité sociale. Imaginer une refonte de la vie politique pour aboutir à une règle sur les candidatures pour qu’il y ait des classes populaires à l’Assemblée. »

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