Notre-Dame-des-Landes : sur la Zad, une belle détermination collective à reconstruire

Durée de lecture : 8 minutes
Luttes Notre-Dame-des-LandesDimanche 15 avril, des milliers de personnes se sont rassemblées à Notre-Dame-des-Landes. Zadistes et soutiens ont fait preuve d’une grande détermination collective à protéger et à reconstruire la Zad. Malgré une présence militaire redoublée, ils ont multiplié les gestes joyeux et non-violents.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
« Ces casques et ces masques que vous avez, ils vont servir à quoi aujourd’hui ? » Sur la petite route fleurie qui mène à la ferme de Bellevue, deux militants venus de Creuse pour le rassemblement pacifique de ce dimanche 15 avril s’alarment à la vue de notre attirail. Arrivées dans la cour boueuse, des centaines de personnes prennent leur petit déjeuner en bavardant. Un accordéoniste égaye le lever du soleil, jusqu’au moment où une habitante lance au mégaphone : « Le carrefour de la Saulce est occupé par les gendarmes, ils s’attaquent à la barricade des Lascars, et la Zad est scindée en deux. » Impossible donc de se rendre depuis l’ouest, où nous nous trouvons, à l’est où doit se tenir la manifestation à 12 h.
Des groupes se forment pour aller prêter main-forte à celles et ceux présents depuis l’aube à la barricade des Lascars. En chemin, un habitant muni d’un talkie-walkie peste en recevant les informations des quatre coins de la zone. « Ce rassemblement était autorisé, des milliers de gens sont attendus, souffle-t-il, furieux. Pourquoi les gendarmes bloquent-ils tous les accès et empêchent-ils le rassemblement ? Ils veulent un nouveau déchaînement de violence ? »
Une fois parvenus jusqu’aux Lascars, au milieu de l’agitation, nos oreilles sont attirées par un chant surprenant, en provenance du nord de la route D81 occupée par les gendarmes. A travers bois, nous rejoignons une petite centaine de militants non violents, bras levés, groupés en chœur devant le cordon de gendarmes. Certains chantent, d’autres parlent aux militaires, une autre encore fait des bulles de savon.
Parmi eux, une dizaine de Belges des Jeunes Organisés combatifs (Joc, ex-Jeunesses Ouvrière chrétienne) venus de Liège redoublent d’humour et de philosophie pour apaiser les gendarmes, alors même que des affrontements éclatent dans le champ voisin, à la lisière de la forêt de Rohanne.
« Ce que vous défendez ici, c’est un système libéral et destructeur qui est voué à notre perte, explique ardemment un jeune de 24 ans aux gendarmes. Vous avez sans doute des enfants, mais ils auront peut-être des cancers, des troubles liés aux perturbateurs endocriniens. Et on aura besoin de vous pour faire tomber le libéralisme. Pas pour vous, pas parce qu’on est des révoltés, jeunes et cons, mais pour avoir un avenir commun. »
Malgré les injonctions à reculer, malgré les avancées brusques des forces de l’ordre, les militants vont tenir, sept heures durant, mains levées et sourire aux lèvres.
À la mi-journée, une accalmie toute relative semble être revenue aux Lascars. Dans la matinée, les gendarmes ont scié et fait tomber la barricade. Ils font maintenant directement face à une foule calme et non violente. Derrière, une batucada enchaîne les rythmes toniques, entraînant quelques cheveux blancs dans une danse endiablée sur les restes de la barrière.
- Près de la barricade des Lascars.
Tandis que les gendarmes commencent à gazer les manifestants, à l’arrière de la ligne de front, jeunes et vieux se reposent au soleil. Une famille parisienne en route pour des vacances en Bretagne a fait halte ce dimanche sur la Zad. « Ce qui s’est passé cette semaine est incompréhensible et inadmissible, témoigne le père. Nous sommes venus soutenir ce qui est construit ici et dire stop à la violence. »
À deux kilomètres de là, des milliers de personnes affluent à Bellevue. Le rassemblement qui devait avoir lieu au Gourbi aura finalement lieu dans l’ouest de la zone, seule partie accessible. Mais l’objectif reste le même : construire collectivement une grande halle et l’apporter « le plus loin possible » vers l’est, là où se tiennent normalement les marchés… et là où les gendarmes ont expulsé et détruit les projets agricoles en germes.
Parmi les milliers de manifestants, Julien Bayou, porte-parole d’EELV, a fait le déplacement avec d’autres écologistes. « Heureusement, il n’y aura pas d’aéroport, mais il faut à présent une sortie par le haut, observe-t-il, plaidant pour un nouveau Larzac. Il n’y avait aucune urgence à évacuer, il fallait laisser le temps de la concertation. Avec ce déluge de violence, le gouvernement s’est mis tous seul dans la nasse, le dialogue est rompu et on ne peut que constater l’impasse. »
À l’appel de Geneviève Coiffard, de la coordination des opposants, chacun se saisit d’un des milliers de bâtons plantés là en octobre dernier, lors du serment à venir défendre la Zad en cas d’expulsion. Puis le cortège se met en route à travers le bocage, au cri de « la Zad vivra, la Zad vaincra » et « De gré ou de force, nous garderons la Zad ». A l’arrière, un groupe de charpentiers transportent poutres, planches et outils en vue de la reconstruction. Dans le ciel, l’hélicoptère tournoie.
Après une petite heure de marche boueuse, les manifestants parviennent à la barricade des Lascars. Face aux gendarmes, ils sont désormais des milliers à avancer, bras levés. On danse, on chante, on offre des fleurs ou des bisous à la volée aux hommes casqués et armés.
- Aux Lascars.
Sur un talus, Jean-René et sa fille observent la scène. « Pour la suite, ça risque de s’enliser, s’inquiètent-ils. Le gouvernement cherche l’évacuation totale, mais ils n’y arriveront pas de si tôt. »
- Jean-René.
Derrière la barricade, au milieu d’un grand champ voisin de la Wardine, les charpentiers supervisent l’arrivée des poutres de la future halle. Les manifestants ont planté leurs bâtons autour d’eux, formant une haie symbolique. Des banderoles accrochées indiquent « IndispenZad, InexpulZad, IrremplaZad ».
Soudain, une petite centaine de personnes arrivent, portant une petite charpente — un campanile censé surmonter la future halle. Au mégaphone, un habitant annonce : « Nous allons transporter cette charpente jusqu’au Gourbi, tous ensemble, et passer le barrage de gendarmes. »
C’est l’euphorie. Devant, tronçonneuses et bâtons ouvrent un chemin à travers la forêt. D’autres vont en éclaireur trouver le trajet le plus adéquat, et observer les mouvements des gendarmes. Des porteurs et porteuses se relaient régulièrement. Une foule très nombreuse se forme, protectrice, autour de la charpente. Dans un élan collectif, le campanile traverse la forêt de Rohanne, puis la route D81, puis un champ, puis un autre. On s’embourbe, on se prend les pieds dans les ronces. En lisière des prairies, les gendarmes se déplacent, suivant à distance le mouvement.
« C’est magnifique, lâche, ému, un habitant. C’est tout ce que la Zad donne de mieux : ces moments collectifs, avec cette diversité de personnes, où on s’en fiche de ce que les gendarmes veulent interdire. » A proximité de la ferme des Fosses noires, le groupe bifurque en direction du Gourbi. Mais les gendarmes barrent la route, et gazent à nouveau les manifestants.
Après avoir déposé le campanile à l’abri, dans le jardin des Rouges et Noirs, la foule se replie tranquillement vers le carrefour de la Saulce. Sauf que, sur place, les confrontations ont redoublé de violence. Une pluie de grenades et de gaz, dont les fameuses fumées oranges, tombe sur les militants. Certains répliquent par des feux d’artifice. Des projectiles volent. Vers 19 h, les gendarmes chargent. C’est un repli chaotique à travers bois. On entend des gens crier « Médics ! ». Les grenades sifflent entre les branches. À la fin de la journée, les équipes de soin recenseront plus de 60 blessés.
Essoufflés, les gens se retrouvent dans le champ de la Wardine, où les charpentiers achèvent de monter la halle dans le soleil couchant. Un groupe de musique les accompagne, tandis que d’autres, affalés dans l’herbe, jouent à saute-moutons. Un semblant de calme revient peu à peu.
Pour le député insoumis Loïc Prudhomme, présent à la manifestation, « ce rassemblement a été à l’image de ce qu’est la Zad : une grande mobilisation populaire, avec une grande diversité d’âges et de personnes » . Il constate l’échec de l’opération du gouvernement, qui, par un déploiement de force, a rompu le dialogue fragile qui avait débuté. « Pour s’en sortir, il faut du temps, que le gouvernement aurait dû laisser, et de l’intelligence collective. Ce n’est pas par la force qu’on sortira de l’impasse. »
La structure en bois de la halle achevée, des centaines de manifestants décident de l’emporter à son tour vers le Gourbi dans la nuit tombante. Ils y parviendront deux heures plus tard, montrant une détermination collective à toute épreuve.
- [rep]Regarder le reportage photo de Marion Esnault, dimanche 15 avril, à Notre-Dame-des-Landes[/rep]
- [rep]Regarder le reportage photo de Nicolas de la Casinière, dimanche 15 avril, à Notre-Dame-des-Landes[/rep]
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