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Sivens

« Notre nom est Rémi »

Retour sur le rassemblement de mercredi, à Paris, à la mémoire de Rémi Fraisse, où la police a procédé à plus d’une trentaine de gardes à vue. Les personnes gardées à vue - dont notre reporter - ont choisi de se présenter comme « Rémi ». Récit.


-  Paris, reportage

Ce mercredi 29 octobre. Aux alentours de 19h30, entre 200 et 300 personnes se retrouvent place de l’hôtel de Ville, à Paris, à la mémoire de Rémi Fraisse, décédé dimanche sur le site de l’hypothétique barrage de Sivens.

Le site du rassemblement parisien est truffé d’une cinquantaine de camions de CRS, postés dans les rues autour de la place de l’Hôtel de Ville. L’ambiance est plutôt calme, avec des prises de parole, des bougies allumées, et des banderoles sur lesquelles on peut lire « faisons barrage à l’horreur », « hommage à Rémi », mais aussi : « l’Etat tue ».

Petit à petit, les cordons de CRS se rapprochent de la place. La rue de Rivoli est bloquée dans un face à face entre CRS et manifestants au son de slogans scandés par la foule : « Police partout, justice nulle part »,« Flics, porcs, assassins » , « l’Etat assassine, l’Etat réprime »« Rémi, Rémi, on n’oublie pas, on pardonne pas », « Police nationale, milice du capital ».

Les forces de l’ordre continuent de se rapprocher, faisant monter la tension. Des barrières mobiles installées sur la place de l’Hôtel de ville sont jetées par terre, des barnums blancs targués : « Demain l’insurrection ».

Une partie des manifestants a pu échapper à la nasse qui se referme vers 21 h autour de près de 150 personnes. Le groupe est serré dans un coin de la place près de la fontaine, au niveau de la rue de Rivoli. Les manifestants chantent des chansons au mégaphone, et une discussion s’improvise sur la stratégie à adopter face à ce qui s’annonce comme une série d’arrestations massives. Une proposition est lancée : celle d’un refus collectif de s’identifier, et de donner comme nom celui du jeune homme décédé, chacun étant invité à décider selon sa situation.

Mon nom est Rémi

Les personnes sont maintenant entassées les unes contre les autres, entourées de CRS. Une chaine humaine se forme autour du groupe afin de prévenir les arrestations, mais les CRS commencent à attraper les personnes une à une à grand renfort de coups de pied, de coups de matraque et de jets de gaz lacrymogènes. Un car de police, et plusieurs fourgons, stationnés à dix mètres de la scène, sont remplis au fur et a mesure des personnes interpellées.

Après un coup de pied dans le ventre et un jet de gaz lacrymo en pleine tête, deux CRS m’empoignent et me trainent dans un fourgon, bientôt rempli avec huit autres filles. Il est 21 h 50. Nous prévenons la légal team qui nous donne le nom d’un avocat.

Bientôt, le fourgon non mixte démarre, et nous sommes conduites au commissariat Marx Dormoy rue de l’Evangile, où d’autres fourgons déposent leur chargement humain : il y a là une soixantaine de personnes. On est parqués dans la cour, entourés de fonctionnaires de police. Une jeune fille réchauffe l’ambiance avec une guitare et improvise des chants repris en choeur, puis une réunion s’improvise afin de compter les personnes toujours motivées par le refus de décliner une autre identité que celle de la victime du Testet.

Il est plus de minuit. Nous passons tour à tour dans des bureaux pour vérification d’identité. Les personnes qui présentent leurs papiers sont relâchés, ceux disant s’appeler Rémi Fraisse sont rassemblées dans une pièce.

Les fonctionnaires de police sont débordés par cet afflux d’homonymes. Ils s’emmêlent les pinceaux parmi tous les dossiers portant le même nom. Le téléphone portable d’un des Rémi nous informe qu’un deuxième chargement d’interpellés comptant environ 80 personnes vient d’arriver à Marx Dormoy. Plus tard, on apprendra que, face à l’éventualité d’une trentaine de nouveaux Rémi potentiels, l’ensemble du second chargement sera finalement relâché vers 2 h30 du matin, et que les fonctionnaires n’ont contrôlé l’identité que d’une quinzaine de personnes.

Sur le deuxième chargement, une seule personne, passée au contrôle avant la décision de relâcher l’ensemble du groupe, se déclare Rémi. Elle rejoint la salle où nous sommes entreposés en attente de transfert. C’est Pascale, 34 ans. Elle explique : "Je faisais partie du second chargement. Il a quitté la place de l’hôtel de ville à 21 h45, alors que le premier était parti deux heures avant. Mon interpellation a été particulièrement musclée : plusieurs CRS m’ont attrapée par les bras et les cheveux. Ils en attrapaient certains par la gorge. "

Notre garde à vue nous est notifiée individuellement à partir d’une heure du matin, et les vingt-quatre Rémi sont embarqués à 3 h30 vers divers commissariats (du 5è, 6è, et 19è arrondissement, où nous sommes sept). Huit autres seront placés en garde à vue dans la nuit selon les chiffres de la préfecture.

Nous passons à la fouille, on nous propose de voir un médecin et/ou un avocat. Les fonctionnaires de police trouvent dans les affaires personnelles les papiers d’identité de tous, leur permettant ainsi de mettre un nom différent sur chaque visage. Puis nous sommes enfermées dans des cellules collectives crasseuses. Nous sommes auditionnés individuellement tout au long de ce qui reste de la nuit, mais aucun d’entre nous ne verra d’avocat.

Parmi nous sept, deux auront droit à deux auditions lors de la garde à vue, et les cinq autres ne seront entendus qu’une fois. Certains auront à répondre simplement à des questions concernant leur identité, d’autres seront interrogés sur le déroulement de la manifestation, ou sur les conditions de leur interpellation.

A 12 h 30, après une nuit sans sommeil, les policiers nous libèrent sans pouvoir préciser quelles seront les suites à notre refus de se soumettre au fichage. Après discussion autour d’un café , les gardés à vue se quittent avec l’idée de se revoir, plus déterminés que jamais à poursuivre la lutte.


DEHORS, LA SOLIDARITE

-  Sur place devant le commissariat, Barnabé Binctin

Il est 2h00 du matin passé, dans cette nuit de mercredi à jeudi, et plus d’une cinquantaine de personnes attendent ceux qui restent encore dans le commissariat de la rue de l’Evangile. A chaque nouvelle libération, on applaudit et on scande « Rémi, on n’oublie pas ».

Tous sortent de ce même endroit, qu’ils décrivent comme un immense préau, froid. Plus qu’un commissariat : « Ce n’est pas un commissariat de quartier classique, c’est un énorme dépôt qui n’a d’autres vocations qu’à servir pour ces rafles » nous dit l’un des Rémi Fraisse. Ils racontent qu’à l’intérieur, on donne aussi la même date de naissance : ce 26 octobre, à l’origine de tout.

Certains sont à l’intérieur depuis près de 4 h. A 2h12, deux nouveaux fourgons de police pénètrent la grille, manifestement occupés : les énièmes prisonniers du soir tapent à coup de poings depuis le coffre. Les messages de solidarité fusent.

Le cordon policier est prévu en conséquence, mais l’ambiance est calme. Abattue aussi, un peu : « On ne pensait évidemment pas terminer notre soirée comme cela, à cette heure-ci » reconnaît une jeune militante. Les clowns activistes tentent de redonner le sourire avec leur nez rouge, en racontant les 1-2-3 soleils auxquels ils jouaient quelques heures auparavant, sur les boucliers policiers.

L’un d’eux, Pablo, justifie sa présence à la manifestation du soir par la volonté de « contester la violence d’Etat, après la mort de Rémi Fraisse ». On disserte ainsi sur le paradoxe d’une répression policière qui fait dans la surenchère lors d’une manifestation justement censée la dénoncer.

« La force légitime, cela se montre avant de s’appliquer », souffle Jérôme, comme désabusé. Pour lui qui était à la manifestation de Sivens, il y a dans ces événements une triste continuité dans la violence policière. « Ce qui s’est passé ce week-end part d’une provocation manifeste : un seul engin de chantier avait été laissé sur les lieux, tel un appât, qui justifiait ensuite le déploiement de tout un dispositif policier dès lors que celui-ci avait été brûlé dans la nuit de vendredi à samedi… ».

Vers 3 heures, les petits groupes s’amoindrissent, et les voitures de police délaissent progressivement les lieux. On sait qu’il reste des gens retenus dans le commissariat, mais on ne sait pas alors qui, ni jusqu’à quand. Comme un symbole, on allume quelques dernières bougies au pied de l’institution policière…


Dernière Heure : - Les trois inculpés de cette manifestation passaient en jugement hier soir au Tribunal de Grande Instance de Paris. Ils sont placés sous contrôle judiciaire jusqu’au procès, reporté au 21 novembre.

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