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TribuneCulture et idées

Nous ne sommes pas en guerre

Le coronavirus n’a ni intelligence humaine ni intention de nuire ; il n’a donc pas d’ennemi et n’est pas un ennemi. Les auteurs de cette tribune dénoncent la rhétorique guerrière du gouvernement et la militarisation du langage qui accompagne cette crise sanitaire.

François Vaillant et Marie Bohl font partie du Mouvement pour une alternative non-violente. Le MAN, est né en 1974 et a pour objectif de promouvoir la non-violence et de faire valoir son apport spécifique dans la vie quotidienne, dans l’éducation et dans les luttes sociales et politiques. Les auteurs invitent à signer plusieurs pétitions.


Le coronavirus apparu en Chine appartient désormais à la chaîne du vivant. Il peut développer le Covid-19 qui est une maladie, comme le sont la grippe ou la tuberculose. Le Covid-19 tue. Il ne s’agit ni de meurtre ni de guerre, mais d’un phénomène biologique qui menace maintenant des populations entières et va conduire à une catastrophe sanitaire mondiale. Elle va s’accompagner d’une crise économique puis financière aux effets encore inconnus.

Pour l’heure, il ne s’agit pas de clamer « Aux armes citoyens ! » mais « Immobilisation générale, tout le monde à la maison ! » Il n’est pas question d’aller affronter l’ennemi, par sol, mer ou air, mais de se protéger du virus. Les hôpitaux ne sont pas des champs de bataille avec des soldats en première ligne qui manquent de munitions, ce sont des lieux de soins où des professionnels s’adaptent avec courage et détermination à une médecine de catastrophe, malgré des ressources humaines et des moyens matériels qualifiés d’insuffisants depuis trop d’années.

Les soignants, les employés des Ehpad, les agents de soins à domicile, les personnels des pharmacies et des magasins d’alimentation, les policiers, et aussi les éboueurs qui font souvent partie des grands oubliés, sont parfois présentés comme des héros. Ces personnes ne sont pas des militaires partis au front, prêts à être sacrifiés aux ordres d’un général. Elles font leur travail quotidien dans des conditions de plus en plus difficiles et souhaitent seulement être reconnues comme des professionnels responsables et courageux, tout en exigeant d’être mieux protégées du virus. Nous leur devons soutien et reconnaissance.

Napoléon et Clémenceau savaient déjà utiliser un langage guerrier pour cautionner un État de plus en plus autoritaire

Dans son discours du 16 mars à la télévision, Emmanuel Macron a déclaré « Nous sommes en guerre » puis martelé six fois « en guerre ». Dans cette allocution au ton martial, le président de la République a usé d’un lexique plus que belliqueux : « mobilisation générale », « réquisition des taxis » — on se serait cru avant la bataille de la Marne avec Paris en danger ! —, « hôpital militaire de campagne » contre « l’ennemi invisible » qui « menace nos vies ».

Napoléon et Clémenceau savaient déjà utiliser un langage guerrier pour cautionner un État de plus en plus autoritaire. Macron fait exactement la même chose. La rhétorique est semblable, mais elle vient en temps de paix et, heureusement, il n’y a d’ennemi ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Les métaphores guerrières du président de la République, endossant davantage son costume de chef des armées que de président, ont été vite reprises en boucle par les journaux, les radios et les télévisions qui font commerce de sensations fortes. Bien peu ont perçu dans ce discours la propagande d’État comme il en surgit en toute guerre. Le pompon est assurément la façon dont Macron a annoncé le 16 mars l’imminente arrivée à Mulhouse de cet hôpital militaire de campagne, pour y soulager l’hôpital public débordé.

Le Covid-19 est en passe de provoquer des dégâts sanitaires épouvantables chez les populations fragiles comme les sans-abri.

La réunion des tentes de cet hôpital militaire, de son matériel et de son personnel médical a duré plus d’une semaine. Chaque jour, avant qu’il ne soit enfin installé, les médias et Florence Parly, la ministre des Armées, en ont fait des tonnes pour vanter cet hôpital de campagne. Excellente idée au demeurant que cette soudaine intervention de l’armée à Mulhouse, mais fallait-il cette communication rabâchée jusqu’à plus soif pour seulement trente lits de réanimation... Cela s’appelle de la propagande militaire, digne d’un temps de guerre. On a voulu nous faire croire que l’armée était à la pointe dans la bataille pour « gagner la guerre » contre le virus, alors que les cliniques privées annonçaient, sans tambour ni trompette, la mise à disposition progressive de plusieurs milliers de lits de réanimation.

En ces temps de pandémie, nous ne voulons pas être gouvernés par des militaires, mais par des civils. Nous ne sommes pas en guerre. Faire la guerre, c’est répondre à la violence par la violence. Comme le coronavirus n’a ni intention ni volonté de nuire, il n’a pas décidé de nous déclarer la guerre. Plutôt que de qualifier ce virus de « violent », disons qu’il est dangereux, mortel, redoutable, terrible, etc., ce serait plus juste que « violent ». Nous n’avons pas d’ennemi, mais il y a en ce moment des malades du Covid-19 qui souffrent terriblement, des professionnels épuisés, des personnes confinées en profonde détresse

La guerre n’est pas une calamité qui survient sans qu’on s’y attende, c’est une entreprise humaine de destruction. Les vraies guerres, la France les prépare et les entretient, par exemple en étant le troisième pays exportateur d’armes à l’étranger et en refusant de signer le TIAN (Traité d’interdiction des armes nucléaires).

Il est temps de passer à une culture de non-violence

Il est temps de passer à une culture de non-violence. Alors que le Covid-19 est en passe de provoquer des dégâts sanitaires épouvantables dans les Ephad, les prisons, les campements de réfugiés, mais aussi dans les populations fragiles en Afrique, en Inde, dans la bande de Gaza…, ne faudrait-il pas envisager dès maintenant une solidarité concrète à leur égard ? Et puisque le confinement va durer au moins jusqu’à la fin avril, enterrons les métaphores guerrières, appliquons-nous plutôt à pacifier notre langage et nos relations, afin de préparer au mieux la sortie de crise. La violence mène toujours à des impasses, à des drames. La non-violence apprend à conjuguer ensemble démocratie, résistance, lutte pour la justice, solidarité, respect, responsabilité, cohérence, écoute, coopération et créativité.

Nous pensons que les autorités et la presse doivent démilitariser leur langage. Nous appelons également les pouvoirs publics à une convergence des compétences pour traverser l’actuelle crise sanitaire. La catastrophe sera sanitaire en même temps qu’elle sera économique et financière à l’échelle internationale. Ne soyons pas en guerre pour bâtir le « monde de demain », que nous voulons plus sobre en émissions de CO2, plus juste, plus solidaire, plus fraternel, dans lequel les plus fragiles, ici et là-bas, seront partie prenante des décisions qui concerneront tout le monde, et dans laquelle la défense de la vie sera prioritaire sur l’économie néolibérale.

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