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Agriculture

« On respire mieux » : quand une ferme bio conduit à l’emploi

Chèvres, choux, vignes... Dans l’Hérault, un ancien mas du XIXe siècle est devenu une ferme en polyculture élevage. Elle réinsère dans l’emploi des personnes en difficulté.

Fabrègues (Hérault), reportage

« On trouve des gens motivés et on les forme à tous les métiers de la viticulture, de la taille à la récolte jusqu’à la mise en bouteille », dit Jean-Charles Thibault, chef de culture et ancien vigneron depuis toujours en agriculture biologique. Les trois salariés sont justement en train de tailler les vignes du domaine de Mirabeau, propriété de la commune de Fabrègues (Hérault). À perte de vue, des bois et des terres agricoles. Cet ancien mas du XIXe siècle, où devaient être enfouis il y a dix ans des déchets de l’agglomération de Montpellier, abrite maintenant des activités agroécologiques et sociales. Des chèvres, des brebis, des porcs, des ruches, du maraîchage bio, des vignes… cohabitent sur 220 hectares, classés depuis 2017 en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) et Natura 2000. Les premiers venus, il y a six ans, ce sont les Vignes de Cocagne, une entreprise d’insertion en viticulture bio rattachée au Réseau Cocagne. Cette association nationale favorise le retour à l’emploi de personnes en situation de précarité en s’appuyant sur l’agriculture bio.

La serre bioclimatique de la parcelle maraîchère des Jardins de Cocagne. © David Richard/Reporterre

En cumulant des contrats de six mois, à raison de trente-deux heures par semaine, les personnes en insertion peuvent rester jusqu’à deux ans sur l’exploitation. « De cette manière, ils acquièrent de l’expérience : ils font deux saisons de taille, deux vendanges, des labours — même si on en fait très peu… » Le chef de culture aime transmettre « ce travail manuel hyper soigné de la vigne » et cherche à « redonner ses lettres de noblesse au beau métier d’ouvrier viticole ». Il est heureux de voir que « les gens passés ici ont ensuite décroché des contrats à durée indéterminée dans la viticulture, ou sont partis en formation, en BTS viti-œno », dans un secteur qui manque de personnel qualifié.

S’il peut les former comme « des salariés lambda », c’est qu’une accompagnatrice socioprofessionnelle, Hélène Dalle Luche, se charge des personnes orientées vers le maraîcher et le vigneron de Mirabeau par Pôle emploi ou par le Conseil départemental de l’Hérault. Selon le jargon administratif, ce sont des « bénéficiaires de minima sociaux », « personnes éloignées de l’emploi », « issues des quartiers prioritaires »… Soit des personnes de tous âges, soumis à des difficultés financières, des problèmes de logement, de transport, ou de santé. Les migrants sont en outre embourbés dans un parcours du combattant administratif.

Thomas Richaud est le fondateur de l’association les Jardins de Cocagne. Il était, auparavant, assistant social dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile. © David Richard/Reporterre

Ils sont plus nombreux — vingt-cinq — dans le chantier d’insertion de l’association de maraîchage, elle aussi rattachée au Réseau Cocagne depuis sa création il y a trois ans. Leur temps de travail est plus court (vingt heures par semaine) et le turn-over plus important. La majorité reste tout de même dix à douze mois. Mais « le principal enjeu, c’est leur projet professionnel, souligne Hélène Dalle Luche. Et comme la majorité ne veut pas travailler dans le maraîchage, il faut trouver des stages et des formations. »

« On a l’impression de faire quelque chose d’utile »

Pour Florin, 24 ans, qui y travaille depuis septembre, c’est une période apaisante. Il a l’impression de « respirer mieux » dans ce coin de nature. « Ça me plaît de n’être qu’au contact des plantes », dit-il, évoquant les semis, le broyat étendu, les récoltes de légumes, les plantations d’arbres, les greffes… « On a l’impression de faire quelque chose d’utile », abonde Marin, 35 ans, salarié depuis huit mois. Lui aussi « aime travailler dehors, avoir les mains dans la terre » et, « chaque jour, voir grandir ce qu’on a semé, voir le cheminement de la plante jusqu’au bout ». C’est autre chose que « de faire de la mise en rayon, en intérim, dans un grand magasin », glisse cet homme grand et solide qui, depuis plusieurs années, cherche à vivre de sa passion, la musique. Un projet que la crise sanitaire l’a obligé à reporter. Maintenant, il aimerait pouvoir continuer à travailler dans « la bonne ambiance » et « le calme » qui règnent au domaine de Mirabeau.

Selon David Lashley, « quand le maraîchage est mieux fait, l’insertion est mieux faite ». © David Richard/Reporterre

Depuis les semis jusqu’à la vente des légumes, ils s’occupent de tout. Une fois par semaine, ils remettent des paniers de légumes à 200 adhérents, en vente directe à la ferme ou ailleurs. De quoi soutenir l’activité mais pas d’assurer l’indépendance économique du domaine. Les salaires des personnes employées par les chantiers d’insertion sont subventionnés à 90 % par l’État. Du côté des Vignes de Cocagne, les aides étatiques représentent la moitié du montant des salaires des personnes en insertion.


Des espèces menacées de disparition sont revenues

David Lashley, le chef de culture des jardins de Mirabeau, ne cesse d’aller d’une personne à l’autre, pour répartir les tâches. Il explique à Cristina, 58 ans, comment sarcler une longue bande de terre « sans appuyer fort ». Originaire d’Albanie, elle a longtemps travaillé dans des exploitations agricoles, en Grèce et en Italie. « Quand le maraîchage est mieux fait, l’insertion est mieux faite », assure David. Lui qui a toujours travaillé dans le maraîchage bio vante les vertus de « l’agriculture régénérative ». Il faut « toujours aller vers la diversité, couvrir tout le temps le sol et y laisser les plantes vivantes, enracinées, aussi longtemps que possible, travailler le sol au minimum, et intégrer des animaux », de manière à booster la vie dans le sol qui, elle-même, stimule le microbiote dans la plante. Il cherche autant « les interactions positives entre la biodiversité et les cultures » que celles au sein de l’équipe : « la transmission des connaissances ». En témoignent les fiches techniques, dont l’élaboration collective est en cours, ou encore les plannings de répartition des tâches, qu’il partage quotidiennement.

La vente directe ne se fait pas qu’à la ferme : ici, ils sont vendus au Secours catholique à Montpellier. © David Richard/Reporterre

Thomas Richaud, auparavant assistant social dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile et fondateur de l’association les Jardins de Cocagne, nous fait faire un tour des lieux. Il montre les arbres fruitiers et les aromatiques plantés dans les parcelles et, aux alentours, les mares et les haies aménagées sous la conduite du conservatoire des espaces naturels (CEN) d’Occitanie. « Cela favorise le retour des espèces menacées – ail petit Moly, Rollier d’Europe…–, mais aussi des batraciens, chiroptères, arachnides, et de la vie bactérienne du sol », décrit-il. De quoi restaurer des écosystèmes mis à mal par cinquante années de monoculture viticole intensive. Les maladies et les ravageurs, eux, s’atténuent progressivement.

Poules, brebis, cochons, le domaine Mirabeau est une ferme bio en polyculture et élevage. © David Richard/Reporterre

Hélène Dalle Luche en est persuadée : « Cette manière de travailler dans le respect de l’environnement contribue beaucoup à la reconnexion de chacun avec la nature, d’autant qu’elle va de pair avec le respect de la personne humaine. Le fait que les salariés en insertion contribuent à ce travail leur redonne une dignité, une utilité, une envie d’avancer. »

Et cela porte ses fruits. En 2022, après être passés dans les chantiers d’insertion du maraîchage, 93,6 % des salariés ont trouvé à se placer, pour un tiers dans des emplois durables (CDD, CDI, création d’entreprises), et pour deux tiers dans d’autres contrats (intérim, chantiers d’insertion…) et des formations.

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