PORTRAIT - Sérgio Bello, un peintre venu du Brésil et « habité par la nature »

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Culture et idéesSérgio Bello, brésilien d’origine et français d’adoption, construit depuis une trentaine d’années une œuvre résolument ancrée dans la problématique écologique. « Ma peinture, c’est ma trace d’homme indigné, c’est mon cri », s’exclame cet artiste atypique. Rencontre avec un peintre dont les tableaux portent en eux les blessures infligées à la Terre.
« J’ai préparé du café à la cannelle, comme au Brésil, vous en voulez ? » Sérgio Bello ne tient pas en place. Il passe d’une pièce à l’autre, décrochant les tableaux pour mieux les présenter, égrenant les anecdotes sur chacun des innombrables bibelots qui peuplent les meubles. Les murs de son appartement croulent sous les peintures, tandis que les plantes envahissent le moindre mètre carré de balcon.
Le peintre s’est préparé à notre entretien comme une équipe de foot s’échauffe pour un match. La chemisette à rayures semble boutonnée à la hâte, après sa sieste, « pour vous recevoir dans les meilleures dispositions ». Il remet en place ses lunettes rondes d’un geste rapide, et passe la main dans ses cheveux grisonnants. Le regard pétille quand il présente ses toiles. « Je veux que ma peinture soit belle et rebelle », lance-t-il. Ses bras s’agitent au rythme de ses paroles.

- Les enfants terribles. Les peintures de Sérgio Bello comportent des éléments naturels -
Sur la table de son atelier, des tubes de peinture, mais aussi des os, des feuilles et des sachets de sables colorés.... « J’aime travailler avec des éléments animaux, minéraux et végétaux, les trois règnes de la Terre. » Ses œuvres pourraient être appréciées par des aveugles, tant elles sont parsemées d’objets en tous genres : chaussures ou dents de crocodiles. Sérgio Bello empoigne une des toiles par ses cornes, pour la placer devant nous. Une gueule béante déploie ses nuances de noir.
Cris
Les bouches peuplent les rêves et traversent l’art de Sérgio Bello. « Ma peinture, c’est ma trace d’homme indigné, c’est mon cri », s’exclame-t-il. Une colère aussi profonde que sa vocation de peintre. « Quand j’étais adolescent à Recife, je dessinais les cocotiers détruits par l’urbanisation sauvage, se rappelle-t-il. C’était ma première révolte. »

Né en 1952 dans le Nordeste brésilien, le jeune Sérgio montre très vite des aptitudes au dessin. Père ingénieur, mère écrivaine, qui l’initie à la culture. « Mes parents voulaient que je devienne architecte. » Mais à vingt-quatre ans, il part pour la France, direction les bancs de la Sorbonne. Arts plastiques et philosophie. Lui qui se sentait contraint dans un Brésil conservateur et sous le joug d’une dictature militaire tombe sous le charme.
« Je suis Brésilien par destin, mais la France est devenue une histoire d’amour. » Pas question pour autant de couper les ponts avec sa patrie. Il rentre en 1983 avec une série de lithographies sur l’érotisme. « J’ai été interdit, on m’a insulté, accusé de perversion », s’emporte-t-il. Il récidive en 1989 avec un panneau de deux mètres sur douze, Cris du prophète, commémorant le bicentenaire de la Conjuration de Minas Gerais, une tentative avortée de révolution brésilienne. Interdit à nouveau.

- L’art érotique au Pérou pré-colombien. Cette toile appartient à un ensemble de neuf tableaux, « Les Cris d’Eros » -
« Je prends ma révolte comme moteur : l’oppression, l’intolérance », explique-t-il. Depuis quelques années, ses cris répètent tous le même message : il faut sauver la planète, à commencer par l’Amazonie. « Je suis inquiet, mais pas pessimiste », aime-t-il résumer. Pour lui, les artistes doivent interpeller, « être des cri-douleurs ». Ses lèvres tremblent de passion.
Il se lève à la hâte, déroule six grandes toiles dans le salon. « En ce moment, je veux réaliser neuf toiles pour raconter la légende du fleuve Amazone, né d’un anaconda. » Le panneau central, rouge et noir, symbolise la bouche d’une plante carnivore.
Rococo
Dans la peinture de Sérgio Bello, tout est symbole. Le feu pour la destruction, les chaussures pour la civilisation occidentale... « Je veux que ça donne à penser. » Pour susciter la réflexion, l’artiste ne lésine ni sur les couleurs, ni sur les dessins.

- Cris des prophètes -
« Il a une recherche intellectuelle très poussée, témoigne Ricardo Fernandes, son galeriste. Plus on voit son œuvre, plus on découvre de nouvelles facettes. » Comme la nature qu’il révère, Sérgio Bello semble avoir horreur du vide. « Je suis quelqu’un de très baroque », s’amuse-t-il.
Diversité de la nature, complexité de l’homme. Dans sa salle de bain, une sirène géante surplombe la baignoire, tandis que des poissons en fausse porcelaine nacrée observent les bouteilles de shampoing.
« Si je n’étais pas artiste, je serais sans doute un fou psychotique », sourit-il. L’art lui permet « d’exorciser » sa colère et ses doutes. « Je comble aussi mon manque de Brésil », explique-t-il. Après plus de trente ans en Europe, il continue de se rendre régulièrement dans son pays natal.
« Je vais souvent en Amazonie, je ramène des graines, des plumes. » Glaneur cueilleur de l’art contemporain. Et quand on lui demande s’il se sent plus d’ici ou de là-bas, son compagnon répond pour lui : « Sérgio est plus français qu’un Français ».
Sévère contre la société brésilienne, il pense ses toiles comme « un miroir de Méduse ». Envoyer des « échos logiques » comme il dit, pour accélérer la prise de conscience. « Il faut stopper l’arboricide et le génocide dans la forêt ! » Comme un clin d’œil à sa patrie, toutes ses toiles se présentent en losange, rappel du drapeau brésilien.
Pour lui, le pays évolue peu à peu dans le bon sens. « Avec la Coupe du monde, on voit une révolte très grande dans la population. Même s’ils sont fanatiques de foot, ils n’ont pas peur d’exprimer leur colère. »

- Le cri du monde -
Il est attendu à Belo Horizonte à l’automne, pour une exposition sur l’art baroque. Dans la soute de l’avion, il emporte une série de ses « natures mourantes » aux tons incandescents. Une nouvelle occasion de faire entendre ses cris. Ils rencontreront peut-être un « écho logique » favorable.