Paillettes et DJ set : une fête contre l’abstention des jeunes

Manifestation « sauvage, nocturne et festive » organisée à Paris 8 juin 2022 par Alternatiba et l'ONG Le mouvement contre l'abstention. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Manifestation « sauvage, nocturne et festive » organisée à Paris 8 juin 2022 par Alternatiba et l'ONG Le mouvement contre l'abstention. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Politique LégislativesAlternatiba et l’ONG Le mouvement ont organisé une « fête nomade » à Paris, le 8 juin. Objectif : convaincre les jeunes d’aller voter pour une « opposition écologique et sociale » aux législatives.
Paris, reportage
Ils sont plusieurs dizaines à se déhancher au rythme de la musique techno. Dans la foule, on distingue ici une robe à paillettes, là une veste aux reflets métalliques. Les danseurs, pour la plupart, ont moins de 25 ans. La scène ne se déroule pas dans une boîte branchée, mais sur les quais de Seine, à Paris, et le DJ est juché sur un vélo-cargo. Les fêtards participent à une manifestation « sauvage, nocturne et festive » organisée dans la capitale mercredi 8 juin par deux associations, Alternatiba, qui milite pour le climat et la justice sociale, et l’ONG Le mouvement, organisation de mobilisation citoyenne.
Leur ambition : convaincre les jeunes d’aller voter aux élections législatives, les dimanches 12 et 19 juin, afin d’obtenir « une opposition écologique et sociale la plus large possible à l’Assemblée nationale ». Si toutes les personnes interrogées ici voteront pour un candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) ce dimanche, la mobilisation se revendique apartisane.

Car comme en 2017, l’abstention risque d’être la grande gagnante de ces élections. Elle avait atteint 57,36 % au second tour, un record pour ce scrutin sous la Ve République. Chez les moins de 35 ans, moins d’un électeur sur trois s’était exprimé. Et l’abstention pourrait bien atteindre de nouveaux records ce dimanche, selon une récente enquête Ipsos-Sopra Steria, réalisée pour Le Monde [1]. Convaincre les jeunes d’aller voter est « un enjeu démocratique », pour Teïssir Ghrab, chargée de campagne pour l’ONG Le mouvement et membre d’Alternatiba. « Rien n’a été fait du côté du gouvernement pour pousser les jeunes à voter. Je trouve ça dingue que ça soit aux associations de porter cette charge », s’insurge la militante âgée de 25 ans.
« Une fête, ça peut être hyper politique »
De la fête aux bureaux de vote, le lien peut sembler farfelu. Pas pour Teïssir Ghrab. « Tout est politique. Une fête, ça peut être hyper politique. Pour nous, c’est un moyen d’attirer pour convaincre, et on n’attirerait pas le même public avec des conférences », explique-t-elle.
En organisant cette soirée, les deux associations espéraient mobiliser au-delà de leur cercle habituel. Manque de chance, la violente averse survenue au moment où la manifestation devait s’élancer a fait fuir la plupart des badauds installés sur les bords de Seine. Mohammed et Léo ont bien réussi à mettre un tract dans les mains d’Adeline, 23 ans, qui attend quelqu’un. Elle ne pensait pas aller voter dimanche. Pas sûr que le passage de la manif festive l’ait fait changer d’avis. Perplexe, la jeune femme s’interroge : « Pourquoi ils font ça un soir de semaine ? »
Lilie, 24 ans, est elle aussi tombée par hasard sur la manifestation. La trompettiste venait répéter avec sa fanfare sur les quais de Seine mais leur a finalement préféré les danseurs, installés juste à côté. Militante dans une association écologiste, elle avait déjà prévu de voter ce dimanche, pour un candidat Nupes.
Aux alentours de 20 h 30, la troupe d’environ 250 fêtards fait halte au niveau d’un hémicycle de pierre, situé sur le quai face au fleuve. Ils l’envahissent symboliquement. Derrière eux, une banderole est déroulée. « Objectif 289 députés », peut-on y lire. Cela correspond au nombre d’élus nécessaires à l’obtention d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. L’arrêt est l’occasion de faire un peu de pédagogie : des porte-parole expliquent à un public plutôt convaincu comment faire une procuration ou encore combien de députés sont nécessaires à la création d’un groupe parlementaire.
« Nous pensons que l’une des causes de l’abstention, c’est le manque d’information sur l’Assemblée nationale. Beaucoup de personnes ne savent pas trop à quoi sert un député. Nous voulons montrer que les législatives sont aussi importantes, voire plus, que les élections présidentielles », explique Teïssir Ghrab.

Si les manifestants restent finalement un peu entre eux, l’événement prend parfois des allures de thérapie de groupe. « Dépitée » après le résultat de l’élection présidentielle, Angèle, 22 ans, avait « juste envie de sortir faire la fête ». La soirée permet à cette étudiante, très préoccupée par les problèmes écologiques, de se sentir « moins seule ». La jeune femme, qui gravite autour de différents mouvements de défense de l’environnement, espère aussi que la soirée permettra de donner de la visibilité aux mobilisations pour le climat : « Je veux un monde qui soit cool. Ce soir, on essaie d’incarner les valeurs que l’on veut pour le monde. »

Un point de vue partagé par Loïc, 38 ans, et militant à Alternatiba depuis deux ans. Armé d’un sac poubelle et d’une pince, il ferme la marche pour ramasser les éventuels déchets – très rares – laissés par les manifestants. « C’est important pour nous aussi de faire la fête. L’activisme, c’est fatigant, les victoires sont rares. Ici, ce sont des jeunes qui ne voient pas de futur dans le système tel qu’il est. Ce n’est pas de notre âge de faire tout ça. » La mobilisation, qui devait rejoindre l’Assemblée nationale, a finalement été dispersée par la police au niveau de l’hôtel de ville à 22 heures.