« Isolés, on se sent impuissants. Luttons ensemble ! »

Teïssir Ghrab, militante climat et Xavier Capet, océanographe, à Paris le 17 mai 2022. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
Teïssir Ghrab, militante climat et Xavier Capet, océanographe, à Paris le 17 mai 2022. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
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Climat : comment sortir de l’impuissance ? Teïssir Ghrab, militante à Alternatiba Paris, et Xavier Capet, océanographe et chercheur au CNRS, y ont répondu à l’occasion d’une rencontre organisée par Reporterre le 17 mai.
« Climat : sortir de l’impuissance ! » Tel était le thème de la Rencontre de Reporterre organisée mardi 17 mai au bar-restaurant le Lieu Dit, dans le XXe arrondissement de Paris. Quelles actions, quelles pistes peut-on activer face aux problématiques liées au réchauffement climatique ? Pour y répondre, la journaliste Laury-Anne Cholez a interrogé deux invités : Teïssir Ghrab, militante à Alternatiba Paris et chargée de campagne à l’ONG Le Mouvement, et Xavier Capet, océanographe et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Ce débat a été enregistré. Pour l’écouter, c’est ici :
Alors que les alertes sur l’ampleur de la crise climatique des scientifiques et des militants sont ignorées par la majorité de la classe politique et par les médias - durant la campagne pour la présidentielle, seulement 3,6 % du temps médiatique a été consacré au climat —, un sentiment d’impuissance plombe les écolos. Les jeunes du mouvement climat sont fatigués de marcher, les climatologues multiplient tribunes et articles sans que rien ne change, l’exécutif a rejeté les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et Emmanuel Macron, qui s’est distingué par son inaction en la matière, a été réélu. Toute mobilisation peut ainsi, de prime abord, sembler vaine. Comment conserver notre force d’agir ?

En s’appuyant, déjà, sur les compétences de chacun : les militants climat peuvent se nourrir des connaissances des scientifiques sur le sujet, et vice versa. « Quand j’ai lu le dernier rapport du Giec an avril dernier, j’ai comme tout le monde ressenti de l’angoisse et de la peur : on le sait, la situation est de pire en pire. Mais ce rapport résonne comme une alerte immense, qui va nous restimuler pour agir lors des cinq prochaines années », explique ainsi Teïssir Ghrab. Qui en profite pour souligner à quel point les associations et les ONG n’ont pas été entendues durant le dernier quinquennat.
« Il n’y a pas d’un côté les experts qui ont le droit de parler, de l’autre les citoyens qui écoutent »
Xavier Capet, lui, raconte comment la participation à des luttes de terrain lui permet, en tant que chercheur, de « s’imprégner d’autres façons de penser le monde » : « C’est intéressant d’aller au contact de ces luttes pour rencontrer des problématiques et des gens, et se laisser transformer par ça. » L’océanographe, engagé notamment dans la préservation des terres agricoles du Triangle de Gonesse (Val-d’Oise), a également témoigné au procès des décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron mais aussi participé à une action de Scientist Rebellion — un collectif rassemblant des scientifiques d’une vingtaine de pays — au Muséum d’histoire naturelle, à Paris, en avril.

« C’est bien que des scientifiques s’engagent, mais je ne pense pas que ce soit indispensable pour l’ensemble d’entre eux. Sur de nombreux sujets, il y a d’autres acteurs qui peuvent très bien faire ça », dit Xavier Capet, qui salue le travail de vulgarisation fourni par les militants du mouvement climat. « Il ne faut pas trop en demander aux scientifiques non plus : en général, il s’agit de personnes qui se sont bien conformées au système scolaire ». Sous-entendu : qui ne vont donc pas sortir outre mesure de la norme. D’autant qu’« il n’y a pas d’un côté les experts qui auraient le droit de parler, et de l’autre les citoyens qui devraient écouter : on a tous et toutes des choses pertinentes à dire sur ce qui est en train de nous arriver. On le voit aussi avec la science participative, où par exemple des citoyens montrent la disparition d’insectes ».
« Les scientifiques sonnent l’alerte aux dirigeants, et c’est à ces derniers ensuite de prendre des mesures, abonde Teïssir Ghrab. Et nous, notre rôle en tant que militants de la société civile est de faire pression sur ces mêmes politiques. » L’activiste d’Alternatiba, partisane d’une « écologie populaire », est convaincue qu’il est nécessaire de « partir de la base » et de luttes locales, tout en s’attaquant au système : « L’écologie renvoie à comment on vit ensemble, à comment on fait société ensemble. Il y a les apports scientifiques avec des objectifs chiffrés, par exemple sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à laquelle je suis évidemment favorable. Mais si, en parallèle, on a toujours peur quand on va manifester, que persistent des discriminations et des situations de précarité terribles, et que les services publics continuent à s’effondrer, atteindre ces objectifs chiffrés n’est pas une victoire. »

Le mouvement climat s’est « allié à d’autres luttes : antiracisme, féminisme, question sociale »
Il est essentiel de penser ensemble justice sociale et justice climatique, a-t-elle dit, tout en rappelant que, dans les quartiers populaires, « l’écologie est une question de survie : on ne peut pas bien manger, pas bien se déplacer, pas bien se chauffer, etc. » Si initialement la militante pouvait se sentir « déconnectée » du mouvement climat, elle y a identifié un renouveau bienvenu ces dernières années : « Il prend à présent vraiment en compte cet enjeu de comment faire société ensemble, avec l’idée de s’allier à d’autres luttes : antiracisme, féminisme, question sociale. C’est comme cela que l’on sort de l’impuissance : en alliant nos forces et en montrant à nos dirigeants que, dans les cinq prochaines années, ils seront incapables de nous diviser sur ces sujets. »
De son côté, Xavier Capet se félicite que le chapitre 5 du dernier rapport du Giec, essentiellement rédigé par des chercheurs en sciences sociales, soit consacré aux modes de vie et aux aspects sociaux de la décarbonation. Ce texte montre « qu’il est plus difficile de décarboner dans un monde d’injustice ». Une illustration scientifique de ce que le mouvement des Gilets jaunes avait déjà montré empiriquement. Les scientifiques comme la société civile pourraient s’en servir pour appuyer des demandes de changements radicaux concernant le fonctionnement capitaliste de notre société.
Autre levier d’évolution sur lequel miser, selon Teïssir Ghrab : les élections législatives des 12 et 19 juin, avec l’espoir, à gauche, incarné par la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). « Un mandat présidentiel dure cinq ans, donc si on n’a pas ce contre-pouvoir à l’Assemblée nationale, ça risque d’être très compliqué », assure celle pour qui la prochaine bataille sera « de faire en sorte que les jeunes aillent voter ». Pour rappel, au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, 41 % des 18-24 ans ne se sont pas déplacés aux urnes selon une enquête de l’Ifop.
Enfin, pour combattre l’inertie, il est toujours fécond de se regrouper et d’être ensemble. Se définissant comme écoanxieuse — Xavier Capet, lui, se dit solastalgique — Teïssir Ghrab explique à quel point le fait d’avoir intégré Alternatiba et le Mouvement lui a fait du bien… et lui a redonné de l’énergie pour lutter. « Quand on se sent isolé, on se sent impuissant. En rejoignant un collectif, on retrouve cette fraternité et cette sororité, cette écoute. On reprend aussi ce pouvoir d’agir qu’on essaie de nous enlever constamment, qui est très important. »