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Marches climat : en deux ans, le mouvement a « radicalement changé »

Après deux années compliquées, les militants pour le climat reviennent pour une grande marche le 12 mars. Le mouvement, en pleine recomposition, s’interroge sur les tactiques à privilégier : marches, blocages, mandats politiques...

Samedi 5 mars, à Paris. Au dernier étage de La Base, lieu de mobilisation citoyenne lancé en 2019 par plusieurs organisations écolos, Vincent et Juliette confectionnent avec du carton un énorme réveil rouge. Ce « totem » lourd de sens sera brandi lors de la marche « Look up » pour le climat et la justice sociale, le 12 mars, dans la capitale. À l’heure où les enjeux écologiques sont quasi absents des débats de l’élection présidentielle [1], plusieurs associations (Alternatiba, Attac, Les Amis de la Terre…) organisent ce jour-là des marches un peu partout en France. L’idée, alors que le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est plus alarmant que jamais : interpeller la classe politique sur l’urgence climatique, et demander des mesures fortes pour y répondre. « C’était le moment d’organiser un tel événement, dit Gabriel Mazzolini, porte-parole des Amis de la Terre. Notre objectif est de remettre au centre des débats la question climatique et sociale, et de donner de la force et de la légitimité au camp électoral écologique et social. Pour cela, il faut montrer qu’on est nombreux dans la rue, au-delà des partis politiques. » En outre, des grèves de la jeunesse pour le climat sont annoncées les 25 et 26 mars.

Tout cela présage-t-il un retour en force du mouvement climat qui, après des manifestations et actions de grande ampleur en 2018 et 2019, s’est fait discret ces deux dernières années ? Crise du Covid, omniprésence médiatique de l’extrême droite, criminalisation de l’activisme, refus de toute politique écologique ambitieuse de la part de l’exécutif — avec notamment l’échec de la loi Climat… Les difficultés se sont empilées et certains militants sont fatigués de marcher.

Vincent et Juliette confectionnent un énorme réveil rouge pour la marche climat du 12 mars.

« C’est un mouvement qui réfléchit beaucoup à ses propres pratiques. Il essaie de se réinventer après une très forte dynamique qu’il a été difficile de maintenir, à cause de contraintes organisationnelles mais aussi contextuelles », explique à Reporterre Maxime Gaborit, doctorant en science politique et membre du collectif Quantité critique, qui a mené une étude sur les marches pour le climat de 2018 et 2019. La pandémie de Covid-19 est en effet passée par là : les confinements et les interdictions de manifester, la paupérisation et l’isolement de nombreux jeunes ont parfois cassé des dynamiques d’engagement, comme le raconte Hugo, activiste climatique : « Du fait de difficultés personnelles, des gens qui s’étaient engagés avant le confinement ne l’ont plus fait après, soit parce qu’ils ne pouvaient plus, soit parce qu’ils avaient perdu l’enthousiasme. »

« Les actions vraiment bloquantes sont plus efficaces »

Le jeune homme de 23 ans, impliqué dans le mouvement climat depuis 2018, note aussi qu’« à situation extraordinaire, il y avait également un espoir extraordinaire : celui du monde d’après. Or, quand on a été déconfinés, tout est reparti comme avant. Ça a vraiment été un coup dur. C’est impossible que ce gouvernement fasse quoi que ce soit, non parce qu’il n’en a pas les moyens, mais parce qu’il n’en a pas la volonté ni le système de pensée. » Bien qu’« assez désespéré » par la situation actuelle, Hugo va malgré tout marcher le 12 mars, à Paris : « L’idée est de passer un moment joyeux, de se redonner de la force et d’essayer de faire parler du sujet un maximum. »

Un enjeu de visibilité également mis en avant par une activiste d’Alternatiba : « Il suffit de voir ce qui s’est passé pour la convention citoyenne pour le climat : beaucoup de com’ de la part du gouvernement, mais très peu d’actions et de moyens. D’où le rôle important du mouvement climat : déconstruire le discours de l’exécutif et faire en sorte que les citoyens soient informés et ne se laissent pas endormir. » La jeune femme de 26 ans est membre de cette association depuis un an — si le Covid a pu décourager certains activistes, la pandémie a également suscité de nombreux engagements.

« Marcher est une tactique au sein d’une stratégie plus globale »

Elle estime qu’il est aussi nécessaire de multiplier les « actions plus coup de poing », quitte à prendre des risques juridiques : « Les marches sont importantes, car elles nous permettent d’exprimer notre colère et de recruter de nouvelles personnes. J’ai cela dit l’impression que les actions de désobéissance civile vraiment bloquantes sont plus efficaces pour faire bouger les choses. » Extinction rébellion prévoit un « blocage massif à Paris » lors de son « inévitable rébellion » le 13 avril.

« Tout ce qui permet de faire reculer nos adversaires et de faire avancer le rapport de forces est bon à prendre. La marche, c’est une tactique au sein d’une stratégie plus globale : depuis 2018, le mouvement climat a persisté, et eu plein de manières différentes de se déployer », abonde Gabriel Mazzolini des Amis de la Terre.

Le mouvement climat s’est fortement politisé

Le militant, également engagé au sein de la Maison de l’écologie populaire Verdragon, à Bagnolet (Seine–Saint-Denis), estime que la mobilisation citoyenne a permis ces dernières années « de faire avancer la bataille culturelle ». Il cite par exemple les bons résultats des Verts aux élections européennes de 2019 ou encore le fait que le dérèglement climatique soit devenu un « enjeu capital » pour 94 % des Français. Il note également comment le mouvement climat, en opérant un rapprochement avec les Gilets jaunes ou avec des collectifs antiracistes comme le comité Justice pour Adama, s’est fortement politisé : « Depuis 2018 notamment, j’ai vu le mouvement se massifier et changer radicalement. On a réussi à montrer que la question climatique impose d’avoir une approche systémique, et que les liens entre question climatique, question sociale et lutte contre le racisme sont indéniables. On porte une écologie populaire et, à partir du 12 mars, on compte relancer une dynamique qui aille bien au-delà du mouvement climat en tant que tel. D’autres mobilisations sont prévues par la suite. »

« Génération Adama, génération climat » : manifestation écolo et antiraciste à l’appel du comité La vérité pour Adama en juillet 2020. © Amanda Jacquel/Reporterre

De l’avis du chercheur Maxime Gaborit, le mouvement climat serait en fait en pleine « recomposition » : « Il y a aujourd’hui un groupe de jeunes plus engagés et plus nombreux qu’il y a trois ans, mais qui, face aux difficultés de mobiliser à nouveau les masses dans la rue et face à l’absence de réaction des pouvoirs publics, se questionne sur l’avenir à donner au mouvement. Ce dernier se recompose de ce fait en différentes branches, entre ceux qui veulent maintenir les marches, ceux qui réfléchissent à d’autres formes de désobéissance civile ou encore ceux qui reviennent à des luttes plus locales. » Le doctorant identifie en outre « ceux qui désirent participer un peu plus activement à la campagne présidentielle et au jeu électoral. Néanmoins, le mouvement est aujourd’hui sur une ligne plus hostile à l’économie de marché, et Europe Écologie-Les Verts n’apparaît plus nécessairement comme son débouché politique principal, la candidature de Jean-Luc Mélenchon attirant aussi de nombreux militants ».

Action militante contre le géant de l’agro-industrie Bayer-Monsanto à Lyon, le 5 mars. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

Plusieurs activistes se sont en effet récemment lancées en politique : Alma Dufour, ex-chargée de campagne des Amis de la Terre a ainsi rejoint La France insoumise, tandis que Marie Toussaint, juriste à l’origine de l’Affaire du siècle est désormais eurodéputée et conseillère climat et énergie de Yannick Jadot. « C’est totalement cohérent, dit à Reporterre Gabriel Mazzolini. Le mouvement climat a compris depuis des années que l’enjeu électoral était déterminant, et qu’il faut prendre le pouvoir politique pour enclencher des réformes profondes. En parallèle, le mouvement social doit garder son rôle. Il faut un rapport de force au sein de la société et dans la rue si l’on veut qu’une véritable politique écologique et sociale et qu’une transition ambitieuse se mettent en place. »

C’est aussi l’avis de Maëlle, 20 ans. Cette étudiante à Nancy a lancé avec des camarades de promo un « Appel de la jeunesse aux candidats et candidates à la présidentielle ». Cette pétition, signée à ce jour par près de 22 000 personnes, enjoint « au futur président ou la future présidente de la République d’être ambitieux.se sur les questions climatiques et de biodiversité ». La jeune femme, engagée pour le climat depuis qu’elle est au lycée, souligne à quel point l’écoanxiété touche sa génération mais refuse de sombrer dans la « fatalité » : « L’image de la goutte qui tombe sur la pierre et la creuse au fur et à mesure me plaît : au bout d’un moment, ça finira par fonctionner. »

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