Passoires thermiques dans le Nord : « On est toujours malades »

Construites à partir des années 1920 autour des fosses où descendaient les mineurs, les maisons de briques rouges sont des passoires thermiques, parfois très dégradées. - © Théo Heffinck/Reporterre
Construites à partir des années 1920 autour des fosses où descendaient les mineurs, les maisons de briques rouges sont des passoires thermiques, parfois très dégradées. - © Théo Heffinck/Reporterre
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Social ÉnergieDans le Nord, les maisons en briques rouges sont typiques du bassin minier. Délabrées, ces passoires thermiques gâchent la vie de leurs habitants, déjà précaires. 100 millions d’euros ont été débloqués.
Lens (Nord), reportage
« Je me plais ici, c’est là que j’ai grandi. Mon père était mineur, il a travaillé trente ans au fond », raconte Daniel, 46 ans. Le père de famille habite cité 4, juste derrière le mythique stade Bollaert-Delelis, dans l’une des maisons de brique rouge habitées jadis par les mineurs. « Il a été question de raser toutes les cités minières, indique Geoffrey Mathon, adjoint au maire de Loos-en-Gohelle, ville voisine de Lens. Mais on ne peut pas se projeter dans l’avenir si l’on renie ce que l’on est. »
Construites à partir des années 1920 autour des fosses où descendaient les travailleurs, elles font partie intégrante de l’identité du bassin minier du Nord, qui s’étend sur une centaine de kilomètres. Les cités minières ont été sauvées, avant d’être inscrites au patrimoine mondial de l’humanité en 2012. Mais elles ont un défaut majeur : ce sont pour grande partie des passoires thermiques, parfois très dégradées.
« L’hiver, on doit mettre le chauffage à 25 °C »
C’est le cas de la maison de Daniel et sa famille, à la cité 4. Elle est entourée de logements abandonnés et barricadés aux vitres explosées — des terrains de jeu, dangereux et bourrés d’amiante, pour les enfants. L’homme a vu les habitations de son quartier d’enfance se dégrader et les maisons se vider petit à petit.
« Depuis que je suis revenu, il y a douze-treize ans, les choses ont empiré. » La bâtisse typique qu’il occupe avec sa petite famille présente de nombreux problèmes : froid, moisissures, portes qui ne se ferment plus à cause de l’humidité... « L’hiver, on est obligé de mettre le chauffage à 25 °C », regrette le père de famille.

Son fils de 15 ans est asthmatique et a des allergies. « Je suis obligé de remettre en peinture tous les mois » dans la chambre de l’ado, soupire Daniel. « Il fait tellement froid que sa copine ne veut pas dormir ici. » « On est toujours malades », résume Jeanne, la femme de Daniel.
Le logement coche toutes les cases de l’habitat indigne. Et coûte cher à ce ménage très modeste : Jeanne est mère au foyer, Daniel ne peut travailler à cause d’un handicap. « On paie plus de 90 euros de chauffage par mois, et encore, ça, c’est depuis qu’on fait attention », souffle Daniel. Dans un contexte d’explosion des prix de l’énergie, le pire est à craindre. Certes, des rénovations sont prévues et la famille sera accueillie temporairement à proximité. Mais la suite des événements laisse Daniel sceptique : il évoque les interventions inefficaces de son bailleur, Maisons et Cités. « Ils ne font rien, ils disent qu’ils attendent les gros travaux. On nous avait dit que ce serait en mars, pour finir on nous dit septembre. On verra. »
À Lens, 30 % des ménages sous le seuil de pauvreté
Le cas de Daniel n’est pas isolé dans le bassin minier. À Lens par exemple, 30 % des ménages vivaient en 2020 sous le seuil de pauvreté selon l’Insee. « La précarité énergétique comporte trois critères : le caractère énergivore du logement, la précarité des personnes et les prix de l’énergie », détaille à Reporterre Isabelle Fourot, directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre.
La situation s’aggrave dans les Hauts-de-France, et en particulier dans le bassin minier. « Parfois, le montant des charges est équivalent à celui du loyer. Il y a des signaux inquiétants, une augmentation des loyers impayés », poursuit Isabelle Fourot.

La pauvreté se conjugue donc avec l’habitat indigne. « On observe un niveau de vétusté important : une faible isolation thermique, et des coûts d’intervention élevés », entre 100 000 et 130 000 euros par maison dans le bassin minier. « La configuration de l’habitat demande des solutions techniques, et il y a une nécessité d’investir très massivement. » Au centre de ces contraintes techniques : l’aspect patrimonial de l’habitat minier. Il impose une rénovation thermique par l’intérieur afin de préserver l’aspect extérieur des maisons. Cela entraîne une augmentation des coûts couplée à une réduction de l’espace habitable.
100 millions d’euros contre la précarité énergétique
Face aux problèmes endémiques de précarité énergétique au sein du « pays noir », l’État a impulsé l’engagement pour le renouveau du bassin minier (ERBM) signé à Oignies en 2017 au crépuscule du quinquennat Hollande. 100 millions d’euros furent posés sur la table afin de résoudre les problèmes de précarité énergétique de 23 000 logements miniers et d’améliorer le cadre de vie. Certains acteurs locaux – maires, Région – ont très vite pointé du doigt les approximations du dispositif, tant au niveau des moyens que du suivi.

En février 2022, le président de la République a annoncé une nouvelle enveloppe de 100 millions. Pour autant, toutes les rénovations de logements miniers ne bénéficieront pas des subventions ERBM — seules les plus grosses passoires le seront. Dans le programme du bailleur Maisons et Cités, premier bailleur du bassin minier en charge de 64 000 logements, 11 000 logements s’inscrivent dans ce cadre. 10 000 autres logements seront rénovés mais sans les subventions de l’ERBM. Chez Maisons et Cités, 3 722 logements sont en cours de rénovation à travers le bassin minier. Notons que l’État n’est pas le seul à financer l’ERBM : la Région et les collectivités sont aussi de la partie.
Le bassin minier se trouve à un tournant de son histoire. « L’ERBM permet de faire en dix ans ce que l’on aurait fait en vingt ans », résume Franck Mac Farlane, responsable de la recherche chez Maisons et Cités. « On accueille l’ERBM avec beaucoup d’enthousiasme, dit Geoffrey Mathon. Certaines cités minières sont vraiment dégradées, dans un état catastrophique. » L’adjoint au maire de Loos-en-Gohelle nuance : « L’État demande au bailleur de faire vite. Les logements seront de meilleure performance énergétique mais on s’arrête aux obligations réglementaires. ». Niveau précarité énergétique, celui qui est amené à devenir maire au mois d’avril sait de quoi il parle. Bâtiments basse consommation, fabrication d’énergie solaire... Loos-en-Gohelle a été une ville pionnière dans le bassin minier sur les enjeux écologiques et d’habitat durable.

« En visite à Loos-en-Gohelle, le préfet m’a dit “c’est exactement ce qu’il faut faire”. Mais les bailleurs répondent qu’ils n’ont pas les moyens. Par exemple, dans l’ERBM, on ne parle pas de production d’énergie renouvelable », relève Geoffrey Mathon. Autre aspect important : la participation des habitants aux projets, la sensibilisation aux usages du logement, et « l’accompagnement social ». « Si l’on fait l’ERBM juste avec les bailleurs, cela ne sert à rien », estime Geoffrey Mathon.
En résumé, l’ERBM pourrait être à l’avant-garde du combat pour la transition écologique. Cette zone, auparavant consacrée à l’extraction d’une énergie fossile polluante et parsemée de passoires thermiques, pourrait devenir, avec une vraie volonté politique, un nouveau modèle. On en est encore loin.