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Climat

Pétroliers et gaziers laissent fuir des quantités énormes de méthane

Extraction de gaz de schiste en Colombie-Britannique (Canada).

Des chercheurs ont compté près de 2 000 fuites de méthane en deux ans provenant, pour la plupart, d’exploitations d’hydrocarbures. Ces fuites aux fortes conséquences sur le climat sont causées par la négligence des sociétés pétrolières et gazières.

C’est un gaz incolore, inodore mais dramatique pour le réchauffement climatique. Entre 2019 et 2020, près de 1 800 fuites de méthane, dont 1 200 attribuées à l’exploitation d’hydrocarbures, ont été comptabilisées par une équipe de chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). D’après leur étude, publiée jeudi 3 février dans la revue Science, ces fuites ont un effet sur le climat comparable à la circulation de vingt millions de véhicules automobiles par an.

Cette découverte a surpris les chercheurs. « On avait une estimation globale des fuites de méthane calculées par les compagnies grâce à des inventaires de leurs émissions. Mais ce n’est pas une méthode très fiable. C’est la première fois qu’on réalise des observations directes. De plus, on a détecté uniquement les plus grosses fuites, soit la partie émergée de l’iceberg », explique à Reporterre Philippe Ciais, chercheur en climatologie et co-auteur de l’étude.

Avec l’entreprise Kayrros, spécialiste de l’analyse de données satellitaires, les chercheurs ont décortiqué les images produites par le satellite européen Sentinel-5P entre 2019 et 2020. Résultat : la majorité de ces fuites se concentrent dans quelques pays d’Asie centrale (le Turkménistan, la Russie, l’Iran et le Kazakhstan) ainsi qu’aux États-Unis et en Algérie. Et la plupart du temps, il ne s’agit pas d’accidents. « On peut parler d’une forme de négligence de la part des compagnies ou de régulations environnementales qui seraient mal appliquées », poursuit Philippe Ciais.

« En Russie, on peut suivre le tracé des pipelines en regardant les fuites »

Ces fuites surviennent notamment lors d’opérations de maintenance qui ne sont pas effectuées dans le respect des règles. Pourquoi ne sont-elles pas immédiatement colmatées ? « Il y a sans doute des problèmes d’accès notamment pour les pipelines. En Russie, on peut d’ailleurs suivre leur tracé en regardant les fuites. Il y a aussi la qualité des installations. Remplacer un tuyau peut prendre trois heures ou trois jours selon les sites », constate le chercheur. « Certaines compagnies doivent faire plus attention tandis que d’autres s’en moquent et laissent fuir pendant plusieurs jours. » Aux États-Unis, ces fuites proviennent des régions d’extraction du gaz de schiste. Elles surviennent lors de la récupération du gaz ou s’échappent de puits épuisés et mal colmatés. Une étude de la Nasa avait déjà estimé que près de la moitié des émissions de méthane de la plus grande zone de production d’hydrocarbures aux États-Unis étaient dues à des fuites.

Les principales sources d’émissions de méthane liées aux activités de l’industrie pétrolière et gazière. © Kayrros Inc., Esri, HERE, Garmin, FAO, NOAA, USGS, OpenStreetMap contributors, and the GIS User Community

Pourtant, les compagnies pétrolières et gazières auraient tout intérêt à faire plus attention. « Si elles investissaient pour les réparer leurs fuites, cela serait positif économiquement dans la plupart des pays », assure Philippe Ciais. L’étude a d’ailleurs chiffré ces bénéfices économiques prévisionnels : six milliards de dollars pour le Turkménistan, quatre milliards de dollars pour la Russie, 1,6 milliard de dollars pour les États-Unis, 1,2 milliard de dollars pour l’Iran et 400 millions de dollars pour le Kazakhstan et l’Algérie.

Le méthane est un puissant gaz à effet de serre

Au-delà des conséquences économiques, empêcher le méthane de s’échapper dans l’atmosphère ferait le plus grand bien au climat. Le méthane est une bombe climatique avec un pouvoir de réchauffement 25 à 30 fois plus important que le dioxyde de carbone (CO2) sur un horizon de cent ans. Une étude publiée en juillet 2020 par le Global Carbon Projet (GCP) indiquait que les concentrations de méthane dans l’atmosphère atteignent désormais 1 875 parties par milliard, un taux inégalé depuis au moins 800 000 ans. Or, le méthane a une durée de vie très courte. « Il disparaît de l’atmosphère bout de dix ans. Si on arrête d’émettre on pourrait refroidir le climat rapidement », assure Philippe Ciais.

Extraction de gaz de schiste dans le Colorado (États-Unis). L’Espagne projette de relancer des infrastructures pour faire transiter du gaz de schiste nord-américain © Ecoflight

Cette étude insiste ainsi sur la nécessité d’introduire un système de surveillance atmosphérique fiable qui permettrait à la fois de suivre les émissions et mettre en place des mesures pour les réduire. Une politique qui ne serait pas difficile à mettre en place, comme le prouve l’exemple de l’Arabie saoudite, dont les installations n’ont pas de fuite, contrairement à ses voisins comme l’Irak ou le Koweït. « C’est un pays qui fait plus d’efforts et qui installe des technologies plus modernes que d’autres », note Philippe Ciais. Il donne aussi l’exemple des plateformes d’extraction en mer. « Les exploitants ne peuvent pas s’y permettre des accidents et appliquent donc des normes de sécurité très strictes avec des détecteurs partout et des équipes qui colmatent immédiatement les fuites. C’est donc bien la preuve que la technologie existe pour limiter les fuites », poursuit le chercheur.

Si la barrière n’est pas technologique, elle pourrait être politique. Lors de la COP26 de novembre dernier, une centaine de pays se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30 % d’ici 2030. Mais cet accord n’a pas été signé par l’Inde, la Chine ou la Russie, parmi les plus gros responsables des émissions mondiales.

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