Plastique : les lobbies très emballés par le recyclage

Sous la pression des lobbies, l'ambition de la Commission européenne d'en finir avec le plastique pourrait être revue à la baisse. - © Juan Mendez / Reporterre
Sous la pression des lobbies, l'ambition de la Commission européenne d'en finir avec le plastique pourrait être revue à la baisse. - © Juan Mendez / Reporterre
Durée de lecture : 12 minutes
Pollutions Économie PlastiquePour réduire les emballages en plastique, la Commission européenne souhaite plus de réemploi. Mais ce dernier est boudé par l’industrie qui préfère le plastique recyclé, garant de son business.
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La France veut les interdire. Pourtant, films et barquettes en plastique pourront continuer d’emballer concombres, tomates cerises ou encore brocolis au moins jusqu’en décembre 2023. Début mars, la Commission européenne a bloqué le projet de décret français. Motif : elle travaille elle-même sur ce sujet dans le cadre du projet européen sur les emballages et déchets d’emballages. Juridiquement, la France est donc contrainte d’attendre pour mettre son texte en application.
Un blocage qui satisfait pleinement l’Alliance Plasturgie & Composites du Futur (Plastalliance), qui bataille depuis des mois contre cette interdiction des conditionnements en plastique. L’espoir est en effet permis pour les plasturgistes, car les ambitions françaises pourraient être revues à la baisse si le texte européen aboutissait à une mesure moins-disante. La France serait obligée de s’aligner, sans pouvoir imposer de restrictions plus contraignantes au niveau national. Elle a plaidé auprès des instances européennes pour que « ce nouveau règlement ne remette pas en cause les mesures nationales », rapporte Contexte en possession d’une note de cadrage du 23 mars. Mais la bataille risque d’être rude face à certaines organisations, comme Plastalliance qui, auprès de Bruxelles, accuse la France d’être devenue le terreau d’un « plastic bashing irrationnel ».

Avec son projet de règlement, la Commission européenne espère enclencher une baisse des emballages à usage unique en Europe, notamment grâce au réemploi (contenants en verre, consigne, systèmes de recharge, vente en vrac, etc.). Elle propose d’imposer à certains secteurs, à partir de 2030, un taux minimum de produits vendus dans des récipients réutilisables : 10 % des jus de fruits, sodas, eaux minérales ou encore bières (puis 25 % en 2040) ; 10 % des plats à emporter (puis 40 % en 2040) ; 20 % des boissons froides ou chaudes à emporter (puis 80 % en 2040).
Pour rappel, le réemploi vise à réutiliser un objet ou un produit — une bouteille par exemple — quand le recyclage est un processus industriel visant à transformer des objets utilisés en de nouveaux matériaux.

Une ambition sur le réemploi diluée sous la pression de l’industrie
Mais alors que les discussions européennes ont à peine commencé, les associations écologistes s’inquiètent déjà du devenir des ambitions affichées. Dans une lettre ouverte adressée en mai au ministre de la Transition écologique, le collectif Réemploi, qui regroupe douze ONG [1], alerte : « Nous craignons que les mesures en faveur du développement du réemploi, pourtant défendues par la Commission européenne, soient revues à la baisse, voire abandonnées. »
Au niveau européen, l’alliance Rethink Plastic [2] estime, quant à elle, que l’ambition initiale sur la réutilisation a déjà été « diluée sous la pression de l’industrie ». « Il est incompréhensible que les objectifs de réutilisation — en particulier pour les bouteilles de boisson — soient très bas, étant donné qu’il existe déjà une expérience dans ce domaine dans un certain nombre d’États membres », s’étonne l’alliance qui cite le cas de l’Allemagne.
Ce texte serait « le dossier qui a fait l’objet du plus grand nombre de pressions, comme en ont été témoins de nombreux membres du Parlement », explique Jean-Pierre Schweitzer, responsable adjoint de l’économie circulaire au Bureau européen de l’environnement (BEE), auprès du journal indépendant bruxellois EuObserver. Le 24 avril dernier, l’alliance Together for Sustainable Packaging (Ensemble pour des emballages responsables), récemment créée par McDonald’s et plusieurs fournisseurs d’emballages, réclamait aux trois institutions européennes de « mettre en pause » les négociations sur le règlement sur les emballages. Elle estime que les effets écologique et économique du passage à des contenants réutilisables dans la restauration rapide seraient négatifs, et défend le principe de l’emballage jetable.

Plastique et lutte contre le gaspillage alimentaire
Chaque lobby a ses arguments pour discréditer les emballages réemployables. Pour les producteurs de chips, crackers, cacahuètes et autres produits de grignotage salés, rien n’est actuellement plus performant que l’emballage souple en plastique jetable. Sa légèreté permet de réduire le gaspillage d’énergie pour le transport et la production, assure l’European Snacks Association (ESA). « Les snacks salés sont beaucoup plus sensibles à la lumière, aux températures et au niveau d’oxygène que d’autres produits alimentaires emballés », explique-t-elle encore. Ainsi, grâce au sachet en plastique, les aliments seraient parfaitement protégés et leur durée de conservation « considérablement prolongée », avec deux avantages à la clé : la réduction des déchets alimentaires et la commercialisation possible dans les pays en développement.
Elipso et Polyvia, représentants des professionnels de l’emballage plastique et de la plasturgie en France, estiment de leur côté que « l’emballage plastique présente des qualités d’innocuité alimentaire et des propriétés barrière (UV, oxygène, agents pathogènes) qui permettent de conserver une intégrité beaucoup plus longue des produits, comme les fruits et légumes, à moindre coût... »

Plus de sécurité sanitaire, moins de gaspillage… des arguments très souvent utilisés par l’agroalimentaire. Pourtant, les études sur lesquelles s’appuient les fabricants pour justifier une réduction du gaspillage sont souvent lacunaires, constatait Rethink Plastic Alliance en 2018. Une étude menée sur vingt-et-une analyses de cycle de vie (ACV) montrait que les données utilisées ne prenaient pas en compte tous les impacts, notamment ceux liés à la fin de vie de ces emballages plastiques, et ignoraient d’autres approches comme la vente en circuit court, le vente en vrac ou encore les emballages réutilisables.
Beaucoup (trop) d’intérêts pour le recyclage
Si le réemploi suscite des réticences, le recyclage — second axe du projet de règlement européen — emporte beaucoup plus d’adhésions. La Commission européenne souhaite qu’à partir du 1er janvier 2030, les emballages en plastique soient fabriqués avec une teneur minimale de matières recyclées à partir de déchets plastiques, par exemple, 30 % pour les emballages en polyéthylène téréphtalate (PET) ou pour les bouteilles de boissons. Objectifs : « créer un marché attractif pour les matières premières secondaires » et « faire des déchets plastiques un produit de valeur », explique-t-elle.
Plastalliance l’a bien compris quand il déclare que « l’industrie de l’emballage plastique a un avenir ». Le recyclage, c’est en effet la promesse de pouvoir continuer, presque, comme avant.

Beaucoup de plastiques ne sont techniquement pas encore recyclables. Mais ce n’est que provisoire, se persuadent les industriels, qui mettent les bouchées doubles pour développer de nouvelles filières. Partout, des multinationales investissent dans des nouvelles technologies et filières de recyclage. En France, deux recycleurs — l’un à Anvers en Belgique, l’autre à Valence en Espagne — ont été sélectionnés fin 2022 pour traiter les emballages en polystyrène (PS). « Garantir le retour au contact alimentaire du PS recyclé est une avancée majeure, et nous sommes très fiers d’en permettre la mise en œuvre. Les pots de yaourt que nous trierons dès 2023 pourront, dès lors, permettre d’ici quelques mois de refabriquer des pots de yaourt », se félicitait alors Jean Hornain, directeur général de Citeo, l’éco-organisme de la filière des emballages ménagers.
L’enthousiasme pour le recyclage chimique
Les premières usines de recyclage chimique, procédé de dégradation des polymères à partir de solvants, arrivent aussi en France. Eastman en implantera une à Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime, en 2026. Cette nouvelle technologie suscite beaucoup d’enthousiasme. La Plastics Industry Association la considère comme « un moyen efficace de transformer les déchets plastiques en nouveaux articles, y compris les emballages de produits alimentaires, de médicaments et de cosmétiques ».
Mais c’est sans compter son coût énergétique pointé par plusieurs scientifiques sur le site Plastic Solutions Review. Si bien que « le plastique recyclé chimiquement peine à concurrencer le plastique vierge à bas prix », précisent ces derniers. Le Français Carbios table, quant à lui, sur la dépolymérisation enzymatique, un procédé jugé plus naturel. Son usine devrait démarrer en 2025 à Longlaville (Meurthe-et-Moselle).
« Ces nouvelles filières qui nécessitent des investissements, il va falloir les rendre rentables, prévient Diane Beaumenay-Joannet, responsable de plaidoyer au sein de l’association Surfrider Foundation Europe. Et pour cela, il faut les alimenter, et donc continuer à produire en grande partie avec de la matière première. » Aujourd’hui, seul le PET peut, dans certains cas, être recyclé sans apport de plastique vierge. Pour augmenter le volume de plastique collecté pour recyclage, la France souhaite mettre en place une consigne sur les emballages plastiques. Cette initiative suscite de nombreuses critiques. Déjà en place en Allemagne depuis plusieurs années, elle montre ses limites : tandis que le taux de bouteilles jetables a fortement progressé, celui des bouteilles réutilisables a diminué.
Autrement dit, le recyclage ne permet pas de réduire notre consommation de plastique. « Si c’était le cas, la France devrait consommer 23 % de plastique en moins, à la hauteur du taux actuel [3] de plastiques recyclés. Or, nous consommons chaque année toujours plus d’emballages plastifiés », note Nathalie Gontard, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
D’ailleurs, elle refuse d’utiliser le terme « recyclage » et parle de « décyclage ». Car le plastique recyclé d’une bouteille sert rarement à en créer une autre, sauf dans le cas du rPET (PET recyclé) qui reste apte au contact alimentaire. « Ainsi, on crée des vêtements, des chaises, des pots de fleurs, toute sorte de produits qui, avant, étaient fabriqués avec des matières comme la laine, le bois, la terre... On déconstruit des filières pour en créer d’autres afin d’écouler nos déchets plastiques », fustige la scientifique experte des emballages et polymères. Autant d’objets dont le plastique va continuer à alimenter le réservoir de pollution. Car recyclé ou pas, le plastique ne s’élimine jamais vraiment, il va continuer à se dégrader en microparticules, puis nanoparticules… et à polluer nos sols, nos océans et notre air.
McDonald’s contre le plastique, mais pour le jetable
« McDonald’s tient un double discours préoccupant », estime l’association Zero Waste France. Le géant du fast-food joue le bon élève en France en communiquant sur sa vaisselle réutilisable (obligatoire depuis le 1er janvier 2023). Mais dans le même temps, il manœuvre pour contrer l’obligation de réemploi européenne. McDonald’s a mandaté un cabinet de conseil pour étudier quel serait l’impact de cette mesure dans le secteur des fast-foods. Conclusion : une telle disposition créerait 4 fois plus de déchets d’emballages plastiques pour la restauration et 16 fois plus pour les plats en emporter. La raison ? Pour le réemploi, McDonald’s utilise en effet des contenants... en plastique.
C’est le cas en France, où, comme plusieurs de ses concurrents, il a opté depuis le 1er janvier pour de la vaisselle réutilisable en plastique. Un recul, selon Nathalie Gontard : « Le plastique n’est pas fait pour être réutilisé, estime la chercheuse. Alors que dans les fast-foods, on avait réussi à sortir des barquettes en polystyrène pour aller vers du carton — certes pas 100 % biodégradable —, on se retrouve aujourd’hui avec des contenants en plastique. Or, on n’a aucune idée de combien de fois on peut réutiliser ces produits sans risque. »
Au niveau européen, McDonald’s plaide pour les emballages en carton. Mais encore faut-il que ces emballages multicouches — ils contiennent du carton, mais aussi des plastifiants pour permettre l’étanchéité, par exemple — puissent être recyclés, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Surtout, pourquoi le groupe étasunien n’envisage-t-il pas, au moins pour la vente sur place, de recourir à de la vaisselle réutilisable qui ne serait pas en plastique, comme en verre ou céramique ? En réalité, c’est tout le modèle du fast-food fondé sur le jetable qui est à revoir.