Pollution en Arctique russe : amende record de 1,6 milliard d’euros pour le géant minier Nornickel

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La justice russe a reconnu la responsabilité de l’entreprise minière Nornickel dans la fuite de 21.000 tonnes de diesel qui ont pollué durablement la région. Les associations de défense de l’environnement espèrent que cette amende sans précédent marquera un tournant dans la gestion des catastrophes écologiques et surtout dans leur prévention.
C’est la plus grosse compensation pour des dommages environnementaux de l’histoire de la Russie. Le 5 février, le tribunal d’arbitrage du territoire de Krasnoïarsk en Sibérie a condamné le géant minier Norilsk Nickel (Nornickel) à une amende de 146,2 milliards de roubles (1,6 milliard d’euros) pour sa responsabilité dans la grave pollution survenue en mai 2020 en Arctique.

Une amende record et un jugement sans précédent dans un pays où les fuites d’hydrocarbures se produisent régulièrement mais les responsables sont rarement poursuivis. « Il est souvent difficile d’établir les responsabilités. Les sociétés concernées cachent les informations pour minimiser leur implication et les dommages, explique à Reporterre Elena Sakirko, cheffe du département énergie de Greenpeace en Russie. Et quand une compagnie est mise en cause, en général elle paie pour le nettoyage et ça s’arrête là. Les dégâts sur l’écosystème ne sont jamais compensés ». Dans les zones difficiles d’accès, certains accidents ne sont même pas répertoriés.

Cette fois, le leader mondial de la production de palladium et de nickel va devoir faire face à ses responsabilités. Survenu le 29 mai 2020, l’accident a été causé par l’affaissement d’un réservoir d’une centrale thermique de sa filiale NTEK. Il a entraîné la fuite de 21.000 tonnes de diesel, qui s’est infiltré dans le sol et les rivières voisines atteignant ensuite le lac Piassino et la mer de Kara et causant des dégâts à long terme pour les peuples autochtones de la péninsule du Taïmyr qui vivent de la pêche et des ressources naturelles.
Bien que Nornickel ait tenté au départ de faire porter le chapeau au dégel du pergélisol, l’enquête a démontré que le réservoir de stockage de carburant présentait des défauts de construction et d’entretien, mettant en cause la responsabilité directe de l’entreprise dans l’accident.
L’agence russe de surveillance de l’environnement, Rosprirodnadzor, a évalué les dommages à près de 148 milliards de roubles et le tribunal a quasiment suivi son mode de calcul. De son côté, Nornickel proposait de payer 21 milliards de roubles (280 millions d’euros). « Nous sommes heureux, nous avons gagné », s’est réjouie Svetlana Radionova, cheffe de Rosprirodnadzor, à l’issue de l’audience. Le géant minier, dont le propriétaire Vladimir Potanine est l’homme d’affaires le plus riche de Russie selon le dernier classement Forbes daté du 16 février, a un mois pour faire appel. Rosprirodnadzor a toutefois enjoint à l’entreprise de payer les dommages.
Une médiatisation déterminante
Si l’ampleur de la catastrophe, due notamment à la lenteur de réaction des responsables de l’entreprise et des autorités locales, explique en partie le montant inédit de l’amende infligée à Nornickel, sa forte médiatisation a également joué un rôle important. En mai 2020, vidéos et photos d’habitants de la région ainsi que des images satellite montrant la pollution visible depuis l’espace avaient très rapidement envahi les réseaux sociaux et fait le tour du monde.
Alexei Knijnikov, expert chez WWF Russie, s’est félicité de la décision du tribunal et de la rapidité avec lequel le dossier a été traité. « Dans un litige difficile avec les avocats de Norilsk Nickel, et nous savons tous que les sociétés minières ne lésinent pas sur de telles dépenses, Rosprirodnadzor a su défendre les intérêts de la société et de la nature », a-t-il déclaré dans la presse russe.
Outre la mise en place d’un système efficace de surveillance des infrastructures vieillissantes qui permettrait d’éviter un certain nombre d’accidents, Greenpeace aimerait pour sa part que cette amende record constitue un accélérateur de transition vers de nouvelles technologies de production d’énergie sans danger pour l’environnement. « La solution idéale aux problèmes de fuites d’hydrocarbures est d’éliminer progressivement le pétrole comme source d’énergie », déclare Elena Sakirko. Son association milite depuis plusieurs années pour mettre fin à l’exploitation jugée trop dangereuse des hydrocarbures en Arctique.