Pour l’école aussi, penser local est la bonne méthode

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Pédagogie ÉducationLe ministère de l’Éducation nationale concentre les élèves dans des écoles trop grandes, dans un mouvement qui rappelle celui des fermes-usines, juge l’auteur de cette tribune. Pourtant, les écoles de petite taille ont bien des avantages et elles ont besoin d’être défendues.
Jean Pauly a été instituteur pendant plus de trente ans dans des écoles à une ou deux classes. Membre de la Fédération nationale pour l’école rurale depuis les années 1990, membre du collectif La petite école est une chance, il est auteur de chroniques rassemblées sous le titre L’Année des quarante jeudis éditions Odilon.
J’ai commencé à penser différemment les questions de l’école après la lecture du dernier livre de Naomi Klein Tout peut changer. Capitalisme & changement climatique (Actes Sud). Cette somme sur le réchauffement climatique, bien écrite et très documentée, m’a fortement impressionné. Si l’on en croit l’auteur, ni les conférences internationales depuis trente ans ni les bons sentiments des uns ou des autres ne changent le cours des choses. Au contraire, les politiques menées nous entraînent gaiement à la catastrophe : phénomènes naturels, déstabilisation générale, déplacements de population, guerres... Prendre le chemin de la transition écologique devrait donc être le seul horizon de nos engagements. Nous devons en tirer les conséquences dans tous les domaines de notre vie sociale. Et, là, sur le sujet qui nous intéresse, revoir nos classiques, si on peut dire.
Le ministère de l’Education nationale intègre l’écologie dans les programmes. Mais cela se limite à une sensibilisation ou à une éducation aux gestes « citoyens ». Le plus souvent, la question n’est considérée que sous l’angle des responsabilités individuelles. À ma connaissance, jamais l’institution n’interroge son propre fonctionnement et ses orientations : sur le bilan carbone des structures qu’elle met en place ; sur la qualité des « écosystèmes humains » dans et autour de l’école ; sur le développement des pédagogies coopératives.
« Plus l’école est petite, plus grandes sont les chances de réussite »
Les écolos le savent bien : la question de la taille des structures est déterminante. À l’école aussi. Toutes les études indiquent cette tendance : « Plus l’école est petite, plus grandes sont les chances de réussite. » La petite école facilite les rapports avec les élus, les parents, les habitants et, le plus souvent, propose aux élèves de l’espace et des équipements importants. L’éducation à la coopération – un des fondements de la conscience écologique – peut s’y exercer de façon bien plus favorable. La petite école n’est pas un problème, c’est une chance. Ce sujet n’intéresse pas que le monde rural. Il existe aussi des petites écoles urbaines. La petite structure est également pertinente dans le cadre d’une politique de la ville…

La disparition des petites écoles est programmée à grande échelle. Académie après académie, le ministère de l’Éducation nationale organise ce déménagement du territoire par des protocoles départementaux dont le seul objet est la restructuration du tissu scolaire. Le passage en force (ou en catimini) est de rigueur. La feuille de route est très claire. Mme Vallaud-Belkacem l’a dit à l’Assemblée nationale le 24 octobre 2014 : « Dans les trois ans, le nombre d’écoles à une ou deux classes est appelé à diminuer au profit de regroupements pédagogiques concentrés. »
Ça et là, fleurissent des projets de cités scolaires, comme dans la petite ville Luzech, dans le Lot : « La ville de Luzech, avec l’aide du département, a décidé de reconstruire ses écoles sur le même site. Le lieu d’implantation permet une mutualisation des espaces. Deux entités composeront la cité scolaire : un collège de 450 élèves et un groupe scolaire (maternelle 90 élèves et élémentaire 150 élèves). » Actuellement, l’école élémentaire de Luzech accueille 70 élèves… les communes alentour ont du souci à se faire…
Faire une allusion provocatrice à la ferme-usine des mille vaches a le mérite de focaliser sur les logiques de concentration. Dans les deux cas, il y a des enjeux économiques mais aussi des dérives « technicistes ». La première préoccupation de l’administration de l’Éducation nationale est la gestion de la machine par le haut afin d’en diminuer les coûts – réduire les « gaspillages », en « mutualisant » – mais aussi de mieux contrôler les pratiques en classe – pour les rendre plus « performantes ». À cet effet, elle a mis en place tout un arsenal d’évaluations et des usines à gaz numériques pour tracer les parcours des élèves. La réflexion pédagogique est secondaire ou alors limitée à une question de moyens et d’équipements. Le parallèle avec l’agriculture permet aussi de penser autrement les perspectives. La Confédération paysanne, notamment, a exploré les pistes pour un autre développement, respectueux des équilibres humains et écologiques. Un nouvel horizon pour l’école doit pouvoir s’en inspirer, au moins sur le plan des préoccupations et des principes.
La notion de « biodiversité scolaire »
L’idée force de la transition écologique est de relocaliser les activités humaines : la production, la consommation, l’énergie, les transports… Si l’on veut bien se mettre dans cette perspective, chaque fermeture d’une petite école doit être considérée comme un désastre écologique :
- Elle détruit un environnement humain de proximité ;
- elle déracine les enfants de leur milieu naturel de vie ;
- elle pousse à une concentration des élèves dans des cités scolaires inadaptées ;
- elle profite aux entreprises de transport aux dépens des enfants, ballottés dans les bus du ramassage.
A contrario, chaque maintien – ou ouverture – d’une petite école est une chance pour l’avenir :
- Elle propose un autre cadre éducatif, propice aux apprentissages, à l’entraide et à un développement intelligent, grâce au mélange des âges dans une même classe. À ce sujet, certains ont évoqué la notion de « biodiversité scolaire » ;
- elle permet plus facilement la prise en charge par la collectivité des questions éducatives ;
- chaque bâtiment scolaire de village (ou de quartier) qu’on peut sauver – pied à pied, un par un – est un outil de plus pour construire autre chose, dans le bon sens. Le maintien de la structure « petite école » – ses murs, son matériel, son personnel, son dynamisme local – est une chance à saisir. Par comparaison, il en est de même quand chaque voie ferrée conservée – son tracé, ses ouvrages d’art – permet qu’un jour le rail reprenne le dessus dans le domaine des transports.
Une défaite écologique et sociale pour tous

Depuis des années, des luttes locales essaient de sauver les petites écoles au nom de la défense des services publics. C’est une bonne raison mais insuffisante car il ne s’agit pas seulement de défendre pour conserver… Une école qui ferme, ce n’est pas seulement « la mort d’un village ou d’un quartier », c’est une défaite écologique et sociale pour tous (à noter en passant qu’il est important de faire la différence entre fermeture de classes et fermetures d’écoles : on comprend bien ici qu’il ne s’agit pas des mêmes enjeux). Les tenants de la petite école sont souvent décrits comme des nostalgiques d’une ruralité (ou d’une urbanité) d’un autre âge et qui ne savent pas s’adapter aux réalités de l’époque. Leurs adversaires (et leurs faux amis) seraient les modernes et eux les archaïques. La question urgentissime du réchauffement climatique, par les mesures qu’elle nous oblige à prendre tôt ou tard, renverse cette dualité. La modernité prend alors un autre visage : celui d’une petite école sans ramassage (ou le moins possible), avec un mélange des âges dans une même classe, des pratiques coopératives, une intégration dans un réseau de territoire… et où tous les temps de l’enfant sont pensés dans la continuité par l’ensemble des acteurs locaux.
Le collectif La petite école est une chance a essayé de lancer quelques propositions sous forme de mesures urgentes :
- L’arrêt des fermetures des petites écoles de village ou de quartier ;
- la création d’un conservatoire des classes uniques, « laboratoires » pour une école à taille enfant ;
- la création d’un label École en transition qui encouragerait toutes les initiatives locales.
L’objet de cette tribune est d’essayer, en pensant ces questions sous cet angle, de relancer un débat. Il ne pourra avoir lieu que si nous sortons du ghetto des professionnels de la profession et des discours convenus. De nouveaux acteurs peuvent jouer un rôle important. Dans le paysage politique, des forces d’initiatives font leur apparition, plus jeunes et sans doute plus à même de porter des perspectives, en particulier les mouvements qui se sont exprimés à l’occasion de la COP 21.
J’ose espérer.