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Climat

Pourquoi les records de pluie n’ont pas rempli les nappes

Au 1er novembre, près d’1 nappe sur 5 affichait des niveaux très bas.

Malgré les pluies diluviennes de ces dernières semaines, les nappes souterraines ne sont pas remplies. Tout dépendra de l’hiver à venir, et de notre « sobriété » en eau.

Il n’a jamais autant plu en France que ces vingt-six derniers jours : une bonne nouvelle pour nos précieuses nappes ? Pas si sûr, à en croire les spécialistes du sujet : « Il est trop tôt pour évaluer l’impact des pluies », explique-t-on au Bureau de recherche géologique et minière (BRGM). Autrement dit, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir mouillé.

Lors de leur point presse mensuel, le 16 novembre, les experts du BRGM ont fait défiler des cartes de France encore bien orange et rouges : « Les pluies du mois d’octobre ont eu très peu d’impact sur les nappes, a expliqué l’hydrogéologue Violaine Bault. Au 1er novembre, 65 % des niveaux étaient encore sous les normales. » Près d’une nappe sur cinq (18 %) affichait même des niveaux très bas, et un tiers de ces réserves d’eau continuaient de se vider. Conséquence, au 16 novembre, des arrêtés sécheresse concernaient toujours une trentaine de départements.

Situation au 1er novembre. « Les précipitations importantes à partir de mi-octobre et la mise en dormance de la végétation permettent d’initier une recharge des nappes phréatiques », explique le BRGM. 65 % des niveaux restent sous les normales. © BRGM

Une situation préoccupante, comme nous l’expliquions le mois dernier : historiquement, les nappes ont tendance à se recharger entre mi-octobre et mi-avril. Soit au moment où les plantes entrent en dormance, arrêtent de pomper l’eau dans les sols et permettent donc aux pluies de remplir les sous-sols. Avec la hausse des épisodes de chaleur tardive à l’automne, sous l’influence du changement climatique, ainsi qu’avec l’avancée du printemps de plus en plus précoce, la végétation reste active de plus en plus longtemps, et réduit de manière délétère la période de recharge des nappes. « C’est une situation de crise qui risque de devenir structurelle, de s’installer comme nouvelle norme », alertait alors Violaine Bault.

Différence entre nappes réactives et inertielles

Le tableau a cependant changé ces quinze derniers jours, du fait des averses diluviennes sur une partie du pays. « Dans certaines régions, les niveaux sont remontés… mais pas partout », a résumé Violaine Bault. Un petit point d’hydrogéologie s’impose ici : en fonction des souterrains où elles se situent, il existe des nappes réactives, qui s’écoulent relativement vite, et des nappes inertielles, qui peuvent mettre des mois à se recharger – et à se vider.

Ainsi, « la recharge a commencé sur la plupart des nappes réactives », qui couvrent la majeure partie du sous-sol hexagonal. Sauf dans le Languedoc et le Roussillon, où les cumuls de pluie n’ont pas été suffisants. Dans l’Ouest – Bretagne, Charente, Limousin – et une partie du Nord-Est – Lorraine, Champagne – les signaux sont au bleu. « Mais sur les nappes inertielles, il n’y a pas de changement notable, les évolutions sont lentes », a insisté l’experte. Sous le bassin parisien, il faudra donc attendre quelques mois avant que l’eau tombée en Picardie n’atteigne les aquifères.

Les nappes s’écoulent plus ou moins rapidement selon la porosité et la perméabilité des aquifères. Les nappes inertielles sont caractérisées par des écoulements lents. © BRGM

Et pour compliquer le tout, certaines nappes sont dites « mixtes », comme celle sous le Pas-de-Calais. Là, « la recharge est bien amorcée », a affirmé Violaine Bault. Au risque de créer… de nouvelles inondations. Ce phénomène « de remontée » peut être observé lorsque les nappes, peu profondes, débordent. Ce fut le cas dans la Somme en 2001. « S’il continue de pleuvoir, il existe un risque dans l’ouest du Pas-de-Calais », a averti la spécialiste.

« Ce début de période de recharge rend optimiste »

Après des années 2022 et 2023 marquées par des sécheresses historiques, 2024 sera-t-elle une année plus humide, grâce à ces déluges automnaux ? « Ce début de période de recharge rend optimiste, a avancé l’hydrogéologue, mais il y a encore beaucoup d’incertitudes pour la suite ». Côté nappes réactives, si elles se remplissent vite, elles peuvent aussi se vider très rapidement : en d’autres termes, ce n’est pas parce qu’elles sont pleines aujourd’hui qu’il n’y aura pas de sécheresse au printemps. Tout dépendra de l’hiver. Pour le trimestre à venir, Météo France prévoit « des températures plus chaudes que la normale sur toutes les régions françaises et des conditions plus humides que la normale sur l’ouest du pays ».

Sur les nappes inertielles, « leur niveau est conditionné par les recharges des années précédentes et par le cumul des pluies ». D’où de fortes inquiétudes sur les aquifères du couloir du Rhône et de la Saône, qui affichent des niveaux bas depuis plus d’un an. « Il y aura probablement des tensions sur cette zone en 2024 », a prévenu la spécialiste. Il est donc plus que jamais « nécessaire préserver les niveaux des nappes, et de veiller à la sobriété », a-t-elle conclu.

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