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ReportageAgriculture

Après le « carnage » des tempêtes, les agriculteurs abandonnés par l’État

Légumes pourris, serres inutilisables... Les dégâts agricoles sont nombreux après le passage des tempêtes. Dans les Côtes-d’Armor, un maraîcher dénonce le manque d’aide de l’État.

Trévou-Tréguignec (Côtes-d’Armor), reportage

« Carnage. C’est le mot que j’ai dû dire le plus de fois ce jour-là », soupire Guillaume Troadec. « Ce jour-là », c’était le 2 novembre, quand les tempêtes Ciarán et Domingos ont commencé à s’abattre sur la Bretagne. Pour ce maraîcher de la commune de Trévou-Tréguignec (Côtes-d’Armor), qui possède 3 hectares, 1 200 m2 sont désormais inutilisables, ravagés par les rafales.

Comme lui, bon nombre d’agriculteurs du département ont été touchés par les événements. Avec des rafales atteignant les 180 km/h, la tempête Ciarán est la plus importante que ce département ait connue depuis l’ouragan de 1987.

Pour Guillaume Troadec, d’importants investissements financiers sont partis en fumée. « On avait tout construit de A à Z : le hangar, la boutique, les tunnels et on avait fait venir l’électricité pour produire cinquante-cinq types de légumes », explique le maraîcher. Quelques jours avant la catastrophe, « on voyait venir vers nous la tempête » et pendant les deux derniers jours « avant le carnage, on a renforcé toutes les armatures, clôturé les bouts de tunnels avec des pignons, et posé des sacs de sable. » En vain.

Le renforcement des armatures n’aura pas tenu face aux tempêtes. Au total, 1 200 m2 de champ ont été ravagés. © Alexandre Bré / Reporterre

Trois serres sont hors service : un tunnel est complètement à terre, sans bâche, ni arceaux, ni structure métallique, ni système d’irrigation. Les deux autres ont perdu leur bâche et sont en incapacité d’accueillir de nouvelles mottes et des pommes de terre. Sous une autre poussaient de la mâche, des salades et des navets, « mais à l’air libre ces cultures sont perdues ».

Maintenant, le temps presse : il faut sauver ce qui peut encore l’être et penser l’après. Dans son hangar qui a tenu le coup, des oignons sont déjà stockés malgré la pluie fine et incessante. « Un rien d’humidité et les oignons pourrissent. »

Si des poireaux ou des oignons ont pu être sauvés, il sera difficile de stocker l’intégralité de la production dans le hangar qui a tenu le coup. © Alexandre Bré / Reporterre

Des commandes de plants de pommes de terre qui étaient déjà prévues sont d’ailleurs en route, mais où les stocker ? L’agriculteur possède un bitunnel qui a résisté à la tempête et où poussent encore quelques plants de tomates. Mais aujourd’hui tous sont infestés par le mildiou, auquel sont sensibles également les pommes de terre. Sans alternative, le maraîcher devra planter ses pommes de terre à côté de ses tomates infestées.

« L’argent de l’assurance, c’est foutu »

La situation est d’autant plus dure à accepter que son assurance ne prend pas en charge le dédommagement des serres. Elles étaient d’occasion et sont aujourd’hui considérées comme vétustes. « On pensait rénover notre outil de travail avec l’argent de l’assurance, c’est foutu. On va devoir retaper ce qui peut l’être. »

Guillaume Troadec a constaté avec d’autres agriculteurs des différences de traitement entre une même compagnie d’assurance et ses assurés. Ils vont donc se regrouper pour faire pression avec le support de la Confédération paysanne.

L’assurance le couvre, mais ne prend pas en charge les serres, trop vieilles. Le maraîcher doit ainsi compter sur la solidarité citoyenne. © Alexandre Bré / Reporterre

De plus, la clause de « catastrophe naturelle » qui s’applique seulement à échelle départementale et qui a été validée dans le département voisin du Finistère a été refusée pour les Côtes-d’Armor. La mobilisation, elle, paye déjà : la préfecture leur a octroyé un soutien logistique pour déblayer les tunnels. « Il ne faudrait pas que ce soit juste du saupoudrage », précise Guillaume Troadec.

Par ailleurs, ayant déjà réalisé beaucoup d’emprunts pour mettre sur pied son exploitation, le maraîcher est dans l’incapacité financière d’en réaliser de nouveaux. Un technicien en maraîchage lui a donc conseillé de lancer sans plus attendre une cagnotte Leetchi. Depuis une semaine, celle-ci permet à ses clients et soutiens de l’aider financièrement. « On compte sur la solidarité citoyenne et on espère que les clients viendront nous voir plus souvent. »

Mais la cagnotte en ligne n’a pas vocation à pallier les aspects financiers qui découlent de catastrophes naturelles. La Région Bretagne a déjà débloqué 1 million d’euros pour les légumiers dont les serres ont été endommagées, cette aide sera-t-elle suffisante ? Le ministre de l’Agriculture doit venir ces prochains jours dans le Finistère voisin. L’agriculteur, lui, « attend surtout une aide de l’État ».


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