Près d’Agen, les zadistes ont discuté de la convergence des luttes

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LuttesUn an jour pour jour après l’expulsion de Sivens, c’est sur la zad d’Agen qu’anciens et nouveaux occupants de sites promis à des grands projets inutiles se sont retrouvés ce week-end.
- Sainte-Colombe-en-Bruilhois (Lot-et-Garonne), reportage
« On est plein de copains à ne pas s’être vus depuis longtemps » raconte Camille. Plus précisément, depuis la zad du Testet et son expulsion le 6 mars 2015. « Aujourd’hui on se retrouve autour de quelques petits concerts ! » Voilà l’ambiance bien résumée par un des participants à ce week-end de Convergence des luttes, du 4 au 6 mars. Sur la Zad (zone à défendre) de Sainte-Colombe-en-Bruilhois, l’événement devait aussi servir à rassembler des volontaires pour faire vivre et cultiver la Zad. L’annulation de la déclaration d’utilité publique du projet de technopole, fin décembre 2015, repousse le début des travaux et laisse aux zadistes le temps d’organiser le lieu.
Un an après Sivens, des souvenirs partagés
Le programme prévoyait des débats et projections, mais c’est surtout aux retrouvailles, au partage et à la fête qu’ont été consacrés ces trois jours et nuits. Parmi la petite centaine de personnes présentes, beaucoup sont passées par Sivens, d’autres par Notre-Dame-des-Landes, et souvent les deux. La trace de la Zad du Testet se trouve d’abord dans les liens tissés et le plaisir de se retrouver. « Quand j’ai été à Sivens, j’ai vraiment été touchée » raconte Camille (c’est son vrai prénom). « J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’art dans ce mouvement, et toujours de la joie. Tu passes, tu apprécies, et tu te retrouves vite à devoir faire des choses. Pour moi, il y a quelque chose qui a pris, là, dans la forêt. »
Mais les souvenirs sont aussi nuancés. « A Sivens, il y a eu des moments durs, des moments géniaux, mais rien à regretter » résume Marc. « Dur émotionnellement, quand tu sens la pression d’un organisme légal, la gendarmerie, et puis ensuite encore plus flippant avec les pro-barrages. » Nad, aujourd’hui occupante de la Zad d’Agen, a surtout été marquée par l’injustice. Et l’impuissance, notamment « d’entendre les tronçonneuses et voir les arbres tomber ». La violence de ce qui s’est passé là-bas (« les coups de fusils des pro-barrages en pleine nuit ») laisse des traces. Sur les humains comme sur la nature. « Aujourd’hui Sivens, explique-t-elle, c’est un carnage : comme il n’y a plus d’arbre, tout ruisselle et le sol devient sableux, c’est le processus de désertification. » « On a perdu la forêt, mais ils n’ont pas construit le barrage » nuance Marc.

« On veut faire venir les gens, car ces terres sont à tout le monde »
Cela dit, il n’y avait pas que des anciens combattants ce week-end à Agen. Une Camille picarde avait fait le déplacement exprès en stop pour « voir sur place » et « pas seulement suivre sur internet » la vie zadiste. Mario, lui, est venu voir comment les choses se passaient ici, après avoir récemment découvert les Zad et être passé à Notre-Dame-des-Landes : « C’est plus petit, organisé différemment ».
Tout de même, le projet de technopole de l’agglomération agenaise s’étend sur 220 hectares. Au-delà des terres de Joseph Bonotto, l’agriculteur qui avait lancé un appel à constituer la Zad, les expropriations organisées par les promoteurs du projet ont permis aux zadistes d’investir une douzaine de maisons. Et la poignée d’occupants ne suffit plus à faire vivre cet espace.

« Avec ce week-end de convergence, on veut aussi faire venir des gens et qu’ils participent, car ces terres sont à tout le monde » rappelle Nad. Un brasseur a ainsi le projet de semer un champ de céréales qui serviraient à produire une bière de la Zad.
Dans le même temps, c’est le rapport aux habitants locaux qui se joue. « On connait quelques personnes aux alentours, avec qui ça se passe bien » raconte Camille (un autre), qui vit ici. Un agriculteur retraité leur a récemment apporté un groupe électrogène pour électrifier une grange. Laetitia et Richard, du collectif de soutien à Notre-Dame-des-Landes en Sud Gironde, ont fait le déplacement pour le week-end. « On est quelques-uns à venir quand on peut amener des affaires, du linge et de la vaisselle », explique Laetitia.
« Mais on voudrait élargir ce réseau, poursuit Camille, intéresser les Agenais pour qu’ils s’approprient ces terres. Or la plupart s’en désintéresse parce que ça ne se passe pas en bas de chez eux. Certains nous ont dit qu’ils allaient venir au jardin au printemps, alors on verra si la mayonnaise prend. »
Convergence des Zad ou convergence des luttes ?
Quid de la « convergence des luttes » affichée en une du rassemblement ? Il s’agissait plus d’une convergence des Zad, même si les conversations s’étendaient de Notre-Dame-des-Landes à la LGV du Sud-Ouest, en passant par Calais. Et les travailleurs opposés à la loi El Khomri qui s’apprêtent à manifester le 9 mars, ou les agriculteurs qui n’arrêtent pas de faire parler d’eux, peuvent-ils aussi converger avec les luttes zadistes ?
« On est tous en opposition avec le gouvernement, mais pas d’accord sur la réponse à apporter », selon Marc. « Alors la convergence oui, avec n’importe qui, mais pas pour n’importe quelle lutte. » Pour Frédéric, zadiste exilé de force (voir ci-dessous), « la zad est déjà une convergence des luttes, car chacun vient avec ses combats différents. Mais cette convergence pourrait être plus large encore. Les gens qui se préoccupent de leur travail, de leur terre, de leur intégrité, peuvent tous travailler ensemble parce que leurs luttes sont liées. La zad, elle, apporte de quoi se loger et se nourrir, ainsi que de l’espoir et une autre vision du monde. »
LA JUSTICE INTERDIT A UN ZADISTE AUTOMEDIA DE SÉJOURNER SUR LA ZAD

Ces derniers mois, les zadistes ont cherché à bloquer des travaux d’aménagement périphériques à l’hypothétique Technopole Agen Garonne (TAG). En octobre dernier, ils avaient ralenti la construction d’un rond-point pendant quinze jours, en campant au milieu de l’intersection, avant de se faire déloger par les gendarmes.
Rebelote le mois dernier sur le chantier d’installation du tout-à-l’égout de riverains, à 200m de la zad. Selon les zadistes, ces travaux sont liés à la TAG : « Cela fait des années que les gens attendent le tout-à-l’égout. Si ça se fait maintenant, c’est parce qu’au niveau du raccordement une route doit être faire pour mener au TAG », explique Camille. De plus, la maison des riverains, des personnes âgées, se fissurerait à cause des vibrations provoquées par les outils de chantier.
« On a commencé à bloquer le 8 février, raconte Frédéric Raguénès. On est arrivé le matin, on a laissé les ouvriers décharger la pelleteuse, puis on a grimpé dessus et on les a empêchés de travailler. » Un matin, pensant qu’un autre zadiste avait été agressé par les ouvriers la veille, Frédéric s’énerve et lève le ton en s’approchant des ouvriers. Ces derniers s’en vont, mais quelques jours plus tard, le 22 février, ce sont les gendarmes qui viennent interpeller Frédéric et le placer en garde à vue.
Il est accusé de menaces avec contrainte sur un ouvrier et sur les machines de chantier. L’altercation avait été filmée par les gendarmes, qui, selon Frédéric, auraient mal transcrit ses propos. Après cinq heures de garde à vue, il est placé sous contrôle judiciaire : interdit de séjour dans onze communes de l’ouest d’Agen, dont Sainte-Colombe et Brax, mitoyenne de la Zad, mais aussi d’autres plus éloignées et sans rapport direct avec les faits. De plus, il doit se présenter une fois par semaine au commissariat de Villeneuve-sur-Lot, où il ne possède pas de logement mais reçoit simplement son courrier.
Particularité, à Agen comme sur les autres lieux de luttes où il est passé, Frédéric Raguénès est automédia : il filme les actions et moments importants de la zad. Selon, lui, cela pourrait avoir motivé la procédure : « Je communique beaucoup sur la Zad, par les vidéos et les réseaux sociaux. A chaque fois, 3 à 400 personnes sont ainsi informées de ce qui se passe ici. Mais en tout cas, le fait d’arrêter une personne ne permettra jamais d’arrêter la Zad. » M. Raguénès est convoqué le 17 mars à 14h au tribunal d’Agen pour être jugé.