Près de Paris, combat pour sauver une « cathédrale » souterraine

Dans les carrières souterraines de Meudon. - © Nnoman / Reporterre
Dans les carrières souterraines de Meudon. - © Nnoman / Reporterre
À Meudon, en Île-de-France, la mairie souhaite combler une ancienne carrière avec les déblais de chantiers du bâtiment. De nombreuses associations s’opposent à ce projet, arguant de l’intérêt historique, géologique et architectural des carrières.
Meudon (Hauts-de-Seine), reportage
Avec ses hautes voûtes de plein cintre et ses croisées d’ogives, les galeries souterraines de la carrière Arnaudet ressemblent à une ancienne église. « Voire à une cathédrale ! », s’exclame François de Vergnette, membre du comité de sauvegarde des sites de Meudon. Comme un gamin chassant un trésor, ce maître de conférences en histoire de l’art contemporain scrute une carte pour retrouver les éléments notables des souterrains ; huit kilomètres de boyaux taillés dans une roche blanche et humide, un calcaire argileux qui servait au siècle dernier à fabriquer des peintures, des produits ménagers ou encore les craies des écoliers.
« Pourriez-vous nous mener à la faille karstique et aussi aux anciennes champignonnières qui ne doivent pas être loin ? », demande-t-il à Chikaa* et Melon*, des cataphiles [1] improvisés guides du jour. Les deux jeunes opinent sans grand enthousiasme, plus habitués aux solitudes des profondeurs qu’à balader un groupe dissipé d’amoureux du patrimoine. Ils bifurquent à droite puis à gauche avant d’arriver face à un tunnel sillonné de petites buttes de terre, vestiges des anciennes cultures de champignons. Mais en dépit des recherches, pas de faille karstique à l’horizon. Personne ne semble leur en vouloir et la petite troupe retrouve la lumière du jour.

Depuis plusieurs années, la lutte se poursuit pour préserver cet endroit étonnant. Samedi 9 mars après-midi, sous un beau soleil printanier, près de 150 personnes se sont ainsi rassemblées devant l’entrée de cette carrière. Tous étaient réunis pour éviter le comblement qui pourrait selon eux mener à l’urbanisation de la colline toute entière, un site en friche où poussent des herbes folles. Dans la foule, des gens aux cheveux grisonnants passionnés de patrimoine et de géologie, côtoyaient des manifestants plus jeunes : des cataphiles aux pantalons déchirés par les rochers. Beaucoup de participants vivent dans la ville Meudon, au sud-ouest de Paris ou dans les alentours.
« Cette étude est faite par informatique sans que personne ne soit allé sur place »
Cela fait une quarantaine d’années que les maires successifs de la ville aimeraient construire des immeubles sur cette colline. En 1986, les opposants avaient remporté une première victoire en obtenant son classement comme « site scientifique et artistique », bloquant ainsi toute urbanisation. Depuis 2017, la ville ne parle plus de projet immobilier mais de « sécurisation du site ». Elle se base sur une étude publiée la même année par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) qui évoque des risques d’effondrement. « C’est une modélisation numérique qui ne prend pas en compte le fait que la carrière est stable depuis 150 ans. Cette étude théorique est faite par informatique sans que personne ne soit allé sur place », explique Magdaleyna Labbé, militante de toujours contre le comblement. Des contre-expertises lancées par les opposants sont venues contredire le diagnostic de l’Ineris. Pétition, recours juridiques et lettre au Premier ministre ont également été publiées, mais sans succès. Le Conseil d’État validé le comblement le 13 avril dernier. La ville a démarré les travaux cette semaine.

« La mairie insiste sur la sécurisation et la valorisation des galeries mais cette solution n’a jamais été budgétée. Tout comme le parc qu’elle souhaite faire au-dessus. Le maire remet toutes ces études indispensables à la réalisation de tout cela à après les travaux de comblement », regrette Magdalena Labbé. Dans les documents du bureau d’étude Egis, sélectionné pour faire les travaux, il est en effet précisé qu’à « l’instar du projet potentiel d’un cheminement pédagogique en sous-sol, la réalisation d’un parc en surface nécessite pour la ville d’en étudier le coût global et la destination finale ». Contacté par Reporterre, Franck Deruere, directeur général adjoint des services de la ville de Meudon, confirme la volonté de sauvegarder une partie des carrières. « 55 % des galeries seront préservées. L’ensemble du patrimoine architectural sera conservé dans cette zone : les voûtes cintrées, les enfilades de galeries, les failles karstiques. Par ailleurs, la quasi-totalité du patrimoine géologique se trouve en dehors du périmètre à consolider », assure-t-il.
Grand Paris et intérêts immobiliers
Pour certains opposants, les travaux de sécurisation serviraient de prétexte au stockage des remblais des travaux du Grand Paris. « Il y a sept ou huit ans, quand se lançait le Grand Paris, il a fallu trouver des lieux pour se débarrasser des déblais des chantiers. C’est à ce moment que la mairie a pensé à la carrière », assure Christian Mitjavile, président du comité de sauvegarde du site de Meudon. Le document d’Egis ne fait d’ailleurs aucun mystère sur la nature des terres qui serviront au comblement : « Les chantiers en cours ou à venir en Île-de-France génèrent plusieurs millions de tonnes de déblais. Compte tenu de ce contexte, il existe une importante probabilité que les matériaux fournis seront issus de ces chantiers. » Au total, près de 47 858 m³ de déblais du Grand Paris sont censés être déversés dans les galeries. Franck Deruere assure que cette option a depuis été écartée : « Nous avons rencontré leurs équipes mais il sera difficile de travailler avec eux car la nature de leurs terres — des boues de forage — ne correspond pas à nos attentes. Nous allons donc utiliser des terres de chantiers situées maximum à 25 kilomètres aux alentours du site Arnaudet de manière à limiter l’empreinte carbone du comblement. »

Une fois les travaux terminés, la colline surplombant le site pourra être urbanisée. Si la mairie promet de créer un parc muséal à l’aplomb de la carrière, les alentours ont déjà aiguisé l’appétit des agents immobiliers. La carrière Arnaudet a en effet été sélectionnée pour le projet IMGP3 du Grand Paris dans la catégorie « reconversion de friches urbaines » pour une « programmation mixte » et de « nouveaux services aux riverains ». « Quand le site a été retenu par la métropole, des hordes de promoteurs en costumes cravates ont débarqué dans le quartier pour prendre des photos. J’ai peur que tout le site devienne un immeuble de luxe, avec vue imprenable sur Paris », craint Magdalena Labbé. Pour comprendre cet engouement, il suffit de grimper en haut de cette colline dite Rodin, où le sculpteur passa ses 20 dernières années, et dont la tombe et le musée sont perchés à son sommet. S’offre alors au promeneur une vue à 360 degrés sur les boucles de la Seine, le bois de Boulogne, la tour Eiffel ou le quartier de la Défense.
Quelle alternative ?
Concernant l’appel à projet IMGP3 en cours, Franck Deruere précise qu’il ne porte pas sur cette partie des carrières au-dessus de laquelle la Ville s’est engagée à aménager un espace vert public. « Aujourd’hui, les opposants disent qu’ils ne veulent pas combler les galeries. C’est donc accepter le risque qu’il puisse y avoir un effondrement massif. J’agis pour ma part pour l’intérêt général en privilégiant la sécurité des riverains. » De leur côté les opposants aimeraient que ces souterrains soient consolidés puis ouverts au public. « Il est tout à fait possible de stabiliser sans combler, par exemple en ajoutant des cintres en béton armé. Mais la mairie n’a jamais exploré cette solution », se désole Michel Jantzen, un architecte qui vit à Meudon. Faux rétorque Franck Deruere. « Avec cette solution alternative, quelle solution ? Il faudrait enfoncer des tiges métalliques dans les piliers tous les 50 cm à 1 m et projeter ensuite du béton dessus. Cela coûterait beaucoup plus cher et surtout, le bilan carbone de cette solution est désastreux et remettrait en cause le contexte hydrogéologique de la carrière. »

Dans tous les cas, les militants ne sont pas prêts à abandonner leur combat. Ils aimeraient que le site soit aménagé afin d’organiser des visites à but scientifique ou historique. L’idée serait de mettre en valeur l’histoire ouvrière de l’extraction de la craie, d’étudier la géologie de la terre voire d’organiser des concerts dans un lieu aux qualités acoustiques remarquées par le CNRS. « Stéphane Bern nous a d’ailleurs apporté son soutien », dit François de Vergnette. Les associations appellent à une nouvelle journée mobilisation le dimanche 15 mai.