Radio debout maintient le son du mouvement social

Née avec Nuit debout, Radio debout survit à l’essouflement du mouvement. Elle accompagne les mouvements de lutte, comme jeudi 24 juin la manifestation contre la loi Travail.
- Paris, reportage
« Bonjour, vous êtes photographe et vous répondez au doux prénom de ?... - Martha. » 14h, jeudi 23 juin, Martha est en direct sur Radio debout. En guise de micro, Mathieu lui tend son téléphone portable. Ce professionnel de la radio est de toutes les manifestations depuis deux mois et demi. Bien souvent un simple téléphone pour cette radio cousue main qui se réunit tous les soirs sur la place de la République à Paris.
« Quelle image pour raconter ce qui se passe aujourd’hui Martha ?
- C’est l’image d’une boucle, d’une boucle de fous qui tournent en rond ».
Contre la loi Travail, les cortèges syndicaux défilent sous une chaleur de plomb de la place de la Bastille… à la place de la Bastille, en contournant le port de l’Arsenal. Un tracé d’à peine deux kilomètres dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Pour apprécier ce parcours, les manifestants, journalistes, photographes et quatre équipes de reporters de Radio debout ont dû passer plusieurs barrages de policiers, ouvrir leurs sacs et pour certains se laisser fouiller.
Au milieu du défilé encore épars, une bande de reporters, professionnels ou amateur, a pris l’antenne à 14h tapantes, comme elle le fait depuis le 37 mars (6 avril) tous les soirs sur la place de la République. « Au départ, c’est une histoire de copains », rembobine Alexandre Plank, joint par Reporterre. Ce réalisateur de France Culture fait partie des initiateurs de la radio éphémère, avec Bastien, un confrère technicien. Ils venaient d’achever une série de reportages sur les radios dissidentes dans de nombreux pays quand Nuit Debout a commencé. « On avait vu comment ça se passait au fin fond du Mexique ou de la brousse africaine : un ordinateur, une console, deux micros et le tour est joué. »
Aussitôt découvert l’événement, ils décident de revenir le lendemain avec le matériel nécessaire. Ils sont trois, bien décidés à raconter ce qui se passe. Puis une dizaine de compères les rejoignent. Au bout de trois semaines, une cinquantaine de personnes gravitent autour de la radio : beaucoup de Radio France, mais aussi de Radio Campus, d’Europe 1, de RMC ou de Libération. D’autres ne sont pas journalistes et n’ont même jamais parlé dans le micro.
Tout de suite, ils enregistrent l’assemblée générale, puis réalisent des reportages, organisent des interviews autour d’un plateau de bric et de broc, sous une bâche. « On a voulu tout expérimenter, dans la lignée des radios libres », explique Antoine Chao, journaliste à France Inter. « Être au cœur de l’événement et documenter en direct ce qui se passe ». Et ça marche : 7.200 abonnés sur Twitter, 4.600 sur Facebook, et des centaines de personnes qui écoutent le direct. D’autres médias, comme Radio Canut à Lyon, Radio Campus ou Radio Grenouille à Marseille retransmettent les sons.

Depuis une semaine, la radio a troqué ses micros contre des téléphones. « L’idée de couvrir les manifestations est venue avec celle du 14 juin : comme Nuit debout perdait de la vitesse, on a cherché à se réinventer », explique Tristan. « On s’est mis à raconter en direct ce qui se passait, comme on faisait à République, et ça a super bien marché ! »
Sauf que ce jeudi 23 juin, il n’y a pas grand chose à raconter. « C’est pas une manif ça, c’est pas une manif, lance Mathieu après trente minutes d’antenne en direct. C’est le fruit d’une double instrumentalisation politique et syndicale, une partie d’échecs que le gouvernement vient de remporter. En tout cas pour cette manche-là ! » Alice, sa partenaire de terrain, regarde son téléphone portable. « Ah c’est bon on va être à nouveau à l’antenne dans trois minutes ! »
Chacune des quatre équipes se relaie, environ toutes les demi-heures, pour parler en direct à la radio. Ils passent par une application – MIXLR - qui permet de diffuser en direct les contenus audio – sons d’ambiance, témoignages - qu’ils récoltent sur le terrain. Tout ce qu’enregistre le micro du téléphone est ainsi rediffusé en live sur le site internet de Radio debout. Mais il peut y avoir des bugs. Au moment de prendre l’antenne, Alice se ravise : « Ah mais nan, finalement C’est Tristan qui l’a prise ».
- Ecouter Tristan puis Guillaume commenter la manifestation :
Du côté des Grands Boulevards, Guillaume et Tristan atteignent finalement les manifestants guidés par les sirènes et une collaboratrice de Radio debout présente dans le défilé improvisé. Guillaume tend son téléphone à une manifestante, visiblement essoufflée. « On s’est faufilé par des rues passantes, mais il n’y a eu aucune casse », témoigne-t-elle. « Puis la police nous a poursuivis, et on a dû se disperser ».
Témoigner de ce qui se passe, en direct, c’est aussi l’objectif de cette radio de lutte. « C’est une sorte de Périscope radiophonique [Periscope, application qui permet de diffuser en direct, via Internet, des vidéos] », note Guillaume, qui participe à Radio Debout pour la première fois. « L’immersion, la proximité, c’est ça, notre ADN », ajoute Tristan. Quitte à manquer de recul ? « On fait attention, on vérifie les infos, on précise quand on a un chiffre », dit-il. « Après, on n’a pas honte de dire qu’on est militant et de gauche. »
Pour lui, les médias mainstream manquent aussi de discernement et d’objectivité. D’où leur discrédit parmi les manifestants. Tristan et Guillaume s’approchent d’ailleurs d’une « street medic » [personne qui peut porter les premiers secours]. « Je ne parle pas aux journalistes », dit-elle avant de se raviser. « Si vous êtes Radio Debout, alors je veux bien ! »
Installée depuis l’origine place de la République, la petite radio est rapidement devenue un automédia : faite par et pour le mouvement. « A l’inverse des autres médias qui venaient quinze minutes puis s’en allaient, on restait là tout le temps, pour donner un écho à cet événement », se rappelle Antoine Chao. « On a ainsi acquis une légitimité d’être en tant que journalistes sur la place ». Face aux difficultés pour raconter Nuit debout, des médias comme Mediapart ou Libération reprennent les contenus de la jeune radio.
« Et on apprend à l’instant que nos confrères journalistes Gaspard Glanz et Alexis Kraland ont été emmenés au commissariat », annonce Tristan à l’antenne. Les deux reporters du site Taranis News sont arrêtés vers 14h place de la Bastille, et relâchés plus de quatre heures après. Une partie de leur matériel reste confisquée. « Aucun papier ne nous a été remis », signale Gaspard Glanz sur Twitter.

Pendant ce temps sur la place de la Bastille, Alice et Mathieu se demandent comment ils vont bien pouvoir continuer à raconter la manifestation. Après un tour (voire plusieurs pour les plus motivés) du bassin de l’Arsenal, les militants piétinent. Mathieu se faufile au moment où il aperçoit Jean-Baptiste Eyraud, de Droit au logement. L’habitué de la place de la République se laisse embarquer par les deux reporters jusqu’en haut des marches de l’Opéra Bastille. « On vous invite sur notre plateau mobile. » C’est là que le reste de la troupe de Radio debout reçoit ses invités, assis sur des marches, téléphone portable en main.
L’homme qui a l’habitude d’occuper des immeubles vacants dans Paris dénonce cet après-midi une « manif sous-occupation » : « Je me sens humilié. Avec ce dispositif policier, on a l’impression d’être dans un bocal. C’est d’autant plus symbolique que cela se passe à Bastille, la place de la Révolution. »
- Ecouter Jean-Baptiste Eyraud au micro de Radio Debout :

Il est à peine 16h30, la place se vide. « Il y aurait une nasse, une centaine de manifestants encerclés près de gare de Lyon », vient signaler une dame. Aussitôt, un reporter s’en va sur les lieux. D’après la préfecture de police, 100 personnes ont été interpellées pour détention de stupéfiants, interdiction de paraître ou détention de projectiles. 16 personnes ont été placées en garde à vue.
A 17h, Radio Debout rend l’antenne. C’est fini pour aujourd’hui... mais quand sera la prochaine fois ? Car à l’instar des autres composantes de Nuit debout, le petit média se pose la question de son avenir. Certains souhaitent poursuivre l’aventure, en faire une radio alternative, sous une forme plus institutionnelle. D’autres refusent cette « formalisation », quitte à arrêter pour le moment l’expérience. Pour Antoine Chao, « c’est une belle initiative qui doit renaître dans des moments cruciaux, pour certains événements forts ». Une « radio d’intervention », spontanée et expérimentale. Autre point de dissension : la ligne politique du média. « Cela ne m’a jamais intéressé de faire une radio politique, souligne pour sa part Alexandre Plank. On a laissé parler les autres, de la droite modérée jusqu’à l’extrême gauche. » Le sort de Radio debout devrait être discuté ce vendredi soir lors d’une assemblée générale.
Mais quoiqu’il advienne, la radio a d’ores et déjà rempli son rôle de documentation. Le Musée Carnavalet aurait ainsi demandé à récupérer les heures de sons produites, pour les archiver.
Pour suivre le mouvement Nuit debout :