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Pollutions

Rendre la Seine baignable : un projet pas si écolo

Pour dépolluer la Seine, 1,4 milliard d’euros ont été débloqués.

En vue des Jeux olympiques, la Ville de Paris veut rendre la Seine baignable. Présenté comme « vert », ce projet ambitieux interroge pourtant certains écologistes.

Se baigner dans la Seine en 2024 : pour remporter cette épreuve olympique, la Ville de Paris ne lésine pas sur les moyens. Car pour dépolluer ce fleuve urbanisé et industrialisé, les mesures à prendre sont d’envergure. Le budget aussi : 1,4 milliard d’euros. Les élus défendent « un plan ambitieux pour améliorer la qualité de l’eau » au bénéfice de tous. Mais certains écolos critiquent un projet mal ficelé et pas assez vertueux. Qu’en est-il vraiment ? Reporterre fait le point.

1. La baignade dans la Seine, un vieux rêve difficile à réaliser

Au XVIIIe siècle, le bain dans la Seine était un incontournable de la vie parisienne. Mais depuis 1923, la trempette y est interdite. En cause : la présence trop importante de bactéries, en particulier celles qui provoquent gastros et diarrhées (Escherichia coli et entérocoque). Fini donc le petit plongeon depuis l’île Saint-Louis. Même les poissons ne s’y risquaient plus : au tournant des années 1970, on ne comptait plus que trois espèces dans le cours d’eau.

L’idée a été remise au goût du jour par Jacques Chirac, alors candidat à la mairie de Paris, en 1988. « Dans trois ans, j’irai me baigner devant témoins pour prouver que la Seine est devenue un fleuve propre », réitérait-il en 1990. Las, la promesse n’a pas été tenue.

Au XVIIIe siècle, les baignades dans le fleuve étaient un incontournable de la vie parisienne. Unsplash/J Shim

Le débat a ressurgi à la faveur des Jeux olympiques. Afin de rendre sa candidature plus alléchante, Paris a fait miroiter la possibilité d’épreuves sportives dans le fleuve, au pied de la Tour Eiffel. Effet waouh garanti. Le feu vert du Comité international olympique obtenu, il a fallu s’atteler à ce pari gigantesque : dépolluer la Seine, afin que les athlètes y effectuent, dès l’été 2024, les compétitions de nage en eau libre, de paratriathlon et de triathlon.

L’objectif, au-delà de l’événement, est de rendre le fleuve baignable pour tous dès 2025. « On s’est servi des JO comme d’un accélérateur de la transition écologique, estime Colombe Brossel, adjointe à la maire en charge de la propreté et de la réduction des déchets. Cela nous donne un calendrier et un impératif. » Pour l’élue, ces travaux étaient de toute façon nécessaires afin d’améliorer la qualité des eaux — une obligation européenne — et participent d’un projet plus large : « Tout cela sert à transformer la ville et la rendre plus vivable. »

2. Des actions tous azimuts… mais pas toutes écolos

Pour arriver à ses fins, la Ville — mais aussi la métropole et l’État — a mis les bouchées doubles. Car le défi est complexe. Il ne s’agit pas de déverser des tonnes de pastilles de chlore pour assainir l’eau. « Les bactéries proviennent du fait que des eaux usées non traitées ou mal traitées se retrouvent encore trop souvent dans la Seine ou ses affluents », explique Pierre Rabadan, adjoint en charge du dossier à la mairie. En clair, il y a du caca dans le fleuve.

Pour tenter d’y remédier, collectivités locales et Agence de l’eau tablent sur quatre axes : renforcer le traitement des eaux usées ; mieux gérer les eaux de pluie, notamment en cas d’orage ; raccorder les bateaux au tout-à-l’égoût ; refaire les branchements défaillants de quelque 35 000 habitations.

Un programme ambitieux, mais qui ne fait pas l’unanimité. Concernant les stations d’épuration, Michel Riottot, membre de France Nature Environnement (FNE) Île-de-France, critique « un nettoyage chimique » nocif : « L’usine d’assainissement de Valenton est en train de mettre en place un système de désinfection des eaux de rejets à base d’acide performique, un produit très fortement bactéricide, mais dangereux à manipuler, précise-t-il par courriel. Son efficacité est basée sur la libération d’oxygène actif. Or cet oxygène pourrait détruire toutes les substances organiques qu’il touche… donc la faune et la flore du fleuve. »

Lors de fortes averses, les eaux « sales » sont rejetées dans la Seine afin d’éviter que les égoûts débordent. © Mathieu Génon/Reporterre

Côté branchements, Jean-Claude Oliva, de la coordination Eau Île-de-France, craint « un surcoût important pour les collectivités », car les aides publiques ne couvrent pas tout. Quant à la centaine de péniches mal raccordées — dont les chasses d’eau finissent directement dans la Seine — FNE déplorait, dans une analyse publiée en 2020, que d’autres solutions moins onéreuses et plus écologiques, à l’instar des toilettes sèches ou de la phytoépuration, n’aient pas été poussées.

Dernier point, et non des moindres, les orages. À Paris, comme dans de nombreuses communes, eaux pluviales et eaux usées se retrouvent dans les mêmes tuyaux, envoyées pêle-mêle vers les stations d’assainissement. Sauf quand il pleut beaucoup. Afin d’éviter que les égoûts ne débordent, les eaux « sales » sont alors rejetées directement… dans la Seine. Pour pallier ce problème, la municipalité de Paris construit actuellement un immense réservoir souterrain dans le quartier Austerlitz, pour stocker le surplus (voir encadré). Coût de l’opération : 90 millions d’euros.

« Avec ces moyens, on aurait pu imaginer des mesures plus vertueuses, regrette Jean-Claude Oliva. Comme une politique ambitieuse d’infiltration des eaux de pluie dans les sols, en désimperméabilisant, en multipliant des toitures végétalisées... » Le militant et élu vert à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) déplore une occasion manquée « pour un vrai projet écolo ».

3. La Seine « propre », un pari impossible ?

Malgré les critiques, Ville et État avancent à nage forcée. De fait, le calendrier est serré : les travaux doivent être achevés d’ici à un an, mais surtout la qualité de la Seine doit être au rendez-vous. « Nous n’avons pas le choix, nous devons tenir les échéances », dit Pierre Rabadan. Sa collègue, Colombe Brossel, se montre, elle aussi, très optimiste : « L’été dernier, alors que les travaux n’étaient pas finis, 90 % des mesures quotidiennes de l’eau étaient bonnes sur le site olympique ».

Michel Rottiot s’interroge : « La Seine devient plus propre, on est montés à plus de trente espèces de poissons [contre trois il y a cinquante ans]. Mais si l’on suit les critères sanitaires concernant les taux de microbes potentiellement pathogènes dans l’eau, c’est déjà moins bon... » Dans son viseur, certains virus, toujours dosés dans l’eau du fleuve. « Sans compter la pollution chimique, poursuit-il, celle issue des traitements agricoles, celle des usines, celle de l’aéroport de Roissy dont les effluents se jettent en Marne. »

Pour l’écologiste, il est illusoire de penser qu’on pourra piquer une tête à n’importe quel point de la Seine. La Ville planche d’ailleurs sur des bassins réglementés et surveillés. « On ne pourra pas se baigner de manière sauvage, dit aussi Pierre Rabadan. Ça reste un fleuve, avec un courant fort, des activités fluviales. » Deux lieux devraient être ouverts en 2025. Au total, une vingtaine de lieux potentiels répartis sur seize communes du Grand Paris ont été identifiés.



Un bassin d’orage pour éviter les rejets dans la Seine

Près de la gare d’Austerlitz, dans le sous-sol de la capitale, pelleteuses et tracteurs s’activent. À deux pas du métro et de l’hôpital de la Salpêtrière, la Ville de Paris creuse un immense trou, capable de stocker 46 000 mètres cubes d’eau — l’équivalent de 12 à 18 piscines olympiques. Ce réservoir d’orage permettra de garder les eaux pluviales, mélangées aux eaux usées, en cas de fortes averses. Et éviter ainsi leur rejet dans la Seine.

Près de l’hôpital de la Salpêtrière, la Ville de Paris construit un réservoir pouvant stocker 46 000 mètres cubes d’eau. © Mathieu Génon/Reporterre

La plupart des villes disposent déjà de ce type d’infrastructure, rappelle Samuel Colin Canivez, responsable des grands travaux pour le réseau d’assainissement parisien : « Mais à Paris, c’est très compliqué à mettre en place », précise-t-il, au vu de la densité de population et d’un sous-sol déjà bien exploité. Réalisé avec le soutien de l’Agence de l’eau et du service public de l’assainissement francilien (le Siaap), le chantier, débuté fin 2020, devrait être achevé au printemps 2024.

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