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EntretienLuttes

Ces chantiers participatifs où l’on apprend la maçonnerie et la sociologie

Rénovation d'un hangar au Havre, lors d'un chantier collectif.

Du printemps à l’automne, les chantiers collectifs organisés par Reprises de savoirs proposent une nouvelle manière d’apprendre, où menuiserie et pâtisserie côtoient philosophie et anthropologie.

Creuser une mare à grenouille contre la bétonisation d’un quartier, cuisiner un banquet à des activistes en désobéissance civile, construire et semer des jardins aériens... En 2022, le mouvement Reprises de savoirs a organisé vingt-trois chantiers collectifs en France. Des chantiers autogérés un peu particuliers... aux coups de marteau s’ajoutent débats et miniconférences. Ainsi, l’ingénieure déserteuse motivée par le défi technique croise la route de l’historien des luttes écologistes. Et tous deux s’enrichissent. Une vingtaine de personnes participent à l’organisation de ces chantiers. Tibo, 39 ans, est l’une d’elles.



Reporterre — Pourquoi mêler apprentissages pratiques et théoriques dans vos chantiers ?

Tibo — La société est scindée en deux. Il y a ceux qui ont fait des études intellectuelles, mais ne savent pas faire grand-chose de leurs mains. Et à l’inverse, ceux, souvent plus méprisés, qui ont une formation et un métier servant davantage à la subsistance.

Notre ADN est d’organiser la vie quotidienne autrement. Dans la constellation de lieux où se déroulent ces chantiers, on considère que la théorie et la pratique ne devraient faire qu’un. Ce n’est pas parce qu’on désire acquérir les connaissances pratiques pour se nourrir, se loger ou se défendre que les savoirs plus intellectuels devraient devenir inaccessibles.



Comment se matérialise cette union ?

Il n’y a pas de solution miracle. Ne faire que de la maçonnerie ou que de la philosophie, cela fonctionne. C’est en les mélangeant que tout devient plus compliqué. Alors, il faut expérimenter, tenter de trouver une alchimie.

L’année dernière, l’un des chantiers avait comme thématique : « Sentir, penser les luttes. » L’idée était de réunir notamment des historiens, pour retracer les victoires et défaites écologistes du demi-siècle écoulé. En parallèle du séminaire, il était aussi question d’apprendre à faire la cantine à près de 150 personnes des Soulèvements de la Terre, qui étaient en pleine action de désobéissance civile.

Les journées étaient coupées en deux, avec d’un côté des discussions sur l’histoire des luttes et de l’autre des ateliers cuisine. Mettre la main à la pâte comme cela permettait aux personnes les moins à l’aise avec les débats théoriques de se sentir utiles et légitimes.


Ces chantiers servent aussi à ne pas laisser aux institutions le monopole de la production de savoirs.

Oui. On critique les espaces institutionnels de l’éducation qui délivrent des savoirs dans une approche en rupture totale avec la vie quotidienne. À l’université, il n’est jamais question de savoir ce que l’on mange, personne ne connaît le prénom des personnes qui font le ménage. Nous sommes là pour étudier une discipline, point barre.

Alors dans cet archipel de lieux de vie où s’organisent les chantiers, on tente d’aborder l’accès aux savoirs autrement. De montrer qu’il est possible de s’intéresser à une discipline, de la science à l’anthropologie, tout en s’ouvrant aux savoirs manuels. Et vice-versa.

Un chantier collectif en Normandie, avril 2023. Préparation de la boue pour fabriquer une isolation terre-paille. © Gar agar / Reporterre

Cette année, nous lancerons d’ailleurs un tout nouveau projet, visant à stimuler les campus universitaires : « Une autre rentrée. » L’objectif est d’inviter les étudiants et les enseignants qui voient les choses un peu différemment à proposer d’autres rendez-vous. Des discussions, des chantiers autogérés, pour dépasser l’activité des seuls BDE [bureau des étudiants] et retisser des liens avec la société et le monde extérieur, au-delà de l’entre-soi des ingénieurs notamment.



Ces chantiers permettent justement de sortir de l’entre-soi.

On ne nie pas que nos chemins nous ont poussé vers un certain entre-soi, celui du militantisme écologiste. Beaucoup d’entre nous ont déjà tenté de vivre autrement au quotidien, ont participé à des luttes, comme aux Lentillères ou à Notre-Dame-des-Landes. Autant de choses qui créent des affinités.

En revanche, on est désireux d’organiser des moments propices à dépasser cette mécanique organique affinitaire. Il faut créer des passerelles avec d’autres gens, qui ne connaissent pas ces milieux-là. Transformer notre monde demande de rencontrer d’autres mondes, sans arrêt. Or, Reprises de savoirs offre un cadre à ces rencontres.

Lire aussi : Je ne savais pas (du tout) bricoler : j’ai testé un chantier participatif

En proposant un chantier à Montreuil [en Seine-Saint-Denis] par exemple, on attire l’attention de nouvelles personnes, venues d’autres horizons. Cette première rencontre les poussera peut-être à nous suivre sur d’autres chantiers, plus éloignés de la ville, à la campagne ou la montagne.



Une quinzaine de chantiers sont déjà programmés, et d’autres devraient bientôt arriver.

Parfaitement. Un sauna mobile a déjà été construit à Bure, pour prendre soin des militantes et des militants. Il y aura aussi la fabrication de fours à pain, l’aménagement d’une serre, un atelier de lactofermentation ou la création de micro-habitats pour les animaux... Et ce, dans toute la France.

Beaucoup de lieux accueillent déjà des chantiers au quotidien. Désormais, le défi est d’y ajouter une approche théorique. On discutera notamment d’écoféminisme, de radicalité ou encore d’installation paysanne.



Toutes les informations pour participer à des chantiers ou pour en initier figurent sur le site www.reprisesdesavoirs.org.

Les premiers chantiers pluriversités, de la saison 2023 :

  • Du 3 au 7 avril 2023
    Semaine Prenons les terres !
    Au 38 rue d’Alembert, Grenoble (38)
  • Du 10 au 16 avril 2023
    Chantier autonomie alimentaire
    Tarnac (Plateau de Millevaches), Corrèze (19)
  • Du 8 au 28 mai 2023
    Sauna mobile à Bure
    Mandres-en-Barrois, en Meuse. (55)
  • Du 29 mai au 11 juin 2023
    Rénovation de four à pain
    Collectif des Chats Noirs, Nord-Isère (38)
  • Du 4 au 11 juin 2023
    Quelles constructions en terre crue pour demain ?
    Des Idées Plein La Terre – Local Les Bons Restes, Reims (51)
  • Du 26 au 30 juin 2023
    Pour des constructions hospitaliTerres –
    Bâtir et cultiver les semences d’histoires en français langue étrangée

    Ferme collective de Combreux, Seine et Marne (77)
  • Début juillet 2023
    Habiter des milieux énergétiques
    Moulin d’Angreviers (44)
  • Du 9 au 16 juillet 2023 et du 21 au 27 août 2023
    De Rives en Rêves – Auto-construction & aménagements aux jardins
    Rumilly (62)
  • Du 12 au 16 juillet 2023
    Chantier Écoféminisme Minervois – Subsistance / Cantine solidaire/ Maisonnées
    Azillanet en Minervois (34)
  • Fin juillet 2023
    Habiter le commun : semer et manger d’égal à égal : réaménagement d’une serre (à confirmer)
    Association A4 – Lannion, Côtes d’Armor (22)
  • Du 21 au 24 juillet 2023
    Se nourrir et agir ensemble entre Loire et forêts
    Hameau des Loups – Bonny-Sur-Loire / Arboraison – Briare (45)
  • Du 27 au 30 juillet 2023
    Festival écoféministe La Sève (3e édition) : multi-chantiers autogérés
    Espace autogéré des Tanneries, Dijon (21)
  • Du 29 juillet au 13 août 2023
    Alterfixe, 2e édition – camp autogéré pour l’installation paysanne dans le bocage Ornais
    GAEC du Mont Hardy, Saint-Hilaire-de-Briouze (61)
  • Du 3 au 6 août 2023
    Les Résistantes 2023 – rencontres de luttes locales et globales
    Larzac
  • Entre août et octobre (à définir)
    Reprendre le bâtir au béton
    Lieu à définir

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