Retraites : pour « faire bouger l’État », ils bloquent un chantier des JO

Morgane et Matthieu faisaient partie des quelque 150 personnes présentes le 15 mars 2023 pour bloquer un chantier des Jeux olympiques, à Saint-Denis. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Durée de lecture : 4 minutes
Retraites SocialPour protester contre la réforme des retraites, plus d’une centaine de manifestants ont empêché, le 15 mars, l’accès à un chantier des Jeux olympiques, pendant deux heures.
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), reportage
« Personne n’entre, c’est la grève ! » Il est 6 h 30 du matin, mercredi 15 mars, lorsque les ouvriers découvrent avec surprise qu’ils ne peuvent pas accéder à leur lieu de travail — le chantier du Centre aquatique olympique, à Saint-Denis. La raison : l’appel de l’interprofessionnelle de Saint-Denis à bloquer les accès du site, pour protester contre la réforme des retraites.
Des petits groupes de personnes, emmitouflés sous des manteaux épais et des grosses écharpes, restent postés devant les grilles du chantier pour empêcher quiconque d’entrer. « Ah, bon bah tant pis ! » s’esclaffe un ouvrier, avant de rebrousser chemin. « On n’est pas contre leur travail, on est contre la réforme des retraites », insiste Arthur, ouvrier agricole et membre de l’interprofessionnelle.

« L’État demande aux gens de se sacrifier au travail parce qu’on manquerait d’argent pour financer notre système de retraites. Et à côté de ça, il dépense des millions d’euros pour l’organisation des Jeux olympiques ! Donc on bloque ce chantier qui coûte énormément d’argent [près de 175 millions d’euros] », résume Florine, une enseignante venue participer à l’action. En tout, d’après l’interprofessionnelle, près de 150 personnes ont répondu à l’appel.
« Je sais que mes élèves et les habitants de Seine-Saint-Denis ne vont pas bénéficier des Jeux. Ils n’ont pas été pensés pour faire profiter les habitants », témoigne Morgane, professeure d’EPS. Plusieurs collectifs dénoncent en effet des prix de billets trop élevés et des infrastructures sportives inadaptées, qui rapportent seulement de l’argent à quelques promoteurs.

« On passe à des actions plus radicales pour être entendus »
Alors que le jour se lève peu à peu, les ouvriers, reconnaissables pour la plupart à leur veste orange fluo, sont de plus en plus nombreux à patienter ensemble, à l’écart des grilles d’entrée. Certains, l’air blasé, fument une cigarette en attendant que leur chef les appelle et leur indique la marche à suivre.
D’autres tentent d’échanger avec les occupants du site. « Je ne comprends pas du tout ce qui se passe », confie en anglais Robert, un travailleur originaire de Roumanie. Un bloqueur lui explique alors en quelques mots la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron. « Ah, c’est vrai que ce n’est pas normal de demander de travailler plus longtemps », affirme ensuite l’ouvrier. « Le gouvernement insulte les gens du BTP — un secteur aux conditions de travail très difficiles — en leur demandant de bosser jusqu’à 64 ans », estime aussi Arthur.

Pendant ce temps, une fanfare joue quelques airs, pour tenter de réchauffer les corps. Une vingtaine de personnes se tient de chaque côté de la route jouxtant le chantier, et distribue des tracts d’information aux automobilistes. Une femme sautille pour atteindre la fenêtre haute d’un camion, et lui en glisser un. Quelques conducteurs montrent un agacement d’être ralentis, mais la plupart restent souriants. Certains véhicules passent même en klaxonnant vivement, comme un signe d’approbation de l’occupation, sous les applaudissements des bloqueurs.
« Bloquer un chantier comme ça peut plus faire bouger l’État qu’une manif »
« On manifeste depuis le 19 janvier contre cette réforme, les manifestations sont suivies massivement et pourtant le gouvernement refuse même de nous rencontrer, déplore Matthieu, professeur, drapeau Sud-Éducation à la main. Donc oui, on passe à des actions plus radicales pour être entendus. » « Il faut taper au portefeuille, affirme Samir [*], sans emploi. Avec l’enjeu de tenir les délais avant les Jeux olympiques, bloquer un chantier comme ça peut plus faire bouger l’État qu’une manif. »

Au bout de deux heures de blocage, les occupants libèrent les entrées. Ils récupèrent mégaphones, banderoles et percussions pour retourner à la Bourse du travail de Saint-Denis. Sur le chemin du retour, les visages sont souriants. « Je pense qu’on peut gagner, j’y crois même plus qu’au début, déclare Laura, doctorante en géographie. Il y a une bonne dynamique. Plus on y croit, plus on sera efficace. Maintenant, il faut aller plus loin dans nos revendications, pas seulement demander le retrait de la réforme. L’enjeu c’est de reprendre le pouvoir et se demander : comment on se répartit réellement la valeur issue de notre travail ? »